Les marmites et les fours ont recommencé à chauffer. La rentrée des classes a coïncidé avec la rentrée de la cantine. Un mot presque trop simple pour ce qu’il recouvre. La grande majorité des quelque 63 000 élèves scolarisés en Calédonie s'avèrent demi-pensionnaires. Nourrir autant de monde, le mieux possible, en très peu de temps, ça mobilise une énergie considérable.
L'école catholique s'alimente en interne
Pour continuer à y arriver, de la pré-maternelle jusqu'au lycée, la Direction diocésaine de l'enseignement catholique a bâti un modèle. "C’est 13 500 repas par jour, treize sites de production et 32 cuisines satellites", résume Dominique Wing-Ka. Il a repris il y a peu le pôle restauration de la DDEC et ses "191 personnes". Chaque unité de production alimente les établissements catholiques de son secteur. Le restaurant de la Vallée-des-Colons, en bas du collège Champagnat, prépare ainsi les repas d'élèves scolarisés de Nouméa jusqu'au Grand Sud. Une fois prêts, ils sont transportés jusqu'aux cuisines satellites, dotées d'un réfectoire. Autant dire que ceux de Yaté sont les premiers à partir ! De grosses cuisines centrales se trouvent aussi près du lycée Blaise-Pascal et du collège Saint-Joseph-de-Cluny à l'Anse-Vata, à hauteur du lycée Champagnat à Païta, ou au village de Bourail. Ailleurs, des structures plus petites mitonnent les repas. Sauf à Belep et l'île des Pins, où un prestataire intervient.
Approvisionnement "compliqué"
Tandis que les chefs cuisiniers concoctent leurs menus par bassin, l'acheteur de la DDEC passe les commandes auprès des fournisseurs et négocie les prix. "C’est un défi de tous les jours pour mes équipes, de la rentrée jusqu’à la fin de l’année", souligne Dominique Wing-Ka. Rien qu’en termes d’approvisionnement." Il y a les périodes qui se prêtent moins aux fruits et légumes frais, les phénomènes climatiques qui perturbent les récoltes, les conséquences de la crise Covid ou celles de la guerre russo-ukrainienne en termes de disponibilité et de coût des matières premières… "En ce moment, c’est compliqué. Pour autant, on arrive à s’approvisionner", poursuit l'adjoint à la directrice diocésaine en charge du pôle restauration. "Dans un repas, on va souvent trouver des produits fabriqués localement, que ce soit des produits issus de l’agroalimentaire ou des produits frais."
Nourrir les enfants, ça représente 100 % de l’avenir. Je répète tout le temps aux équipes qu'elles font un travail formidable. Les gens ne se rendent pas compte que la restauration scolaire, la cantine, représente un défi au quotidien tout au long de l’année. C’est toute une machine et pour autant, ça fonctionne.
Dominique Wing-Ka, adjoint à la directrice de la DDEC en charge du pôle restauration
Newrest garde Nouméa, Dumbéa et Païta
Fonctionnement différent pour le public. Dans la plupart des cas, les élèves du primaire et ceux du secondaire ne sont pas servis de la même façon. Commençons par le premier degré. Pour fournir les déjeuners, les quatre principales villes du pays font appel à un prestataire extérieur. A Nouméa, Dumbéa et Païta, l'entité locale du vaste groupe Newrest, qui a repris fin 2017 la Restauration française, conserve son monopole (sollicitée pour ce dossier, l'entreprise n'a pas donné suite). Mais au Mont-Dore, petite révolution, Newrest a disparu des cantines. Depuis la rentrée et pour quatre ans, les coups de fourchette riment avec Casserolette.
Le Mont-Dore passe à La Casserolette
Cette société calédonienne s'est fait un nom en tant que service de gamelle. Puis elle a amorcé le virage de la restauration pour les collectivités, et plus seulement les particuliers. Fin 2019, le Mont-Dore scinde en trois son marché pour la fourniture des repas aux scolaires. Un millier sont confiés à La Niçoise - autre gamelle. Newrest en maintient environ 500. La Casserolette obtient les presque 500 autres. Un nombre quasi multiplié par deux quand elle est sous-traitée par la première. Et voilà qu'elle a remporté le nouveau marché, pour les années 2023 à 2026. "Au Mont-Dore, on privilégie essentiellement la qualité des repas, avec notamment un côté un peu bio. C’était notre critère essentiel", observe Valérie Bolo, adjointe au maire chargée de l'enseignement qui préside la caisse des écoles. "On a souhaité aussi, même si les produits sont de plus en plus chers, garder le même tarif : 895 F le repas."
