Saint-Louis : les caillasseurs de Carsud condamnés

La RP1 dans la traversée de Saint-Louis, le 31 juillet 2022.
Deux frères originaires de la tribu de Saint-Louis, au Mont-Dore, ont été condamnés, ce vendredi, à de la prison ferme pour avoir harcelé les automobilistes, conducteurs et passagers de bus, ainsi que les gendarmes, à coups de jets de pierre, entre mars et juillet 2022. Avec à la clé des blessés, et un lourd préjudice financier.

Au quotidien, ils étaient nombreux à emprunter la traversée de Saint-Louis la peur au ventre. Entre mars et juillet 2022, au Mont-Dore, les automobilistes et les chauffeurs de Carsud ont été harcelés par d’incessants caillassages sur la RP1 à hauteur de la tribu de Saint-Louis. Obligeant le réseau Tanéo à prendre une décision radicale en juin : suspendre une partie de ses lignes dans le Grand Nouméa.

Investigations

Face à cette escalade de la violence, les autorités ont pris la problématique au sérieux et au sein de la compagnie de gendarmerie de Nouméa, les enquêteurs de la brigade de recherche se sont mis en quête des fauteurs de troubles. Trois habitants de la tribu ont dénoncé anonymement certains membres de cette bande qui pouvait caillasser jusqu'à plusieurs véhicules par jour. Après des mois d’investigations, différents suspects ont été placés en garde à vue. Deux d’entre eux, des frères de 19 et 21 ans, ont été jugés devant le tribunal correctionnel de Nouméa, ce vendredi 26 mai.

Un week-end de Pentecôte violent

La justice leur reprochait une série d'agressions, notamment au cours du week-end de la Pentecôte, particulièrement violent. Pas moins de quatre bus avaient été pris pour cible en l'espace de deux heures, dont un avec des passagers à bord. Un autre véhicule avait carrément eu cinq vitres brisées. Les images de ces dégâts avaient fait le tour des réseaux sociaux et une action ”journée morte” avait été organisée à l’époque, afin de "trouver des solutions de sécurisation" sur ce tronçon « pour pouvoir travailler en toute tranquillité et sécurité".

"En grande insécurité"


En juillet encore, la mairie du Mont-Dore et des habitants, exaspérés, déploraient une nouvelle série de jets de pierre. "Il y a une recrudescence [des actes de délinquance à Saint-Louis] qui coïncide avec une sortie un peu massive de jeunes qui avaient été incarcérés au Camp-Est, et donc les bandes se reconstituent", avait admis, à l'époque, le haussaire Patrice Faure.

Le dimanche 3 juillet, vers 14h30, à une entrée de la traversée de Saint-Louis.


"Les chauffeurs mais aussi les usagers étaient en grande insécurité. Certains occupants de véhicules ont été blessés", a souligné la présidente du tribunal Sylvie Morin, ce vendredi. Elle révèle que les délinquants agissaient avec un mode opératoire bien précis : "Un jeune faisait ralentir les voitures ou les bus en se mettant au milieu ou sur le bord de la route et les autres en profitaient pour caillasser.”

Ils en pensaient quoi, les vieux de la tribu, des caillassages ?

La présidente du tribunal, le 26 mai 2023

"On était saouls, aussi"

Toujours les visages dissimulés, cachés dans les hautes herbes, “vous agissiez à chaque fois aux mêmes horaires, souvent quand la nuit tombait, et aux mêmes endroits : au carrefour de la première entrée de la tribu, à Karipitchou, ou encore au niveau du pont de la Thy”. Une fois les cailloux jetés, les agresseurs jouaient au chat et à la souris avec les gendarmes appelés en renfort.
A la barre, les prévenus écoutent mais ne disent pas grand-chose. Ils sont peu connus de la justice. L’un d'eux vient de signer un CDI dans une entreprise au Mont-Dore. L'autre va commencer des stages. "On était saouls quand on a fait ça, aussi", se défend maladroitement l’un d’eux. Quant à leurs motivations, elles demeurent floues. “Certains se plaignaient du prix du billet de bus”, lâche la présidente, qui poursuit : “Ils en pensaient quoi, les vieux de la tribu, des caillassages ? Ils venaient vous voir pour vous dire d’arrêter, ou ils ne disaient rien car ils ont peur de vous ?” La magistrate n’aura aucune réponse sur ce point.

"Revendications politiques", "bêtise" et "méchanceté"

Le procureur de la République Hervé Ansquer voit plutôt dans ces agressions à répétition “l’expression d’une hostilité irraisonnée contre tous ceux qui ne sont pas de la tribu de Saint-Louis. Derrière les caillasages des gendarmes, il y a des revendications politiques, mais les autres ? Ceux qui partent ou rentrent du travail ? Ceux qui sont dans les transports en commun ?” Le représentant du ministère public parle de la “bêtise insigne” et de la “méchanceté” des prévenus. Au total, ils s’en sont pris à six voitures, un véhicule des pompiers, six patrouilles de gendarmerie et six bus Carsud.

“Il faut voir les photos au dossier, qui traduisent des faits d’une grande violence. Les vitres explosées des bus… Imaginez la peur des usagers lorsqu’ils ont vu les cailloux s’abattre sur eux, cela aurait pu être dramatique”, dénonce Me Aurélia Violle. L’avocate représente Carsud, qui gère au sein du réseau Tanéo une flotte de 74 bus, de Plum à Tontouta. Elle insiste sur le fait que les cars “ne sont pas blindés comme les véhicules de gendarmerie. Lorsqu’un bus est caillassé, il est retiré du service pour être réparé. C’est donc un bus en moins dans le réseau, et donc moins de passage et donc, l’entièreté du réseau qui est pénalisée.” Et les réparations des véhicules ont un coût : Carsud a déploré plus de deux millions de francs de dégâts.

Prison ferme et sursis simple

Après en avoir délibéré, les prévenus ont été condamnés :

  • pour le premier, à deux ans de prison, dont un an avec sursis simple,
  • et pour le second, à 18 mois de prison, dont neuf mois avec sursis simple. 

Le juge d’application des peines décidera prochainement de la manière dont ils purgeront leur peine. Bracelet électronique ? Semi-liberté ? L'incarcération au Camp-Est n'est pas à exclure. Ils devront, en outre, débourser presque un million de francs de dommages et intérêts pour la société Carsud, les gendarmes et les automobilistes visés. “Ce sont des sommes considérables, à la hauteur de la gravité de vos actes, a conclu la présidente. Des chauffeurs de bus ou des particuliers auraient pu perdre le contrôle et perdre la vie dans une sortie de route.”