C'est finalement quelques minutes après minuit que le texte a été solennellement adopté dans son intégralité. Aussitôt défendus, aussitôt rejetés, la centaine d'amendements étudiés mardi après-midi dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale a été rejeté, chacun campant sur les mêmes positions que la veille.
Comme le Sénat, l'Assemblée nationale a validé le projet de loi constitutionnel, alors que la violence est en pleine escalade sur l'archipel. Tout l'après-midi, les députés ont poursuivi l'examen du texte visant à dégeler le corps électoral pour les élections provinciales. Hier déjà, la gauche avait demandé le retrait du texte, face à un gouvernement et un rapporteur, le député calédonien Nicolas Metzdorf, qui se sont fait plus discret, donnant simplement des avis défavorables à chaque amendement. Ce mardi après-midi, des militants indépendantistes se sont réunis près des Invalides à Paris, pour demander le retrait du texte.
"J'interpelle le président de la République" s'est exclamée la députée LFI, Sophia Chikirou. "Nous demandons une mission de dialogue et la suppression de ce texte de loi. Vous menez à des troubles en Nouvelle-Calédonie ! " a-t-elle poursuivie, défendant l'un de ces nombreux amendements. "Je ne pense pas que ces amendements permettent d'avancer sur le débat qui nous importe" a rétorqué Aude Luquet, députée MoDem. "Ce que nous avons essayé de faire avec ces amendements, c'est qu'il y ait un débat dans cette Assemblée nationale" a ensuite affirmé l'insoumis Antoine Léaument. Il répondait à une remarque de Gérald Darmanin soulignant qu'un amendement déposé visait à remplacer "saisit" par "qui sont saisi". Amendement rejeté.
Groupe de contact
Pour tenter de faire baisser les tensions entre les parlementaires, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet avait initié un groupe de contact avant la reprise des débats, regroupant tous les présidents de groupes et les élus calédoniens. Cette initiative visait à recentrer le débat sur le dégel du corps électoral, et à inciter, notamment les députés insoumis, à retirer les amendements qui s'égareraient du cœur du sujet. Les députés ultramarins, Tematai Le Gayic et Davy Rimane, ont de leur côté choisi de retirer leurs amendements. D'autres ont également suivi cette voix au fil de la soirée. Pour le député Rimane, président de la délégation outre-mer à l'Assemblée, si le gouvernement juge que l'adoption du texte constitutionnel permettra de baisser les tensions sur place, ils devront prendre leurs responsabilités en cas d'échec.
Ce vote va écrire l'histoire, mais comme toujours par le passé, ce sera toujours à l'encre coloniale.
Frédéric Maillot, député de La Réunion
"Compte tenu de ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, en ce moment à Nouméa, particulièrement, nous appelons collectivement au calme, à la reprise du dialogue", a déclaré Yaël Braun-Pivet au perchoir après environ une heure de réunion." Nous sommes en train de violer les accords de Nouméa" qui stipulaient que le corps électoral était gelé jusqu'à ce qu'un nouvel accord global soit trouvé, affirme Bastien Lachaud, député insoumis.
Le texte adopté solennellement
Après encore plusieurs heures de débats moins agités que lundi, l'article 1 a été adopté à 135 voix contre 70. Scandaleux pour les députés de gauche qui défendaient toujours le retrait du texte.
L'article 2 du projet de loi constitutionnel vise à annuler ledit texte si un accord global était trouvé avant le 1ᵉʳ juillet prochain. "Bizarrerie législative" pour le député socialiste Delaporte. "Supprimer l'article 2, ce serait supprimer la chance d'un accord. C'est tout le contraire de ce que nous voulons", lui répond Gérald Darmanin défendant son texte. Voyant le débat s'éterniser, et quelque peu tourner en rond, les groupes écologiste, GDR et socialiste ont décidé de retirer leurs amendements vers 22 heures ce mardi.
L'hémicycle s'est rempli et les débats se sont de nouveau tendus dans la dernière heure de discussion. "Vous êtes arcboutés dans votre posture coloniale" s'est exclamé le Martiniquais Jean-Philippe Nilor. Et Gérald Darmanin de répondre "Je n'ai aucune notion de démocratie et d'histoire coloniale à recevoir". L'article 2 a finalement été adopté par l'Assemblée nationale, 178 voix pour contre 73 voix, avant de passer au vote solennel, dans un hémicycle rempli. Le texte a finalement été adopté à 351 voix contre 153.
"Après l'adoption de ce texte, il va être suspendu. Cet accord global, je fais partie de ceux qui l'espèrent. Ne donnez pas le sentiment que cet accord global n'est pas possible. C'est le seul espoir. C'est un véritable espoir que nous sortions le pays de l'ornière.
Philippe Dunoyer, député calédonien, ovationné par une large partie de l'Assemblée.
La gauche consternée, la majorité veut désormais discuter
"L'important, c'est l'apaisement. L'important, c'est le dialogue. L'important, c'est la construction d'une solution commune, politique, globale", avait déclaré Gabriel Attal devant l'Assemblée nationale pendant la séance de questions au gouvernement plus tôt dans la journée. Pour "trouver un accord politique le plus large possible avec les indépendantistes et les non-indépendantistes", il a également appelé "les responsables politiques calédoniens à saisir cette main tendue. À l'issue du vote, Gérald Darmanin a rappelé la volonté du gouvernement de poursuivre les discussions pour trouver un accord global. Dimanche, Emmanuel Macron avait en effet promis d'inviter tous les acteurs calédoniens à reprendre les discussions, une fois le texte adopté par l'Assemblée nationale, en assurant qu'il ne convoquerait pas le Congrès de Versailles "dans la foulée" pour valider l'entrée le texte dans la Constitution.
À la sortie de l'hémicycle, le député insoumis Bastien Lachaud, qui a largement soutenu le retrait du texte, se dit consterné. "Ce sont les accords de Nouméa qui sont déchirés, estime-t-il. Le gouvernement porte la responsabilité totale de tout ce qui va advenir par la suite." Le rapporteur du texte, le calédonien Nicolas Metzdorf est lui apparu fier de l'adoption du texte. "Aujourd’hui, la violence a perdu, les menaces ont perdu. La démocratie a gagné, a-t-il défendu. Ce soir, je suis particulièrement fier d’être français. J’ai une pensée pour tous les Calédoniens qui ont résisté pendant deux jours." Le député calédonien a conclu en affirmant qu'il allait prendre contact avec les "leaders indépendantistes" pour organiser la suite des discussions. "Ce vote démontre pour eux que c’est l’échec de la stratégie de la CCAT" a-t-il terminé.