Des repas cuisinés et livrés la veille
Pour nourrir chaque midi environ 1 800 élèves mondoriens, La Casserolette a changé d'organisation, dans son site de production à la ZAC Panda. "On commence à deux heures du matin. Une première équipe de cuisine se met à travailler uniquement pour les scolaires du Mont-Dore, décrit le directeur Patrick Gasser. C’est lié à une demande du Sivap, [le service d'inspection vétérinaire, alimentaire et phytosanitaire], qui préfèrerait un circuit indépendant par rapport aux autres services." Une fois les plats prêts, ils passent de la sauteuse à la cellule de refroidissement. "Tout est en liaison froide." Ensuite, conditionnement en bacs inox des repas. Ils sont filmés, étiquetés, dotés d'une date limite de consommation… et livrés. Le personnel employé par la caisse des écoles - environ 110 cantinières - réceptionne les plats et les entrepose au froid. Le lendemain, il procèdera à la remise à température, et les enfants pourront passer à table.
Cherche patates et tomates
A la carte au Mont-Dore ce 28 février ? Salade de riz, nuggets de poisson et carottes béchamel, avec coupelle de fruits au sirop (ça se consulte ici). "Il y a bien sûr la volonté que l’enfant mange équilibré, analyse Patrick Gasser. Là-dessus, on travaille avec une diététicienne diplômée d’Etat qui évalue le menu. Ce qui peut être équilibré et sain n’est pas forcément ce qu’aime l’enfant. Il faut que ce soit gourmand, aussi. On trouve un compromis." Pour cette nouvelle prestation, une exigence a été posée, "apporter le justificatif qu'on privilégie à la fois les circuits courts et les produits locaux." Or, lui aussi le pointe : "En ce moment, c’est difficile, ne serait-ce que de trouver des pommes de terre, ou des tomates. Dans le marché, il y avait aussi la volonté de travailler avec des produits bio, de proposer de temps en temps des menus avec des produits labellisés bio. Il va falloir trouver la quantité, en fonction de ce qui est de saison."
Païta encore la moins chère
La mairie de Païta aussi, a relancé l'an dernier son marché des cantines. La société Newrest a été seule à postuler, elle a conservé la position pour quatre ans. En liaison froide, avec parmi les objectifs de servir plus de légumes issus de l’agriculture biologique. Le prix à payer a augmenté au passage de 4 %. Cela dit, Païta garde le tarif le moins élevé de l'agglomération nouméenne. "Nous facturons la cantine 850 F aux parents." Mais comme dans le reste de l'agglo, la somme ne couvre qu'une partie de la dépense. "Ça nous coûte le double. La commune paie le reste", relativise Maryline d’Arcangelo, adjointe au maire en charge de l’éducation.
Trois composantes pour diminuer le gaspillage
Ce mardi, à Païta, les écoliers demi-pensionnaires dans le public devaient se voir servir une salade de pommes de terre, des dés de poulet sauté, des haricots verts et un fruit de saison. Même fournisseur à Dumbéa, qui a également renouvelé l’an dernier son marché de la restauration scolaire pour le premier degré public. Mais il y avait une différence dans le plateau : pas d’entrée ! La pomme de terre a été servie avec les haricots.
C’est ce qui a fait bondir de nombreux parents l’an dernier, à l’idée qu’un élément du repas soit retiré. "Dire qu’on a supprimé les entrées est faux", défend Pierre Mestre, adjoint au maire en charge de l’action éducative. "C’est ce qu’on appelle des repas en quatre composantes ou trois composantes. On s’est rendus compte que quand les légumes étaient servis seuls, ils étaient davantage jetés. Ils sont juste mis à un autre endroit, pour que les enfants les assimilent mieux." Le nouveau marché, auquel seul Newrest a candidaté, coïncide là aussi avec une hausse de prix. Le repas est facturé 955 F, mais une partie de cette augmentation est là aussi absorbée par la municipalité.
Boeuf bourguignon façon VKP
On finit la boucle urbaine par Nouméa, qui compte en général 85 % de demi-pensionnaires dans ses écoles publiques et s'avère la plus chère des quatre. Le marché actuel de la cantine touche à sa fin, un nouveau doit être lancé cette année mais y a-t-il suspense ? Un prestataire autre que la société Newrest aura-t-il la capacité de se porter candidat ?
Hors du Grand Nouméa, la réalité varie encore. Reste une constante : le challenge de préparer beaucoup de repas, bien et vite, en intégrant des produits frais. A Voh, Brice Bachon et Nathan Poaouteta ont suivi ce défi logistique à l'entreprise Thowala, qui nourrit notamment les écoliers de la zone VKP.
Les parents à la rescousse à Lifou
La cantine, ça rend service. La preuve à Lifou, où l’école primaire de Wiwatul-Hunoj n'en avait toujours pas à la rentrée. Un bâtiment a été construit mais il manquait l'agrément du Sivap. Alors, l'association des parents d'élèves a pris les choses en main pour préparer le repas et l'apporter dans cet établissement de l'Alliance scolaire. Un reportage de Nicolas Esturgie, diffusé au JT mi-février.
On a vraiment besoin d'une cantine.
