DECRYPTAGE. Être élève en Calédonie : le casse-tête des déplacements en ville

Arrêt du Néobus devant le lycée Dick-Ukeiwë du Grand Nouméa.
A l’approche de la rentrée en Nouvelle-Calédonie, NC la 1ère se penche sur le quotidien de nos élèves. Ecoles de proximité, tenues, cantine… Retrouvez chaque jour notre dossier en ligne. Aujourd'hui, on se penche sur la façon dont les élèves rejoignent leur établissement scolaire dans l'agglomération nouméenne.

Changement de tempo, pour Théo. L’adolescent de quinze ans, domicilié à Dumbéa rivière, a été admis en seconde numérique au lycée du Mont-Dore. Cette opportunité a des conséquences logistiques : "Il va prendre le transport scolaire à 5h50, depuis le parc Fayard", explique sa mère, Stéphanie Domergue. Fini, le trajet de "sept minutes" entre la maison route de Koé et le collège de Katiramona. Ça, ce sera pour les deux petits frères encore scolarisés à Jean-Fayard, qui seront déposés par le papa. La maman, elle, part très tôt sur Nouméa. Alors elle a inscrit Théo via le SMTU, le Syndicat mixte des transport urbains. Le matin, aller direct. En fin de journée, trajet à partir de 17h40 entre le Mont-Dore et le lycée du Grand Nouméa, où il changera de bus, explique-t-elle. 

Inscriptions au transport scolaire du secondaire avec le SMTU, à Dumbéa, avant la rentrée 2023.

"On sent qu’ils sont fatigués"

Théo rejoint la foule des élèves qui utilisent les transports en commun dans l’agglomération nouméenne pour se rendre en classe ou en cours. Même chose pour Shelssy, onze ans, habitante de Tontouta. Rentrant au collège Gabriel-Païta d'Ondémia, où est déjà son grand frère Shawn, elle découvrira ce que sa maman appelle "le Tanéo scolaire" : "Il passe à 6h10 au village de Tontouta et ils commencent à 7h05, précise Aurore Kilama. On a l'habitude de se lever tôt. Mais on sent qu’ils sont fatigués, quand ils rentrent." De quoi rêver d'un collège public à Tontouta, vu que ceux de Païta sont très remplis. Emelyne vit à quelques kilomètres de là, à La Tamoa et cette ado de seize ans doit rallier la route du Mont-Mou pour aller au lycée Saint-Jean-XIII. Le car scolaire au petit matin, elle a "l'habitude"

De moins en moins de lignes scolaires 

Un transport scolaire classique qui transporte de moins en moins d'élèves. Au niveau du premier degré, les mairies de l'agglo y ont peu à peu renoncé, mettant en avant la multiplication des écoles de proximité. Païta est la seule à garder des lignes de transport scolaire primaire, pour cause de service rendu à la population : pouvoir véhiculer les enfants un peu loin de leur établissement à un tarif abordable. Pratique, quand on "reste" à Tontouta, dans les tribus, au fond du Mont-Mou ou à Nouré. "On a six lignes", détaille Lionel Achard, responsable de la vie scolaire à la mairie. "On transporte environ 300 enfants par an. Nos bus partent de Païta à 6h45, à vide, et commencent à charger les enfants à 7 heures. Ils ont trente à quarantes minutes maximum de transport." Souci, "c’est un service monstrueusement déficitaire, de 80 %." D'ailleurs, le tarif augmente cette année, + 13 %.

Un millier transportés par la SCT l'an dernier

Celui des bus scolaires pour le secondaire reste stable. En revanche, la prestation s'avère en perte de vitesse à tous points de vue. Le marché attribué par le SMTU arrive dans sa dernière année. Le prestataire est la Société calédonienne de transports. Laquelle réunit onze entreprises, qui "transportent les élèves du secondaire de la zone Grand Nouméa depuis plus de quarante ans", souligne celle-ci. Or, depuis la création du réseau Tanéo, les collégiens et lycéens sont encouragés, quand cela est possible, à utiliser les bus classiques. "Le transport scolaire a été sans cesse réduit par la volonté des politiques", dénonçait la SCT le 6 février, en manifestant devant l'agence Tanéo de Koutio. "365 millions et 53 autocars en 2019 ; 205 millions et 30 autocars en 2022 ; 155 millions et 25 autocars en 2023."

