Suspectés de détournements, des maires de Mayotte annoncent suspendre les distributions d'aides de la préfecture

Une distribution de bouteilles d'eau au dojo de Pamandzi le mercredi 18 décembre
L'association des maires de Mayotte annonce suspendre depuis ce lundi les distributions d'aide provenant de la préfecture, en réaction à une enquête du journal Le Monde évoquant les suspicions de l'État sur des détournements de bouteilles d'eau et de denrées.

"Les élus municipaux ont fait le choix de se retirer de toute implication" dans les distributions de bouteilles d'eau et d'aide alimentaire provenant de la préfecture à partir de ce lundi 17 février, annonce l'association des maires de Mayotte dans un communiqué. Cette décision fait suite à une enquête du journal Le Monde, évoquant des suspicions de détournements de l'aide alimentaire. Le quotidien rapporte notamment des témoignages anonymes accusant les agents communaux "de partager entre eux une partie des denrées", selon les propos rapportés, et les élus de faire preuve de clientélisme. "Sur place, nous avons été étonnés de voir qu'un certain nombre d'aides alimentaires ou de distribution de bouteille d'eau n'arrivaient pas", confirme ce lundi le ministre des Outre-mer Manuel Valls, invité de la matinale de France Info.

Des livraisons via les mosquées durant le ramadan

Selon le journal, une enquête de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, a été ouverte pour des suspicions de trafic de bouteilles d'eau. Le préfet de Mayotte, François-Xavier Bieuville, reconnaît dans l'article avoir reçu "beaucoup d’interrogations, y compris de gens pas soupçonnables de vouloir polémiquer, sur la livraison d’eau et de denrées alimentaires." Un fonctionnaire anonyme évoque le cas d'un maire ayant demandé que de l'aide alimentaire soit acheminée à son domicile.

Le préfet explique aussi avoir envoyé un courrier pour rappeler aux maires "leur responsabilité publique et pénale", et avoir demandé, sans recevoir de réponse, "un plan détaillé des distributions avec les dates et les lieux." L'article relaie également la décision de la préfecture d'opérer durant le ramadan des livraisons d'aide d'alimentaire, mais cette fois distribuées par les mosquées et les associations caritatives. Le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a expliqué publiquement s'interroger sur les "derniers kilomètres" des aides, un terme repris par le communiqué de l'association des maires de Mayotte, qui dénonce "des accusations scandaleuses" et des "allégations infondées." 

"Les boucs émissaires d'un système"

Les maires, comme l'avait expliqué celui de M'tsangamouji au Monde, font plutôt valoir l'insuffisance des livraisons de l'État. "Les difficultés d’approvisionnements, les tensions sur la distribution et les besoins encore non satisfaits sont avant tout le résultat de la situation exceptionnelle crée par le cyclone et non le fruit de pratiques frauduleuses", explique l'AMM de Mayotte. "Que représentent réellement les tonnes communiquées rapportées à la population réelle de l’île ? Ce sont les vraies questions à investiguer."

Les élus disent "prendre acte d'une posture irrespectueuse du travail fourni au quotidien par les collectivités", et du fait "de découvrir par voie de presse le changement de stratégie" sur la distribution de ces aides alimentaires. Les maires refusent "d'être les boucs émissaires d'un système" qu'ils n'ont "pas conçu", et profitent de l'occasion pour porter des revendications : ils demandent "la levée immédiate des réquisitions sur l’eau et les autres biens essentiels, pour rétablir les circuits normaux d’approvisionnements", "l'’arrêt des restrictions imposées au Port de Mayotte", et "un déblocage immédiat des dotations d’urgence promises à nos collectivités."

Une décision qui ne fait pas l'unanimité chez les élus

Cette annonce ne semble en revanche pas concerner tous les élus mahorais."Je ne peux pas pénaliser ma population, j'ai deux ou trois containers à distribuer avec le ramadan", explique le maire de Dembéni Moudjibou Saidi, qui était à La Réunion ce week-end aux côtés du maire de Mamoudzou. S'il évoque "des propos insultants", il souhaite plutôt "régler ces incompréhensions lors d'un entretien avec le préfet" ajoutant qu'à "Dembéni, tout est transparent."

Pour le maire de Bandrélé, tout a déjà été dit. "Notre mission première, ce n'est pas la distribution de denrées", affirme Ali Moussa Moussa Ben qui reconnaît "des soucis." "Il faut qu'on laisse ceux qui savent faire s'en charger, pour qu'on puisse nous concentrer sur nos missions premières." Selon l'élu, le CCAS de sa commune joue déjà son rôle auprès des publics vulnérables. "Quand il y avait la crise de l'eau, on a su gérer les choses, parce qu'on savait qu'on était livré et de combien de bouteilles d'eau."

"On a été le plus loyal possible, je l'ai expliqué au ministre Manuel Valls, que nous distribuions les denrées sur deux sites, avec deux tiers à Acoua et un tiers à Mtsangadoua", explique le maire de la commune d'Acoua, Marib Haniffi. "Nous allons achever de distribuer ce que nous avons reçus, mais ensuite on veut que les magasins soient fournis pour nous concentrer sur les publics des CCAS." L'élu ne souhaite plus se charger de ces distributions car "comme elles sont insuffisantes, on sera toujours accusé de n'en distribuer qu'aux uns et pas aux autres." 

Des accusations de pratiques discriminatoires

Sollicités ce lundi matin, ni la préfecture ni les représentants de l'AMM n'ont répondu à nos questions pour le moment. Ces tensions durent en réalité depuis deux mois : ces distributions ont débuté dans une certaine désorganisation, le préfet et les maires se renvoyant la balle. L'État considère que les distributions sont à la responsabilité des municipalités, ces dernières dénoncent un manque de communication et des livraisons insuffisantes ou incomplètes. 

Si les élus reviennent dans ce communiqué sur les accusations de détournements, un autre aspect de l'enquête du Monde n'est pas évoqué : les accusations de pratiques discriminatoires. Le journal rapporte par exemple le témoignage d'une personne en situation irrégulière à qui la présentation d'une carte d'identité aurait été demandée pour bénéficier de l'aide, ou encore d'une bénévole de Petite-Terre qui a vu "des étrangers bousculés, insultés avec des mots méchants." Une accusation balayée par le maire de Bandrélé. "On a accueilli pendant longtemps des personnes dans nos centres d'hébergement d'urgence qui étaient en grande partie en situation irrégulière, vous pensez que si on s'intéressait à leurs cartes d'identité, on aurait fait tout ça?", interroge l'élu.