Ce qu'il faut savoir de la situation à Mayotte deux mois après le passage du cyclone Chido

Deux mois après le passage du cyclone Chido, le département est partagé entre urgence et reconstruction
Ce vendredi 14 février marque les deux mois du passage du cyclone Chido à Mayotte. Les signes de dévastation restent importants, l'urgence est toujours présente, mais le département entame petit à petit sa reconstruction.

Deux mois après le passage du cyclone Chido à Mayotte, la végétation commence à repousser, des bâches remplacent les vides laissés par la tôle arrachée, mais les stigmates restent bien visibles. Cette catastrophe naturelle est la plus dévastatrice en France depuis la Seconde Guerre mondiale, dans un département particulièrement vulnérable. Si l'urgence reste présente, l'île aux parfums entame lentement sa reconstruction.

La crainte d'une crise de l'eau cette année

Le réseau d'eau a pu être rétabli, il ne reste plus que les habituels problèmes structurels : la production est insuffisante par rapport à la consommation journalière du département. Actuellement les Mahorais alternent des périodes de 36h de distribution et 36h de coupure, contre 46h d'accès à l'eau pour 26h de robinets à sec avant le cyclone. 

Malgré les fortes intempéries qui ont balayé le département depuis deux mois, la pluie a manqué dans le nord du département. Les deux retenues collinaires de Dzoumogné et Combani n'étaient remplies qu'à 45% et 30% de leurs capacités le 8 février, contre 100% et 60% à la même période. Ces installations permettent de continuer d'alimenter le département durant la saison sèche, quand les captages des rivières baissent en production. L'éventualité d'une nouvelle crise de l'eau, comme fin 2023, a été évoquée par Manuel Valls au Sénat, lors de la présentation du projet de loi d'urgence pour Mayotte. 

L'eau manque également dans les rayons des magasins, qui pour la plupart rationnent toujours les packs vendus par clients. Des habitantes de Chirongui avaient interpellé le ministre des Outre-mer lors de sa visite dans le département le 30 janvier. La députée Anchya Bamana l'avait également sollicité par courrier, évoquant également la rareté de certaines denrées comme le riz.

Les distributions alimentaires se poursuivent

Alors que le mois du ramadan doit démarrer d'ici quelques semaines, l'accès à la nourriture reste un enjeu. L'État continue d'acheminer des tonnes de nourriture et plus de 100.000 litres d'eau quotidiennement, pour les confier aux communes chargées de les distribuer à la population. Cette logistique a été beaucoup critiquée, les communes et l'État s'accusant mutuellement de manquer de transparence. Désormais, le préfet s'interroge même sur le devenir de cette aide.

La distribution de colis alimentaire par la Croix-Rouge ce mardi à Sada

Une enquête a été ouverte par la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour des suspicions de détournements de cette aide et de distributions discriminations comme le relève le journal Le Monde ce vendredi 14 février. Toujours selon le journal, la préfecture a prévu de répartir près de 200 tonnes de denrées durant le ramadan, en passant cette fois par les mosquées et les associations caritatives.

En parallèle, de nombreux restaurants du territoire continuent de fournir des associations pour des distributions d'aide alimentaire. L'ONG américaine World Central Kitchen s'est également installée à la MJC de M'Gombani à Mamoudzou pour préparer des repas en grande quantité. La Croix Rouge a également débuté des distributions de denrées alimentaires, en plus des bons habituellement répartis parmi les bénéficiaires.

Une agriculture "toujours dans l'urgence"

Si de nombreux Mahorais s'alimentent grâce à de modestes exploitations vivrières, le milieu agricole professionnel a aussi lourdement souffert des ravages provoqués par le cyclone Chido sur la végétation. "Deux mois après, on estime être toujours dans l'urgence, les pistes agricoles sont quasiment toutes déblayées, mais il reste à déblayer les exploitations en elle-même", explique ce vendredi Anwar Soumaila Moeva, le président du syndicat des Jeunes agriculteurs de Mayotte.

Une parcelle dévastée par le passage du cyclone Chido

 

Une aide d'urgence de 1.000 euros a été versée par la MSA à 1.370 agriculteurs mahorais. Une aide de 15 millions d'euros va également être répartie selon les surfaces déclarées à la PAC. Si les agriculteurs espèrent relancer certaines cultures comme le manioc d'ici six mois à un an, certains secteurs vont avoir beaucoup de mal à se relancer comme la vanille dont la prochaine récolte ne sera pas avant quatre à cinq ans. 

Pour éviter une pénurie de fruits et légumes, la préfecture a assoupli les règles pour faire venir des produits végétaux dans le département. Les importateurs peuvent bénéficier de dérogations et depuis une semaine même les voyageurs peuvent en apporter dans leurs valises, après avoir renseigné en ligne leur demande. 