Abel Hmaloko, directeur de l’école
"Co-déjeunage" à Nouméa
Et il y a ceux qui s'en passent. Colin, Nouméen de dix ans, ne regrette pas d'avoir arrêté la demi-pension en CE1. "Parfois, je ne mangeais rien et parfois, il y avait un plat que j'aimais", glisse-t-il en citant "les spaghettis bolognaises"! "Vu qu'on n'aime pas trop la cantine, on préférait manger chez nous, mon frère et moi." Aujourd'hui en CM1, il déjeune toujours à la maison. La sienne, ou celle d'une amie ! Leurs familles se partagent en effet le temps des repas. Lundi et mardi, les enfants marchent jusque à son domicile, non loin de leur école située au Receiving, et un de ses parents rentre du travail pour les faire manger. Le jeudi et le vendredi, même chose mais chez sa camarade, où on prend la gamelle.
Après la "crise des cantines"
"Le faire toute une semaine, c’est vrai que c’est contraignant, mais deux jours par semaine, c’est gérable", apprécie Caroline Daumas, la mère de Colin. A l'origine de cette organisation, il y a l'année 2018, tristement célèbre pour son ahurissante crise dans la restauration scolaire. Entre mars et septembre, une douzaine de foyers de TIAC ("toxi-infections alimentaires collectives") ont été suspectés, impliquant près de 160 élèves malades. Et ce, après le déjeuner dans des cantines de Païta, Nouméa et Dumbéa (rapport d'expertise accessible ici). Le service avait alors été interrompu durant des semaines.
"On n’avait plus de cantine. On n’a pas eu le choix et on a décidé de poursuivre comme ça, parce que ça marchait", résume la maman de Colin. Son grand frère, lui, a renoué avec la demi-pension en arrivant au collège. "J’aime, c’est plutôt bien", déclare Jean, douze ans, qui apprécie en plus la bonne ambiance dans le réfectoire de Mariotti.
Des collèges et lycées autonomes
Quand les CM2 passent en sixième, ils découvrent souvent ce que c'est, d'avoir un repas collectif cuisiné sur place. Nombre de collèges et de lycées ont leur unité de production autonome, et leur propre chef. Idem pour des internats provinciaux comme ceux de La Foa et de Bourail. Avec des situations localisées : le collège Tuband de Nouméa nourrit Baudoux, le lycée Petro-Attiti alimente les collégiens de Rivière-Salée… En province Nord, "on a de la restauration satellite, signale encore Cindy Chauvat, cheffe de service enseignement et actions éducatives. Les internats peuvent faire les repas du primaire public. Le réfectoire de Canala accueille sur la pause méridienne aussi bien des élèves du primaire que du collège."
Le saut dans le secondaire, c'est aussi payer moins la cantine, parce que le coût du repas ne comprend pas la même chose que dans le primaire. Ce qui laisse bien des parents perplexes.
Jean-Fayard et les produits locaux
A Dumbéa, NC la 1ère s'est mise à table au collège Fayard de Katiramona. Au menu de rentrée, décrit par la jeune Leyanni, "des frites avec du poulet, de la salade de carottes et une orange, je crois". "On essaie de travailler un maximum de produits locaux, expliquait le chef cuisinier Patrick Maboumda. On est quelques établissements à faire ça depuis quelques années, avec un travail direct [entre les agriculteurs et nous]." Les enfants trient leurs déchets, tout en étant éduqués à l'équilibre alimentaire. "On les sensibilise à la quantité de nourriture qu'ils doivent prendre", citait la principale, Isabelle Fontenit-Réau. Un reportage signé Brigitte Whaap et David Sigal :
"Pour nous, c’est l’effet levier"
Voilà un site pilote du réseau Pacific food lab, connu pour son évènement Les Cantines à l'unisson qui célèbre durant plusieurs jours l’alimentation durable. "Pendant l’opération, on monte à environ 85 % de produits locaux, qui vont amener de la valeur ajoutée économique, sociale et environnementale", décrypte Charles Vuillod, manager du cluster. "Si les cantines consomment 10 % de produits locaux en plus, ça fait 450 emplois directs, indirects et induits." Pacific food lab porte cet effort tout au long de l’année. Son objectif : augmenter sur le long terme la part des produits locaux bruts, transformés et cuisinés dans les assiettes des Calédoniens. En s'appuyant notamment sur la restauration scolaire. "Quand je regarde dans le rétroviseur de ces huit dernières années, il y a eu de sacrées avancées", insiste-t-il. "Nous travaillons avec cinquante cuisines qui servent 235 réfectoires, pour 56 000 repas. La cantine, pour nous, c’est l’effet levier."
"Le bien-être de l'enfant"
"La démarche, développe le manager, est le bien-être de l’enfant à la cantine. Une grande partie passe par les produits frais et locaux mais c’est aussi l’ambiance, le bruit, la décoration… Pour qu’il passe un bon moment, et aborde l’après-midi en pleine forme. C’est d’autant plus important quand les enfants sont internes et qu’ils font les trois repas à la cantine." Ou que c'est leur seul réel repas de la journée.
Ce n’était qu’une source de problèmes et aujourd’hui, on regarde les cantines comme un potentiel dans les défis qu’on a à relever. L’image a changé. Les chefs de cantine servent à manger à 22 % de la population, et on en a conscience.
Charles Vuillod, manager du cluster Pacific food lab