Dans les archives territoriales de Martinique, recensant les hommes mobilisés pour combattre auprès des soldats français lors de la Première Guerre mondiale, on ne trouve que peu de détails sur la vie de Léon Nubul, si ce n'est qu'il est né le 5 avril 1892 au Vauclin, qu'il est "cultivateur" et qu'il mesure 1,67 mètre. Léon est envoyé loin de chez lui, au sein du 2ᵉ régiment de marche d'Afrique, déployé sur le front d'Orient, contre l'armée ottomane. Le 22 mai 1915, il est porté disparu lors de la bataille de Gallipoli, en Turquie actuelle. On ne l'a jamais revu. Dans sa commune natale, on le déclare "mort pour la France". Il avait 23 ans.
Comme Léon Nubul, 9.000 Martiniquais ont été combattre aux côtés de la France lors de la Grande Guerre de 1914-1918, dont on célèbre l'Armistice le 11 novembre. 2.000 d'entre eux ne sont jamais revenus en Martinique, alors encore une colonie française.
Ces combattants, qui ont traversé l'Atlantique pour participer à l'effort de guerre, ont complètement été oubliés de la mémoire collective, déplore Carla Davanne, présidente de l'Association Pays d'Étain Martinique (APEM).
Petite commune de l'est de l'Hexagone située à quelques kilomètres de Verdun, Étain a été détruite à 93 % lors de la Première Guerre mondiale. Pendant la reconstruction, des Martiniquais sont venus donner un coup de main. Depuis, le lien ne s'est jamais distendu avec l'île antillaise. Étain est même jumelée avec la commune du Vauclin.
"Faire en sorte qu'ils ne soient pas morts en vain"
L'APEM, qui organise plusieurs évènements mémoriels et culturels avec la Martinique, s'est ému du peu de reconnaissance conférée aux combattants antillais."C'est à nous de faire en sorte que ces morts de Martinique ne soient pas morts en vain", revendique l'association meusienne.
Pour l'armistice de cette année, Carla Davanne a donc réclamé au directeur de l'Ossuaire de Douaumont, immense lieu mémoriel situé non loin de Verdun, de faire inscrire le nom de soldats martiniquais sur une pierre gravée dans l'enceinte de l'édifice. Seuls les combattants dont on connait le lieu où ils sont morts, sans savoir où sont les corps, peuvent avoir leur nom gravé. L'APEM en a identifié 47 pour la Martinique.
Mais face au peu d'espace restant, le directeur suggère alors un monument, pour rendre hommage à l'ensemble des combattants martiniquais. Carla Davanne entre donc en contact avec Hervé Beuze, un artiste originaire du Vauclin, et lui propose de réaliser une sculpture. Il a ainsi passé quelque temps en Lorraine, taillant sans relâche la pierre de Savonnières, typique de la région.
Sur les traces des Poilus
Son œuvre, terminée il y a quelques semaines, montre un homme antillais, vêtu de l'habit bleu horizon des Poilus français, sortant d'une tranchée. Haut de 2,80 mètres, le monument a été déplacé fin octobre de l'atelier jusqu'au "carré Outre-marin", un espace consacré aux soldats d'Outre-mer dans le village détruit de Douaumont. La Réunion y possède déjà son mémorial.
Depuis le 7 novembre, une délégation martiniquaise d'une soixantaine de personnes est arrivée dans la Meuse, accueillie par Carla Davanne et l'APEM. Ils sillonnent depuis la région, sur les traces des soldats martiniquais. Des présidents d'associations patriotiques et d'anciens combattants ont fait le déplacement, ainsi que plusieurs élèves de l'option Croix-Rouge de la délégation territoriale de la Croix-Rouge française de l'île.
Dimanche 12 novembre, ils doivent assister à l'inauguration du monument à Douaumont. Deux jours plus tard, le 14 novembre, ils découvriront les trois noms de soldats martiniquais qui ont été gravés au sein de l'Ossuaire. Carla Davanne préfère garder le secret sur l'identité de ces trois Poilus. "Au moins, la Martinique est représentée" dans ce sanctuaire de la Première Guerre mondiale, souffle-t-elle, soulagée.