"Une belle île !" C'est la première impression de Wen-Han Chang et Chih-Ming Cheng, en survolant la Calédonie. Alors que l'avion descend vers l’aéroport international de Tontouta, lundi 13 mai, le couple apprécie la vue et la couleur du lagon. Originaire de Taïwan, il devait séjourner au Vanuatu. Mais "un jour avant de partir en voyage, nous avons réalisé qu'Air Vanuatu rencontrait des problèmes. Nous avons changé nos plans", explique Chih-Ming.
Repérée sur la carte
Sur la carte, les deux habitants de Taipei repèrent la Calédonie. Sans rien savoir du contexte très tendu autour du corps électoral, et de ce projet de loi que les députés s'apprêtent alors à examiner. A l'aéroport, premiers indices qu'il se passe quelque chose, on leur parle de magasins fermés et de grève. "À Taiwan, nous n'avons pas vraiment de grève dans la rue. On s'est dit qu'on allait en faire l'expérience…"
"On a vu beaucoup de feux"
À lui seul, le trajet entre Tontouta et Nouméa n'est pas banal. "On a vu beaucoup de feux. C'était terrible parce que le feu était très près de nous, on sentait la chaleur en passant." Dans le col de la Pirogue, où des opposants au dégel du corps électoral se sont installés, il faut en effet passer entre les obstacles et longer une succession de pneus enflammés.
Grosses fumées noire
"Arrivés en ville, on a vu beaucoup de gens avec leur drapeau, ils klaxonnaient. J'ai pensé, c'est pacifique, mais aucun magasin n'est ouvert." C'est en allant faire du palme - masque - tuba le lendemain, à l'îlot Signal, que le malaise s'installe. "On a vu de grosses fumées noires au-dessus de la ville et à ce moment, on ne savait pas ce que c'était." Ce jour-là, les énormes incendies volontaires se succèdent : usine, stock de médicaments, supermarché… "A notre retour, la situation n'était plus la même : il n'y avait vraiment personne sur la route." Et à l'hôtel, ils apprennent qu'un couvre-feu est instauré, de 18 heures à 6 heures du matin. "On a fini par comprendre à quel point c'était sérieux."
Pas d'anniversaire à l'île des Pins
Le mercredi 15 mai, plus question de passer la journée à l'île des Pins comme c'était prévu pour fêter les 39 ans de Wen-Han. De toute façon, il n'y a pas d'avion pour y aller. Même l'aéroport international est fermé. En cours de journée, les députés français votent la réforme constitutionnelle qui doit élargir le corps électoral calédonien. Ce que souhaitent les partisans du maintien de la Calédonie dans la République française, mais refusent les indépendantistes.
"Ils se préparent à la guerre civile"
À un moment, les Taïwanais vont marcher sur les baies avec Yikai, un touriste britannique. "Je crois que c'est ce qui nous a fait le plus peur", raconte celui-ci. "Des groupes de gens nous ont dit de rentrer à l'hôtel. On a vu de nombreuses barricades. Ils amenaient des pierres depuis une digue pour les renforcer…" Les trois touristes assistent en direct à la fermeture des quartiers Sud par des habitants qui s'organisent pour se protéger. "J'ai vu des gens avec des gilets pare-balles, des fusils de chasse, des gros calibres. Des gens qui disaient qu'ils se préparaient à la guerre civile. Ce n'est pas une situation idéale, pour un touriste !"
Nouméa plutôt que Honiara
Et lui aussi, se retrouvait sur le Caillou presque par hasard. D'Angleterre, Yikai était allé en Chine rendre visite à sa famille, puis il a continué son voyage par HongKong, Fidji et Port-Vila. Apprenant la liquidation d'Air Vanuatu, le jeune homme de 27 ans a hésité entre aller plutôt aux îles Salomon ou faire escale en Calédonie. S'il avait su. "Je crois qu'on est les touristes les plus malchanceux du monde !", lance-t-il avec dérision.
Sentiment d'abandon
Australiens, Néo-Zélandais, Japonais, Sud-Africain… De nombreux ressortissants étrangers se sont vus piégés par l'embrasement soudain des quatre principales villes calédoniennes. Et se sont sentis bien seuls, sans communication officielle susceptible de les rassurer et de les informer sur la suite. Avec des ambassades et consulats qui ont réagi de manière différente.
"On veut juste être évacués"
Yikai rapporte son expérience en la matière : "Je leur ai dit, vous n'avez aucune idée d'à quel point c'est sérieux, ici. Il faut que vous appeliez les hôtels pour dresser une liste des citoyens anglais. Comme ça, si les choses tournent vraiment mal, vous saurez où on est. Si quelqu'un attaque l'hôtel, qu'est-ce que je fais ? Ils ont dit : si ça arrive, rappelez-nous." Ce n'est pas arrivé. Reste que la Calédonie est placée en état d'urgence et que les vols sont annulés jusqu'au moins la semaine prochaine. "On ne sait pas du tout quand on va pouvoir partir. Vraiment, on veut juste être évacués."
C’est catastrophique. On a déployé une énergie folle pour développer l’image de la Calédonie et en quelques jours, on a détruit cette image. Il va falloir des mois, des années, pour la reconstruire.
Sébastien Plaquet, directeur d'hôtel
Voyez aussi le reportage de Valentin Deleforterie et Christian Favennec