La Sonarep liquidée : ce que révèle la décision du tribunal de commerce

Le tribunal mixte de commerce à Nouméa le 17 mars 2023.
Une semaine après la liquidation judiciaire de la société minière Sonarep, exploitante sur le massif de Poum, NC la 1ère révèle les motivations du tribunal de commerce de Nouméa. On apprend ainsi qu’une plainte pour escroquerie et abus de biens sociaux a été déposée, ce qui pourrait entraîner une procédure pénale.

Une cascade de dettes, et une hémorragie financière qu’il a fallu interrompre. Le 11 juillet, la société minière La Sonarep, qui employait 88 salariés sur le massif de Poum, a été placée en liquidation judiciaire, sur décision du tribunal mixte de commerce de Nouméa, après une période de onze mois en redressement judiciaire. Un choc dans le monde minier, une terrible nouvelle pour le développement économique de l’extrême Nord et une inquiétude grandissante pour toutes ces familles qui vivaient de l’exploitation du nickel et qui ne savent pas de quoi demain sera fait.

1,843 milliard de francs de créances déclarées

Au-delà de l’émotion légitime provoquée par cette liquidation, le jugement de la juridiction commerciale révèle des dysfonctionnements graves au sein de l’entreprise, étranglée par une situation financière abyssale qu’il semblait impossible de surmonter. "À plus de onze mois de période d’observation [de redressement judiciaire], la SA Sonarep n’a pas démontré qu’elle est en mesure de poursuivre son activité sans engendrer de nouvelles dettes", précise le tribunal, alors même qu’elle a déjà bénéficié, dans le cadre de son redressement judiciaire, du "gel du recouvrement des créances antérieures à la procédure".

Initialement déclaré à hauteur d’environ 284 millions de francs, le passif "s’est révélé bien supérieur avec 1,843 milliard de francs de créances déclarées", pointe le jugement. Le document révèle aussi que la mandataire judiciaire Mary-Laure Gastaud est à l’origine, en mai dernier, de la demande de "convertir la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire" de l’entreprise.

Plainte pour "escroquerie en bande organisée et banqueroute"

Elle soutient alors que des "conflits de gouvernance à l’origine de plusieurs changements de gérance pendant la période d’observation et de contentieux devant des juridictions locales" avaient pu perturber et déstabiliser la société. Elle affirme aussi que les difficultés sont consécutives "d’une plainte contre l’ancienne et l’actuelle direction pour faux et usage de faux, abus de confiance, escroquerie en bande organisée et banqueroute" après la découverte de "nombreux dysfonctionnements graves". Un élément qui, s'il était avéré, pourrait entraîner une procédure pénale. La mandataire évoque, enfin, un conflit qui perdure avec son principal client, la SLN, "d’autant plus qu'elle a stoppé provisoirement l’activité sur le centre minier de Poum"

Aucune comptabilité n’a été établie depuis l’ouverture de la procédure collective.

Extrait du jugement

Un mois plus tard, la Sonarep, par la voix de ses avocats, demandait au tribunal de débouter Mary-Laure Gastaud. Pour sa défense, elle indiquait que "les agissements de la direction susceptibles de recevoir une qualification pénale ne sont pas justifiés". Plus intéressant encore, elle déclarait que la SLN avait pris "l’engagement de signer de nouveaux contrats", dans l’hypothèse "où elle obtiendrait le renouvellement de la province Nord de ses autorisations d’exploiter sur le massif minier de Poum".
Le dernier round remonte au 6 juillet. À l’audience du tribunal de commerce, la mandataire judiciaire a maintenu sa demande de liquidation judiciaire, rappelant "qu’aucune comptabilité n’a été établie depuis l’ouverture de la procédure collective et qu’il n’y a pas de commissaire aux comptes depuis 2021".

Un résultat d’exploitation déficitaire

L’administrateur judiciaire a précisé que la Sonarep devait encore régler six millions de francs à la Cafat et que "le résultat d’exploitation est déficitaire de 118 millions de francs au 30 juin 2023". Le coup de grâce a été porté par le ministère public qui ne s’est pas opposé à la liquidation judiciaire, arguant du fait que "les fautes de gérance et les plaintes contre la gérance peuvent tout à fait être prises en compte pour considérer que le redressement est manifestement impossible". Le parquet a ainsi pointé "des projections erronées et largement surévaluées", un "manque total de clarté" sur les éléments financiers et l’absence "d’engagement réel" de la SLN.

Après une semaine de délibéré, la décision tombe. Le tribunal rappelle ainsi dans sa motivation que l’entreprise à actionnariat populaire - elle est détenue à 56 % par plus de 200 familles de la région de Poum - "n’a pas été en capacité de redresser sa situation par la poursuite de son activité. Son résultat d’exploitation, négatif pendant la période d’observation, est de plus en plus déficitaire et son chiffre d’affaires est en baisse alors que la trésorerie peine à se reconstituer."

La SLN ne peut s’engager envers la Sonarep pour lui réserver l’exploitation des gisements sur Poum, n'étant elle-même pas autorisée à les exploiter.

Extrait du jugement

Pour justifier cette liquidation, la juridiction a également souligné que, "malgré de multiples relances de l’administrateur judiciaire et du mandataire judiciaire", la Sonarep n’a pas été en mesure de justifier “d’une attestation d’assurance en responsabilité civile, qui, si elle n’est pas obligatoire, est fortement recommandée compte tenu des diverses activités de la société dans la mesure où elle permet de couvrir les risques qui ne peuvent pas être supportés par la trésorerie." Pas plus qu’elle n’a communiqué "de situation économique et financière, les derniers bilans transmis datant de 2021, soit antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, et aucun flux de trésorerie, ni compte de résultat sur la période d’août 2022 à ce jour, n'ayant été produit." Pas plus, encore, qu’elle n’a nommé de commissaire aux comptes "pourtant obligatoire".

"Nous allons faire appel"

La présidente et les juges consulaires ont enfin considéré que la Sonarep n’avait produit "aucun contrat" avec la Société Le Nickel, "pourtant seul moyen de sécuriser un plan de redressement. Il résulte du courrier du directeur général de la SLN du 4 juillet 2023, qu’à ce jour, la SLN ne peut s’engager envers la Sonarep pour lui réserver l’exploitation des gisements sur Poum, n'étant elle-même pas autorisée à les exploiter." Conséquence, l’entreprise "ne justifie d’aucune perspective fiable de redressement […] Aucun élément ne démontre une volonté réelle et certaine des dirigeants de redresser la situation économique et financière de la société." La société est liquidée.

Contacté par la rédaction, l’avocat de la Sonarep, Me Nicolas Million, signale qu’un "appel" de la décision du tribunal de commerce "sera réalisé dans les plus brefs délais" et qu’un référé sera également déposé prochainement pour suspendre l’exécution du jugement.

En complément, ce point de situation de Nathan Poaouteta, diffusé au JT le 19 juillet

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