Des déchets toujours omniprésents

Les dégâts laissés par le cyclone Chido représentent des milliers de tonnes de déchets générées en une journée, auxquelles s'ajoutent les ordures ménagères que continuent de produire les foyers. Près de 10.000 tonnes ont été rassemblées sur 50 points du territoire, devenus des décharges à ciel ouvert se vidant petit à petit. Les bornes pour les déchets ménagers et les bacs pour le tri sélectif débordent régulièrement face aux capacités de traitement limitées à Mayotte.

Des déchets s'entassent un peu partout sur l'île (site de Dzoumogné)

"Le Sidevam et ses partenaires, on est sous-équipés", résume Houssamoudine Abdallah, le maire de Sada et président du syndicat intercommunal d'élimination et de valorisation des déchets à Mayotte. "Un département de 300.000 habitants, c'est entre 10 et 20 déchetteries, on en a une seule avec notre déchetterie mobile. Des centres d'enfouissement, on peut en avoir trois ou quatre, on n'en a qu'un." Là aussi, le sous-dimensionnement des infrastructures se heurte à l'ampleur de la tâche, passant "de l'énorme au colossal." Face à l'ampleur de la tâche, la préfecture a décidé de brûler une partie des déchets ménagers dans des conteneurs sur le site d'Hajangua, prenant un arrêté pour permettre cette "mesure d'urgence dérogatoire."

Le visuel de la préfecture pour résumer la gestion des déchets post-cyclone

Outre les déchets sur la voie publique, le passage du cyclone a également laissé de nombreux arbres et branchages arrachés dans les rivières et ravines du département. Ces obstacles empêchent l'évacuation de l'eau et entraînent des inondations, comme ce fut lors de fortes pluies il y a deux semaines. Depuis deux mois, les opérations de nettoyage des rivières sont régulièrement organisées par des municipalités ou des associations de riverains qui expliquent "n'avoir pas le choix pour ne pas être en danger."

Le trafic des barges reste compliqué

Si les routes ont été dégagées et l'aéroport réouvert, la circulation des barges entre les îles de Petite-Terre et de Grande-Terre reste compliquée. Deux barges sur quatre sont en circulation, les autres ont notamment été endommagées par le cyclone Chido. Les passagers qui souhaitent effectuer la traversée avec leur véhicule doivent s'armer de patience, et parfois patienter plusieurs heures.

La préfecture a fait venir deux barges des Seychelles pour transporter les véhicules prioritaires et ainsi désengorger les embarcadères pour les particuliers. Les embarcations sont arrivées le 1er février. Deux semaines plus tard, ces navires n'ont toujours pas été mis en service, faute d'autorisation de la direction des affaires maritimes. 

Un réseau électrique à consolider

EDM, Électricité de Mayotte, a annoncé le 31 janvier avoir rétabli l'électricité "pour l'ensemble des clients touchés par le cyclone Chido", soit 53.000 clients. L'entreprise l'a plusieurs fois martelé, ce chantier a été "un travail de fourmi" face à l'ampleur des dégâts subis par le réseau. Certaines familles peuvent rester privées d'électricité, pour diverses raisons comme un compteur endommagé. L'entreprise vient de rouvrir ses accueils physiques et maintient un service dépannage au 02.69.62.50.05.

Un poteau électrique effondré dans le nord de Mayotte

 

EDM a également annoncé la reprise de la facturation à partir du 1er février, appelant ses clients à transmettre leur relevé d'index. Le rétablissement du réseau s'étant fait dans l'urgence, sans toujours de remise aux normes, l'entreprise réalise actuellement "un diagnostic du réseau pour préparer une phase de consolidation en 2025." Reste à savoir comment ses installations seront consolidées, avec la possibilité d'enfouir certaines parties du réseau pour éviter un tel impact en cas de futurs cyclones.

Un climat social tendu, un milieu économique au ralenti

Depuis quelques semaines, les grèves se multiplient à Mayotte notamment pour demander le versement d'une aide exceptionnelle dans le cadre du cyclone Chido ou un soutien matériel pour les salariés. Les agents de la Sogea ont déposé un préavis de grève pour le mercredi 19 février, rejoignant la longue liste des mouvements sociaux, après l'intercommunalité de Petite-Terre, la SIM, la société de nettoyage Nikel Chrome, les pompiers de l'aéroport, l'Education nationale ou encore les soignants du CHM. 