Une mobilisation qui ne devrait pas perturber la rentrée, mais la problématique reste en suspens. La société a transporté 1 018 élèves en 2022, contre 3 513 en 2010. Et combien de scolaires dans les Tanéo ? Difficile de chiffrer mais les jeunes passagers représentent plus d'un tiers de la clientèle. Dans son argumentaire, la SCT met en avant que son réseau scolaire est dédié aux élèves, lesquels sont déposés devant leur établissement, en ligne directe. Alors que sur Taneo, les élèves seraient mélangés avec les adultes, sans siège réservé, dans des bus en surcharge avec des relais, des trajets plus longs et davantage d'éventuelle délinquance.

Selon la filière

"Le réseau Tanéo offre une trentaine de lignes de transport sur l’ensemble de l’agglomération", rappelle pour sa part Marie Morel, responsable communication et marketing du SMTU. "Les élèves peuvent les emprunter à partir de sept ans en autonomie" et avec de la souplesse s'ils finissent plus tôt. Par conséquent, "on a deux solutions de transport pour les élèves de l’agglomération : le réseau Tanéo et le transport scolaire. Ces lignes plus restreintes s’adressent notamment à des élèves hors carte scolaire." Car la répartition des lycées en Calédonie n'offre pas la même proximité que les écoles ou même les collèges. "Il y a, dans chaque endroit, des élèves qui aspirent à des formations qui ne seront pas forcément celles offertes dans le lycée de proximité", remarquait notamment le vice-recteur Erick Roser, interrogé à ce sujet.

Une bien longue journée

Des jeunes vont traverser l'agglomération pour suivre la filière choisie. Voilà comment une ligne de transport scolaire part à 5h10 des Jardins de Belep, à La Coulée, et dessert des établissements à Païta, une heure quarante de trajet jusqu'à Saint-Jean-XXIII. Ou encore une heure trente depuis le lotissement les Pétroglyphes, à Païta Sud, jusqu'à Jules-Garnier. Exemple de situation, la journée longue de dix-huit heures relatée par Jennyfer Passimin, dix-sept ans. Elle réside au lotissement Scheffleras de Païta et entre en terminale au lycée pro Saint-Joseph-de-Cluny, dans le centre-ville de Nouméa.

Ses années passées ? "Je me réveille tôt, vers 3 heures, vu que je mets du temps à me préparer." Le bus scolaire passe avant 5h30. "Il passe par plusieurs lycées et après c'est le nôtre. J'arrive à six heures et demi." "Jenny" explique faire ses devoirs à l'arrivée, ou quand elle trouve un moment. Redémarrage à 17h30, "je suis à 19 heures à l'arrêt" et retour à la maison pour un coucher vers 21 heures. "Je n'ai pas hâte de reprendre..."

Le lycée professionnel Saint-Joseph-de-Cluny se situe en plein centre-ville de Nouméa.

Suppression de circuits

Pour cette année, on compte 24,5 circuits de pur transport scolaire, puisque 5,5 disparaissent. "Ce sont des fusions de circuit, principalement, précise Marie Morel. Nous avons supprimé sur certaine lignes la desserte pour les lycées. Quand on a une offre qui existe sur le réseau Tanéo et qu’elle est plus compétitive, notamment en temps de parcours, on fait basculer sur le réseau. L’année dernière, on avait des lignes surchargées, ou pas à l’heure. C’est pour ça que cette année, on a revu l’ensemble des lignes du Mont-Dore : on n’a plus de desserte transport scolaire pour les lycées." Cela représentait quelques dizaines de jeunes, dit-elle. En parallèle, "on a revu les lignes Tanéo, les horaires, et on va avoir des renforts. Par exemple, la L8 s’arrêtait à La Coulée mais elle va aller jusqu’aux Dauphins pour absorber les flux, notamment."

Et d'insister : "L’étude de suppression des lignes s’est faite dans l’optique de garantir une qualité pour les élèves. Certaines auraient pu être supprimées mais soit ça les faisait partir trop tôt, soit ils arrivaient trop tard, soit ils attendaient une demi-heure au pied de l’établissement scolaire. On a conservé ces lignes." A noter aussi une expérimentation, sur des créneaux horaires dédiés aux établissements scolaires, à commencer par le collège de Plum sur la M4. 

De ces deux élèves au lycée du Grand Nouméa, l'une prend le Néobus pour venir en cours et l'autre vient à pied.

