Interview. Emmanuel Tjibaou, député : “Il n’y a pas lieu de construire un pays séparé. Si on est Calédonien, alors on doit construire ensemble”

Le député de la seconde circonscription de la Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Tjibaou, sur le plateau du JT de NC la 1ere, le 11 août 2024.
Le député de la seconde circonscription achève lundi 12 août une tournée de remerciement, un mois après son élection. L’occasion de prendre le pouls de la Nouvelle-Calédonie, en crise depuis trois mois.

Dégel du corps électoral, reprise des discussions sur l’avenir du territoire, reconstruction de la Nouvelle-Calédonie dont l’économie est à terre : au terme de son premier mois de mandat et après un premier déplacement à Paris, Emmanuel Tjibaou, député de la seconde circonscription, a entrepris une tournée de sa circonscription pour échanger avec les Calédoniens. Il était l’invité dimanche 11 août du JT présenté par Thérèse Waïa.

Défiance et absence de perspectives

Lors de son déplacement, qui l’a conduit de l’extrême nord à Yaté en passant par le Grand Nouméa, Emmanuel Tjibaou a constaté “une défiance envers le politique. Je le prends pour moi également, et c’est aussi pour ça que je suis allé rendre compte à ceux qui m’ont mandaté. Il y a une défiance en raison de l’impasse institutionnelle, où chacun, de part et d’autre, indépendantistes et loyalistes, a engagé des discussions sans aboutir. Il y a aussi une absence de perspectives quant à la suite de l’accord de Nouméa. Si l’on veut amener notre pays à sortir de l’impasse, il faut que ceux qui discutent soient suffisamment solides et que les discussions se nourrissent aussi des échanges : avec le patronat, la société civile, les maires, les autorités coutumières.”

Situation à Saint-Louis et au Mont-Dore Sud

Interrogé sur la situation du Mont-Dore Sud et de Saint-Louis, le député de la seconde circonscription a indiqué qu’il entendait “aller voir tout le monde. Et dire merci à ceux qui ont voté pour moi, aussi bien qu’à ceux qui se sont prononcés pour Alcide Ponga, parce que c'est aussi au travers de ce vote qu’on voit que notre pays a toujours confiance dans la reprise du débat démocratique”. Pour Emmanuel Tjibaou, le sud de la Grande Terre mérite une implication particulière car “on ne peut pas avancer sereinement dans des discussions sur l’avenir du pays en occultant les impasses. On voit des images Mont-Dore Sud ou de la tribu de Saint-Louis qui semblent d’un autre temps.”

Dégel du corps électoral

Concernant le dégel du corps électoral, déclencheur des émeutes qui ont débuté le 13 mai dernier, “c’est le sujet que j’ai évoqué en premier avec le président de la République”, lors de la rencontre à l’Elysée entre les quatre parlementaires calédoniens et Emmanuel Macron, le 25 juillet dernier. Je lui ai demandé d'arrêter de faire le tour des dictionnaires des synonymes et de dire si le texte était retiré ou pas. Il a répondu que pour l'instant, il ne pouvait plus être présenté, qu'il était suspendu. On a consulté des membres du Conseil d'État. Ils nous ont expliqué que si ce projet devait être inscrit à l'ordre du jour d'un Congrès de Versailles, les parlementaires ne pouvaient pas statuer sur un projet qu’ils n’ont pas instruit. Il faudrait donc refaire tout le circuit depuis la commission des lois, puis que le texte soit examiné dans les mêmes termes dans les deux chambres, etc. Mais ça fait partie des thématiques que le président de la République a souhaité voir inscrire au rendez-vous qu’il a proposé en septembre avec les groupes politiques.”

J'ai demandé [au président de la République] d'arrêter de faire le tour des dictionnaires des synonymes et de dire si le texte était retiré ou pas.

Emmanuel Tjibaou

Le “nous” pour “construire ensemble”

