DECRYPTAGE. Être élève en Calédonie : comment aller à l’école de quartier peut changer la vie

Parés pour la rentrée 2023, ces jeunes habitants de Païta inscrits en CE2 à l'école Patrice-Jean.
A l’approche de la rentrée en Nouvelle-Calédonie, NC la 1ère se penche sur le quotidien de nos élèves. Carte scolaire, implantation des établissements, déplacements… Retrouvez chaque jour notre dossier en ligne. A commencer par la façon dont les enfants se retrouvent dans une école plutôt qu'une autre.

"Juste une descente et quelques dos d’âne" séparent Jade, sept ans, de l’école Patrice-Jean. Le onzième et dernier établissement construit à Païta est posé dans une plaine entre le "village" et le dernier échangeur sur la voie express. Selon la carte scolaire, elle est rattachée aux grands lotissements résidentiels Beauvallon et Val-Boisé (où vit Jade), au quartier d’Ondémia en général et à des logements côté mer. C’est la troisième école de Païta fréquentée par la petite fille, qui entre en CE2. Elle l’aime bien.

Il y a des récrés séparées avec les petits et les grands. J’ai beaucoup d’amis qui sont là. Les maîtres et les maîtresses sont très gentils…

Jade, sept ans, élève à l'école Patrice-Jean de Païta

Son bémol ? "Il n’y a pas beaucoup d’arbres." Il faut dire que Patrice-Jean a ouvert l’an dernier. Cette année, elle gagne quatre classes tant la demande est forte. En Calédonie, le contexte global est depuis plusieurs années au vieillissement de la population et à la baisse du nombre d'élèves. S'ajoute le phénomène d'exode rural qui touche la province îles et une partie de la Brousse. Et sans doute celui des nombreux départs hors du Caillou, même si leur impact sur les écoles reste à préciser.

Païta fait encore exception

A cette rentrée, la province Sud devrait recevoir quelques centaines de bambins de moins. Mais Païta, quatrième ville du pays en nombre d’habitants, fait encore partie des exceptions, elle qui a vu sa population augmenter de presque 20 % entre 2014 et 2019. Notamment parce que des familles originaires d’autres communes, en particulier Nouméa, continuent à affluer dans ses nouveaux quartiers. Ici, plus d'un habitant sur quatre a moins de quinze ans. 

Selon son directeur, André Guerry, l'école Patrice-Jean qui comptait 160 élèves à la rentrée 2022 en attend au moins 290, que du secteur, sans dérogation. Sa montée en puissance progressive se fait plus vite que prévu. "Les effectifs scolaires ont légèrement augmenté", observe Maryline d'Arcangelo, l'adjointe au maire en charge de l'éducation. Au 31 janvier, la province Sud enregistrait 2 304 élèves déjà inscrits à Païta, contre 2 289 en 2022. "C’est surtout cette école. Val-Boisé est un lotissement qui ne vieillit pas. Il y a beaucoup d’allées et venues. Les gens emménagent, déménagent." 

La onzième école de Païta se dresse dans une plaine de Ondémia.

Mis à l'école près du travail

Patrice-Jean a récupéré des enfants du coin qui allaient aux maternelles Vi-Vete et Palmiers ou à James-Paddon. La maman de Jade, et d'un petit Aleck âgé de quatre ans, est bien contente d'avoir une école qui scolarise de la section des petits jusqu'au CM2. La construction a en outre convaincu des parents d’arrêter de déroger à la carte scolaire. Des gens salariés en dehors de Païta qui mettaient leur progéniture près de leur lieu de travail. 

En 2021, Keyven était ainsi à l'école Clain de Koutio. C'est dans ce secteur que sa mère, employée au laboratoire de Kenu-In, a trouvé une nounou qui le prenne en charge avant et après la classe. Départ de la maison située au fond de la route du Mont-Mou à "6h15 au plus tard, 6 heures quand il pleuvait", décrit Audrey Kabar. Après un déménagement vers Gadji, la rencontre avec une nounou de Païta et une inscription au pied-levé à Patrice-Jean, la vie a changé.

Ça fait moins de grosses journées. Il a fait beaucoup de progrès au niveau de sa scolarité. Et quand je faisais la voiture tous les jours avec Keyven, j'avais cette boule au ventre, cette peur d'avoir un souci sur la route avec mon gamin.