Les manifestants au rond-point SFR, sur le défilé les menant du rectorat au lycée des Lumières

Alors que le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté de 12,1% à Mayotte au dernier trimestre 2024, s'établissant à 37% de chômeurs, les acteurs économiques font grise mine. Le secteur du BTP ne manque pas de travail, alors que les vendeurs de décoration ou les gérants de salle d'arcade n'ont plus de clients. "Ce qu'il ressort de mes échanges, c'est la gravité et l'urgence", résume Alain Di Crescenzo, le président des chambres de commerce et d'industrie, en visite ce vendredi à Mayotte. "80% des entreprises ne peuvent plus produire ou produisent avec un rendement très bas du fait des infrastructures qui n'existent plus."

Le président des CCI dénonce également l'absence de versement à certaines entreprises de l'aide de 20% du chiffre d’affaires plafonnée à 20.000 euros, l'indemnisation pour les demandes de chômage partiel n'a pas encore été versée. À cela s'ajoute les difficultés d'approvisionnement pour les commerces de proximité, les problèmes de réseau internet qui empêchent le télé-travail et "de nombreux retards de paiement des collectivités territoriales."

Une scolarité toujours compliquée

Les 118.000 élèves du département ont repris les cours le lundi 27 janvier. Deux semaines plus tard, la ministre de l'Éducation nationale, Elisabeth Borne, estimait à 50% les capacités d'accueil dans le premier degré. Dans le second degré, le recteur de Mayotte affirmait cette semaine que "16 collèges sur 22 fonctionnent comme avant, et 8 lycées sur 11", dont trois ont été "massivement impactés." Avec les bâtiments endommagés, les élèves doivent partager les salles de classe encore disponibles, ne suivant que quelques heures de cours par jour. Ce système de rotation existait déjà faute de places, mais s'est généralisé et intensifié. Dans certains établissements, des tentes ont également été déployées pour servir de salles. 

Une salle de classe dans la commune de Bouéni encore inondée ce vendredi 24 janvier

Face à cette scolarité perturbée, le ministère de l'Éducation nationale a annoncé l'annulation de la quasi-intégralité des épreuves écrites du BAC, du brevet, de CAP et de BTS ainsi que l'allongement des vacances de mars d'une semaine et du délai pour s'inscrire sur la plateforme Parcoursup de 13 jours. Plus de 80 tonnes de fournitures scolaires ont été distribuées aux élèves, une grande partie les ayant perdues durant le passage du cyclone.

Plus de 1.300 élèves ont également formulé des demandes de scolarisation hors de Mayotte, dont 700 à La Réunion. Près d'un mois après la rentrée, dans le second degré, une cinquantaine de dossiers sur 374 sont en attente d'affectation au rectorat. De nombreuses critiques émergent également sur les délais d'inscription par les communes dans le premier degré. La mairie de Saint-Denis, qui a traité une quarantaine de demandes sur plus de 107 dossiers, mobilise par exemple une assistante sociale pour mener des vérifications quand au moins un des parents ne réside pas dans la commune. La députée Estelle Youssouffa a même dénoncé à l'Assemblée nationale "la décision coordonnée des élus réunionnais de refuser d'inscrire les enfants français de Mayotte à la Réunion."

Une loi d'urgence adoptée, une loi-programme attendue

Le projet de loi d'urgence pour la reconstruction de Mayotte a été définitivement adopté ce mercredi 12 février par le Parlement. Elle entérine un ensemble de mesures pour rebâtir le département, en allégeant notamment certaines normes. Les commandes publiques pourront être passées plus facilement et un tiers des marchés seront attribués à des entreprises mahoraises. Des constructions "démontables et temporaires" pourront être installées pour accueillir des services publics, tandis que l'État pourra prendre en charge la construction et la rénovation des écoles. À chaque fois, les maires auront leur mot à dire, les parlementaires y ont veillé.

Le ministre des Outre-mer Manuel Valls à la mairie d'Acoua ce mardi 31 décembre

Ce texte acte la mise d'un établissement public pour coordonner la reconstruction du département, sur le modèle de ce qui a été fait pour la cathédrale Notre-Dame, avec à sa tête Ben Issa Ousseni, le président du département. Le ministère des Armées a de son côté annoncé le déploiement de 400 militaires supplémentaires pour former "un bataillon temporaire de reconstruction." Il sera notamment composé d'expert du génie civil pour rétablir "les réseaux d'eau et d'électricité ou les infrastructures routières."

Alors que la loi d'urgence entérine l'interdiction de la vente de tôle sans justificatif d'identité et de domicile, les bidonvilles ont déjà été remontés sur le territoire. Les élus locaux attendent désormais la présentation d'ici la fin du mois de mars de la loi-programme pour Mayotte, qui doit permettre de financer cette reconstruction et décider de l'avenir du territoire. Le gouvernement a déjà annoncé que ce texte comprendrait un ensemble de mesures pour lutter contre l'immigration clandestine, une lacune plusieurs fois dénoncée dans la loi d'urgence.