À l’heure où la Nouvelle-Calédonie est divisée, quelle sera sa stratégie pour rétablir le dialogue entre Calédoniens et trouver une issue à la crise institutionnelle ? Sur ce point, Emmanuel Tjibaou se veut à la fois franc et rassembleur : “Ma stratégie, c’est de faire comme j’ai toujours fait, c’est-à-dire d’aller au-devant. Que les gens soient contents ou pas contents, je suis le député de tous les Calédoniens. J’ai décidé de prendre cette charge, c’est aussi l’opportunité de faire avancer un peu plus le projet dans lequel le pays est inscrit, dans l’accord de Nouméa. C’est-à-dire que l’Etat accompagne la Nouvelle-Calédonie vers sa pleine émancipation. Je dis à ceux qui ne lisent pas l’accord de le lire jusqu’à la fin, parce que c’est marqué. Et c’est la perspective dans laquelle je m’engage. Mais je veux aussi rassurer sur le projet que je porte, celui que j’ai défendu, celui du “nous”. Le “nous” que les indépendantistes ont inscrits depuis 1983 dans l’accord de Nainville-Les-Roches, qui a été rejeté dans le statut Lemoine, mais qui a été conforté en 1988 avec les accords de paix et de rééquilibrage de Matignon-Oudinot, puis en 1998. C’est toujours ce “nous” pour moi qui fait sens. Il n’y a pas lieu de construire un pays séparé. Pour moi, si on est compatriotes, si on est nationaliste, si on est Calédonien, alors on doit construire ensemble.”

C’est toujours ce “nous” pour moi qui fait sens. Il n’y a pas lieu de construire un pays séparé.

Emmanuel Tjibaou

Reconstruire, mais différemment 

Priorité du mandat du député qui siège dans le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), la reconstruction du territoire. Emmanuel Tjibaou siège d’ailleurs, comme le député de la 1ere circonscription Nicolas Metzdorf, dans la commission des finances.  Les deux élus “ont engagé une démarche auprès du ministère de l’Economie. Parce que malgré les annonces qui avaient été faites sur les assureurs et les établissements bancaires, on a été obligés de relancer. Des émissaires [du ministère de l'Economie] ont été envoyés, afin de reprendre finalement lien avec les patrons et le gouvernement sur la poursuite des objectifs de reconstruction. À une dimension près pour moi : la réponse ce n'est pas simplement injecter des liquidités, c'est de reconstruire différemment. Parce que si on pense que la réponse c’est juste de la trésorerie dans les caisses de la Nouvelle-Calédonie, on se retrouvera dans 30 ans avec les mêmes problématiques. Donc il faut aussi revoir les politiques publiques : la jeunesse de la province sud, l’éducation, l’habitat, etc." Mais pour Emmanuel Tjibaou, il va aussi falloir “répondre aux besoins primaires. Il y a déjà des gens qui sont en train de manger un repas par jour.”

Si on pense que la réponse c’est juste de la trésorerie dans les caisses de la Nouvelle-Calédonie, on se retrouvera dans 30 ans avec les mêmes problématiques.

Emmanuel Tjibaou

Commission d’enquête parlementaire

Lors de son entretien avec Thérèse Waïa, le député de la seconde circonscription est aussi revenu sur “la responsabilité de l’Etat, puisqu’il est garant de la sécurité et des personnes”, confirmant qu’une demande devrait être formulée au futur gouvernement pour le remplacement du représentant de l’Etat. 

Emmanuel Tjibaou a par ailleurs annoncé avoir entrepris des démarches “avec les groupes du Nouveau Front populaire, les députés Bastien Lachaud, Arthur Laporte” pour la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire, afin que la lumière soit faite “sur les exactions dans Ducos, sur les assassinats ou les milices. Ça fait partie prérogatives parlementaires et on en a discuté déjà avec le sénateur Robert Xowie et les parlementaires du groupe GDR." 

Le 24 septembre, fête de la citoyenneté

À la question d'un internaute sur les signes identitaires la possibilité d’avoir, par exemple, un “drapeau qui unit”, Emmanuel Tjibaou a répondu que “l’on a déjà une terre qui nous unit. On a une histoire qui nous rapproche certainement. Il y a eu un débat qui s'est tenu sous l'égide de Déwé Gorodey lorsqu'elle était au gouvernement et qui a abouti à la devise, c’est-à-dire "Terre de parole, terre de partage". Je pense que déjà on peut travailler sur ça, et que chacun apprenne l'hymne de notre pays. Je pense qu'on peut aussi commémorer le 24 septembre qui arrive la fête de la citoyenneté. C'est aussi une occasion de célébrer ce qui fait qu'on fait pays finalement."

"Le 24 septembre, c’était le jour du deuil kanak pour les indépendantistes. Et puis, à partir de du gouvernement collégial, on a dit : c’est le jour de la citoyenneté, parce que c'est le jour finalement où deux communautés se sont rencontrées, et parce que l’accord de Nouméa, il y avait le projet de constituer un nouveau projet de société - qui pour nous les indépendantistes, va vers l'indépendance. C'est à ça que nous, on croit. Et finalement, le 24 septembre, c'est ce que je vais faire, moi, célébrer", a conclu Emmanuel Tjibaou.

Revoir l'entretien d'Emmnauel Tjibaou avec Thérèse Waïa :