Audrey, mère d'un élève de Patrice-Jean

Des emplois du temps insolubles

Heilani et Heimiti étaient carrément levées à 4h30, pour être transportées de Val-Boisé jusqu'à leurs grands-parents à Magenta. A l'heure de l'école, elles allaient à pied à Michel-Cacot, à côté. C'était la solution, compliquée mais rassurante, trouvée par le papa des jumelles, qui rejoint l'usine du Sud tôt par bateau, et leur maman, infirmière au Médipôle. Depuis, leur quartier a eu son école, à quelques minutes de la maison. Les fillettes de huit ans sont amenées par une voisine retraitée le matin et récupérées par leur mère. "Je suis moins stressée de les lever tôt, reconnaît Giovanna Matakualiki. Parfois, elles pleuraient, elles étaient fatiguées." Plus l'angoisse des embouteillages, non plus. 

En l'absence de voiture

Musulamu Tamavalu a sept ans et lui aussi revient à Patrice-Jean. Présentant un trouble de l’attention, il va intégrer la Clis, classe pour l'inclusion scolaire, qui ouvre également dans cette école. "Pile l'année où j'ai demandé à travailler sur Païta", se réjouit sa mère, Sylviane Renold, qui habite Val-Boisé. De quoi leur faciliter la vie, vu qu'elle n'a pas de voiture. L'an dernier encore, cette auxiliaire de vie était basée à l’école Renée-Fong de Dumbéa-sur-mer, où son fils était inscrit pour qu'elle le récupère facilement. Le petit garçon se levait à 5 heures pour attraper avec elle plusieurs cars. "C'était simple pour moi, mais difficile pour lui." 

Classe de l'école Patrice-Jean en cours de préparation avant la rentrée 2023.

"Des structures qui répondent à l'enjeu de proximité"

Qu'en est-il de l'implantation des structures scolaires à travers le territoire calédonien ? Selon la direction de l'Education et de la réussite, l’élève de province Sud qui a le plus de temps pour se déplacer jusqu’à l'école publique la plus proche doit mettre dix à quinze minutes.

La répartition à l'échelle de la Calédonie est qualifiée de "satisfaisante" par le vice-recteur. "Sur le primaire, je n’ai pas particulièrement la compétence qui me permet d’avoir un regard très affuté, étant donné que je n’ai en gestion que le primaire privé, précise Erick Roser. Pour autant, on a un réseau scolaire composé de 260 écoles, avec une volonté d’avoir des écoles en proximité des lieux de vie des populations. Et le primaire permet cette possibilité parce que d’une part, il y a un maître polyvalent - il enseigne toutes les disciplines - et il y a aussi la possibilité de mettre en place des classes multi-niveaux. Donc pour l’enseignement du premier degré, on a des structures qui répondent véritablement à cet enjeu de proximité des populations."  

Un coût

La proximité a un prix, il n'y a qu'à voir Patrice-Jean : cet établissement grand et fonctionnel, dont la jeune Béatrice apprécie "les ventilos", a coûté environ 850 millions CFP, plateau sportif inclus. Or, "si un gros lotissement voit le jour, il faudra automatiquement une, deux, trois écoles supplémentaires", estime Lionel Achard, responsable de la vie scolaire à la mairie de Païta. "C’est à peu près une école pour 300 logements." Un investissement très lourd sur fond de difficultés budgétaires de plus en plus aigües. Les communes, à qui revient la compétence de bâtir les écoles primaires, y réfléchissent à plusieurs fois avant d'envisager des constructions, même avec soutien financier de la province et de l'Etat.

Dorbritz en première ligne

C'est le cas à Dumbéa, deuxième ville du pays, où les établissements sont sortis de terre à un rythme soutenu ces dernières années. Au moins 455 inscrits et dix-huit classes à Dorbritz : la plus grosse école de la province Sud se trouve à Dumbéa-sur-mer. Mais la croissance de la population, environ 13 % entre les deux recensements, s'est ralentie. A l'échelle de toute la commune, la situation s'avère contrastée, avec un bilan de trois classes en moins cette rentrée. "Dumbéa est sur un plateau", analyse Pierre Mestre, adjoint en charge de l'action éducative. "Les effectifs du primaire se stabilisent depuis, disons, 2016, aux alentours de 4 100 enfants." Après "un certain décrochage en 2020 et en 2021", le nombre d'écoliers arrive à 4103 (chiffre provisoire). 

La rentrée 2021 à l'école Frédéric-Louis-Dorbritz de Dumbéa-sur-Mer.

