Deux légitimités, et deux discours, se sont à nouveau faits entendre à la tribune de l’ONU (vidéo ici). Louis Mapou et Naïa Wateou se sont notamment exprimés mardi 4 octobre à New York, devant la quatrième commission des Nations unies, celle en charge des questions de décolonisation (avec d’ailleurs la présence, également, d’une délégation polynésienne).
Synthèse par William Kromwel...
La Calédonie devant la 4e commission, 4 octobre 2022
…et compte-rendu d'Erik Dufour :
Dans le sillage du sommet à Washington
Le président, indépendantiste, du gouvernement calédonien est intervenu dans le sillage du sommet entre les USA et le Pacifique insulaire auquel il participé, les 28 et 29 septembre. "Alors que la Nouvelle-Calédonie prend sa place dans le concert des pays du Pacifique (…), l’Histoire nous donne encore rendez-vous, a déclaré Louis Mapou. Car, si la troisième consultation, boycottée par les indépendantistes et le peuple premier, a enregistré une participation faible (…) ; si les autorités de la République française l’ont jugé légale, sa crédibilité et sa légitimité n’en demeurent pas moins entachée (…). Et même si les trois consultations référendaires ont révélé que les deux grandes visions de l’avenir subsistent, il est un fait que la Nouvelle-Calédonie aspire à assumer toutes ses responsabilités."
"Réussite" et "maturité"
Louis Mapou d'insister : "le récent 51e sommet du Forum des îles du Pacifique (…) puis la déclaration issue des discussions entre les pays du Forum des îles du Pacifique et les Etats-Unis (…) incitent à revisiter de nouvelles perspectives de gouvernance entre la Nouvelle-Calédonie et sa puissance de tutelle. En effet, la Nouvelle-Calédonie est désormais engagée dans un rôle diplomatique et de coopération, égal à des nations souveraines sur la scène régionale, qui la place aux confins des attributs de souveraineté." Estimant que "cette trajectoire politique traduit à de nombreux égards une forme de réussite de l’Accord de Nouméa, et une grande maturité des hommes et des femmes de Nouvelle-Calédonie".
Définir "un nouveau champ d'exercice de la souveraineté"
Puis de s’attarder sur cette actualité régionale : "le président Joe Biden a reconnu la souveraineté internationale de certains pays de la région statutairement associés à la Nouvelle-Zélande. C’est dire combien, dans ce monde en pleine mutation, la question des 'interdépendances' (énoncée) par (…) Jean-Marie Tjibaou comme un principe pouvant régir les relations entre la Nouvelle-Calédonie et la République française (constitue) une problématique très actuelle des relations internationales et une solution pour sortir les peuples de l’enfermement. Ainsi, la redéfinition d’un nouveau champ d’exercice de la souveraineté entre la Nouvelle-Calédonie et la République française est l’ultime dénouement."
Et de conclure : "Les contours de l’avenir ne seront esquissés que dans une nouvelle dialectique de la décolonisation pour que la Nouvelle-Calédonie sorte gagnante pour ses enfants. L’audit de la décolonisation demandé par les partenaires de l’Accord de Nouméa à l’ONU apportera un éclairage avisé quant à l’actualité du droit à l’autodétermination et de celui des peuples à disposer d’eux-mêmes."
Son discours (seul le prononcé fait foi) :
"Etat partial"
Roch Wamytan aussi, a pris la parole durant cette séance. Décriant à nouveau le dernier référendum, le président, également indépendantiste, du Congrès a pointé l'attitude de l'Etat français. "D'un Etat impartial, il est devenu un Etat partial, en feignant d'ignorer la non participation du peuple colonisé, et en prenant fait et cause pour la partie non indépendantiste, essentiellement non kanak, de la population calédonienne afin de défendre ses intérêts stratégiques et économiques au sein de notre région océanienne, a-t-il dit. Son attitude oblige la mouvance indépendantiste à se tourner encore et encore vers les instances des Nations unies pour que son droit à l'autodétermination et à la souveraineté soit reconnu, défendu et accompagné jusqu'à l'avènement de l'indépendance."