Plusieurs bus

Zaïna Chevalier, dix-sept ans, habite Nouméa mais va au lycée Dick-Ukeiwe à Dumbea. "Pour ma filière", remarque-t-elle, à savoir les sciences et technologies de la santé et du social. Alors, elle prend le Néobus en centre-ville. Agée de 22 ans, c'est par aussi par le réseau Tanéo qu'Emmanuelle Tein passe pour rejoindre le lycée Anova de Païta où elle est en dernière année de BTS. La jeune femme habite à Saint-Louis, côté mer. "Chaque matin, je me réveille à 4h30 pour quitter mon domicile à 5 heures." Après avoir remonté la route en terre, montée dans un premier car à 5h30. "J’arrive en ville vers 6 heures et tous de suite descendue,  je prend un autre bus direction Païta. J'arrive à 6h40." Le soir, elle précise prendre trois cars. Et quand la ligne a été interrompue à Saint-Michel à partir de 17 heures, après des caillassages, la fin du trajet se faisait à pied ou en étant récupérée par la famille. Aller au lycée Dick-Ukeiwe n'a pas été possible, ajoute-t-elle, et "comme je ne suis pas boursière, l'internat est trop cher. J'ai essayé de demander un logement étudiant à Koutio. C'est un peu fatigant. J'essaie de me reposer le temps de midi mais parfois, il faut réviser."

"On se prépare mentalement !"

Sur les routes du Grand Nouméa, on croise ainsi, matin et soir, toutes sortes de situations, pour tous les âges. Des centaines d'enfants ne vont pas à l'école la plus proche de chez eux, pour des raisons souvent liées à leur organisation familiale. Tristan, dix ans, habite le Mont-Dore. Il y a quelques années, il était scolarisé au Vallon-Dore mais le voilà inscrit à Renée-Fong, à Dumbéa-sur-mer, près du travail de son papa. Sa maman, installée route de la Corniche au Mont-Dore Sud, raconte comment se passent les trajets la semaine où elle en a la garde. "A son âge, pour le réveil, ça fait un bon petit 5 heures du matin, relate Eva Thibaudet. On quitte la maison au plus tard à 5h45, parce que tout est chronométré. Le temps qu'on fasse la route, on arrive à 7h30 - 7h40 à l'école", où le garçon fera son CM2.

Entre deux bouchons

Pour le petit-déjeuner, "tout dépend du lever de monsieur ! Quand je vois que ça va, je le lui fais prendre. Quand je n'ai pas le choix et qu'il est vraiment fatigué, pour ne pas trop le brusquer, il prend le petit-déjeuner dans la voiture." Les premiers temps ont été compliqués "et au final, il s'est adapté, il a pris l'habitude de se lever tôt. Ça lui permet de discuter avec moi et entre deux embouteillages, il en profite pour faire un peu les devoirs." Un rythme contraignant qu'il va falloir reprendre. "On se prépare mentalement !"

"J'habite à Savannah, à Païta, et je vais au lycée à Blaise-Pascal, à l'Anse-Vata", explique encore Illiana Machard, seize ans et véhiculée par sa mère. Après un cursus à côté, au collège de Cluny, elle étudie en première Sciences et technologies du management et de la gestion. "Il faut que je parte à peu près à 5h30 de la maison pour éviter tous les bouchons, alors je me lève à 4h30. J'arrive à 6 heures au lycée, alors que je commence [en général] à 7h10." Sans parler de l'heure dans les embouteillages le soir. 

Païta en première ligne

Selon l’étude "Bien dans ses claquettes" dévoilée récemment, la moitié des élèves de troisième interrogés en province Sud devaient se lever entre 5 heures et 6 heures. 4,7 % étaient même debout avant 4 heures. Et un cinquième, entre 4 et 5 heures. En première ligne, les jeunes de Païta qui ont été questionnés : près d’un sur deux se réveillait l’an passé avant cinq heures du matin !

On se quitte avec Marushka Thomas, dix-sept ans. Cette Nouméenne loge à Petite Normandie. Quand elle allait à Jean-Mariotti, collège de l'Anse-Vata, son père l'a amenée en moto pour aller plus vite. Aujourd'hui, c'est en voiturette qu'elle rallie le lycée Lapérouse. Un mode de transport qui ne lui permet pas de prendre la voie express. "Je passe par le 7e Km, le rond-point de Belle-vie... Ça me prend du temps. C'est surtout le soir que c'est insupportable. Je finis les cours à 17h35 et c'est des embouteillages partout. Je passe souvent une heure sur la route. J'ai hâte d'avoir dix-huit ans et, à moi la Savexpress !"