"Logique de carte scolaire"

Pas d’ouverture d’école en perspective. Ou il s'agira de bâtir en dur l'école de Dumbéa-sur-mer, toujours constituée de préfabriqués. Pour que tous les enfants trouvent leur place sans forcément construire, pour que leur nombre par classe reste raisonnable, Dumbéa aimerait privilégier la logique de carte scolaire. "Sur les endroits où il y a beaucoup d’afflux de population, on réduit le périmètre de logements qui dépendent d'une école, explique Pierre Mestre. Et sur les endroits où il y a une population vieillissante, où il y a moins d’enfants, on élargit le périmètre de la carte scolaire."

Au cœur de la ville, ce système de vases communicants doit permettre de décharger Les Orangers et Mainguet, autour desquelles des logements continuent à se construire. Et que leur trop-plein soit absorbé par des écoles de Koutio moins remplies (Desgreslan, Bardou ou les maternelles Jacarandas et Myosotis). 

Les effectifs fondent à Nouméa

A Nouméa aussi, on manie les vases communicants : les effectifs du primaire public y fondent de rentrée en rentrée. Ils sont désormais descendus sous la barre des huit mille. "Nous perdons entre 200 et 300 élèves par an depuis 2015. Il y a un flux vers Dumbéa et Païta mais ce qui joue surtout, c’est la baisse du taux de natalité", estime Jean-Pierre Delrieu, premier adjoint, en charge de l’action éducative. "On ferme une dizaine de classes quasiment tous les ans." Et des établissements entiers, comme le rappelait en novembre 2022 ce dossier de NC la 1ère, signé Bernard Lassauce :

©nouvellecaledonie

C'est cette année le cas pour Eloi-Franc à l’Anse-Vata. "Quand on ferme une école, on ne fait pas ça brutalement", insiste Florence Seytres, directrice de l’Education de la province Sud. "On fait ça dans des écoles où il y a déjà très peu de classes. A Eloi-Franc, il en restait quatre. On avait arrêté d’accueillir les CP. Les enfants de cette école vont en face", chez Fernande-Leriche. A Rivière-Salée, l'absence d'inscriptions en CP augure d'une autre fermeture l’an prochain, celle de Marguerite-Arsapin. Il ne reste que quatre classes dans la structure, pas très facile d'accès et elle aussi dans un quartier plutôt vieillissant.

Efforts pour rationnaliser

Au 6e-Km, c'est dès cette année que deux écoles sont regroupées pour rationnaliser la répartition des élèves : Marie-Courtot et Henriette-Gervolino, déjà voisines de cour. Enfin, une réflexion d'ensemble doit harmoniser un tableau très contrasté dans le secteur de Magenta et des Portes-de-Fer. "On envisage que Boletti devienne une maternelle, détaille Jean-Pierre Delrieu. L’objectif est aussi de faire diminuer les effectifs de Broquet, de Perraud et des Pervenches. On va revoir tout le découpage de cette zone. Si on n’avait rien fait, on gardait trois écoles surchargées, mais deux écoles fermaient à court terme, Cacot et Boletti. Alors qu’on a des prévisions de nouveaux logements", ajoute l'adjoint en citant la vallée de Sakamoto, l'ancienne fac de Magenta ou la colline Guégan. 

A Nouméa, l'école Albert-Perraud de Magenta Aérodrome en 2018.

Le privé s'ajuste aussi. "L’évolution de nos effectifs est cette année de nouveau à la baisse d’environ une centaine d’élèves, observe Karen Cazeau, directrice de l'enseignement catholique. Ces diminutions sont davantage visibles dans certains établissements primaires de la capitale. Sur le reste de la province Sud, nos effectifs sont plutôt stabilisés, tout comme en province Nord et dans les Iles." Cette baisse à Nouméa concerne le Sacré-Cœur et, dans une moindre mesure, Cluny centre-ville. "Sur ces écoles, on avait des niveaux uniques. Pour maintenir les structures, on crée des doubles niveaux", remarque Raphaël Telliez, directeur adjoint.

21 classes à Teari

Et pendant ce temps, il faut pousser les murs à Serge-Laigle, qui ne désemplit pas : c'est la seule école pour toute la presqu'île de Tina. Mais la palme de la plus grosse structure scolaire dans le primaire revient à l’école Teari, en province Nord à Koné. "On était à peu près à 428 élèves l'année dernière, on est à 441. Ça nous oblige à ouvrir une vingt-et-unième classe", expliquait sa directrice, Aline Ferrus, à Nathan Poaouteta le 25 janvier. Il faut dire que des familles sont arrivées avec le personnel affecté au nouveau centre de détention. Au fond, chaque établissement... est un cas d'école.