Mettre un terme aux dispositions "transitoires"
Argumentaire tout autre avec Naïa Wateou. La troisième vice-présidente du Congrès, et représentante du camp loyaliste, a défendu le résultat des consultations prévues par l’Accord de Nouméa, les 4 novembre 2018, 4 octobre 2020 et 12 décembre 2021. C’est-à-dire trois Non successifs à la pleine souveraineté. Elle a aussi évoqué la situation actuelle, avec cette position du camp non indépendantiste selon lequel le système institutionnel issu de l’Accord a atteint ses limites, et qu’il n’est plus justifié d’en maintenir les dispositions "transitoires" : "gel du corps électoral (…), inscription automatique des natifs de statut coutumier, répartition géographique biaisée de la redistribution fiscale ou encore sous-représentation de la représentation non indépendantiste au Congrès".
Une "stratégie politique" pour "amener vers la Kanaky" ?
"Quand les Calédoniens s’inscrivent résolument au sein d’une Nouvelle-Calédonie dans la République française, a formulé Naïa Wateou, deux provinces sur trois sont dirigées par des formations indépendantistes, de même que le Congrès et le gouvernement." Et d’estimer : "La stratégie politique qui est engagée dans ces institutions n’a pour unique ambition que d’amener la Nouvelle-Calédonie vers la Kanaky." Autre argument mis en balance avec les résultats des référendums, "les indépendantistes exigent des bilatérales avec l’Etat français pour acter le transfert des compétences régaliennes et donc l’indépendance".
En comptant sur le comité des partenaires
"Quand certains observateurs estiment que l’avis de l’ONU n’est plus suffisant pour cautionner le processus exemplaire d’autodétermination, c’est au Forum des Îles du Pacifique qu’il est demandé de se positionner sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie", a ajouté l’élue, qui a évoqué la rencontre parisienne proposée par l’Etat : "Nous appelons de nos vœux la tenue d’un nouveau comité, celui des partenaires (…), pour trouver et tisser les liens du dialogue, définir un calendrier et une méthode pour nous entendre et nous permettre tous ensemble, de développer notre projet d’avenir." En terminant par ces mots : "Sachons nous entendre, non plus sur les luttes du passé, mais bien sur les perspectives que nous offre un avenir en commun."
Son intervention :
Un "appel" de "jeune Calédonien"
Une autre voix non indépendantiste de la province Sud a renchéri devant la Quatrième commission. "Au nom de chaque jeune Calédonien, a prononcé Renaldo Bourgeois, je vous adresse (…) un appel du cœur, (…) un appel d'espoir, (…) un appel de construction commune, (…) un appel à la paix. Il est désormais temps d'aller de l'avant, (…) de répondre aux questions relatives à notre bien-être, à notre insertion, à notre réussite, à la place des femmes dans notre société calédonienne, à l'inclusion des populations quels que soient leur genre, leurs coutumes, leurs origines."
Le Rassemblement voit le spectre de l'indépendance-association
Après cette séquence onusienne, le Rassemblement "condamne fermement les propos" de Louis Mapou : "Nous portons l’ambition d’une Nouvelle-Calédonie émancipée au sein de la France, ce qui signifie que les compétences régaliennes doivent rester de la responsabilité de l’Etat", signe son président Thierry Santa. "Nous nous opposerons donc fermement à toute forme d’indépendance-association."
Quid de la collégialité ?
Par ailleurs, réactions successives des non indépendantistes sur un même sujet.
- Pour le Rassemblement, "la collégialité du gouvernement est bafouée dès lors que ce discours n’a fait l’objet d’aucune concertation avec ses membres et qu’il a été pourtant prononcé par son président au nom du gouvernement collégial."
- Selon les Loyalistes, Louis Mapou a "piétiné le principe de collégialité, en délivrant un discours partial et non-concerté qui fait l'apologie d'une indépendance que les Calédoniens ont [refusée] démocratiquement à trois reprises". Voire se sert de son mandat "pour porter la voix d'une minorité devant les institutions régionales et internationales".
- "Le respect de la collégialité ne peut pas être qu'un rite incantatoire", écrit encore Philippe Gomès pour Calédonie ensemble. "Un discours politique de cette importance devant l'ONU, à fortiori à ce moment-là de notre histoire, aurait dû être préalablement soumis aux membres du gouvernement." Et "ne pas se soumettre à cette exigence est une trahison de la lettre et de l'esprit des accords".