La sélection livres de septembre

L'écrivaine américaine Toni Morrison lors du Festival America à Vincennes, en septembre 2012
Toni Morrison, Maryse Condé, Stephen Carter... Quelques ouvrages de la rentrée littéraire, et quelques autres.
La rentrée littéraire 2012 comptera environ 650 livres, français et étranger, principalement des romans, dont la publication s’étalera de la fin août jusqu’au mois d’octobre. Comment s’y retrouver parmi ces centaines d’ouvrages disposés dans les rayons des librairies et des grandes surfaces ? Où dénicher la perle rare qui nous fera vibrer au fil des pages ? Mon conseil : sans relâche, farfouillez, fouinez, chinez, traquez, feuilletez, demandez, exigez… et vous trouverez. Et si vous souhaitez recommander un livre, écrivez-moi à cette adresse : philippe.triay@francetv.fr. Votre suggestion apparaîtra dans notre sélection du mois d’octobre.

 

Romans


L’une des perles de la rentrée, c’est incontestablement Home (Christian Bourgois éditeur, 17 euros), de l’écrivaine afro-américaine Toni Morrison (prix Nobel de littérature en 1993). Ce roman concis et ciselé aborde les thèmes chers à la romancière comme l’histoire et la place des Afro-américains aux Etats-Unis, la condition des femmes, la violence sociale, la guerre et la pauvreté. Toni Morisson continue également l’exploration de la ruralité américaine, plus particulièrement du Sud profond (en l’occurrence la Géorgie), où dans les années cinquante, discrimination légale, racisme, humiliations quotidiennes et lynchages font d’innombrables dégâts physiques et psychologiques.

Avec son habituelle puissance de narration, Toni Morrison raconte les errances de Frank, démobilisé et médaillé de la guerre de Corée, et de sa sœur cadette, Ycidra, dite Cee, séparés dans leur jeunesse. Avec eux, nous cheminons dans l’Amérique, ses grandes villes impitoyables, ses campagnes désolées, sa cruauté confinant au sadisme. De manière presque clinique, et le détachement de celle qui aurait déjà connu les abysses de l’enfer, la romancière détaille le mal avec une insupportable minutie.

Par bonheur, l’espoir émerge aussi de ce livre. Grâce à la solidarité humaine, l’amitié, la résistance opiniâtre des femmes, l’amour, et la volonté, des êtres brisés parviennent à une forme de rédemption. « Rien ni personne n’est obligé de te secourir à part toi. Sème dans ton propre jardin », affirmera Cee. « Quelque part au fond de toi, il y a cette personne libre dont je parle. Trouve-là et laisse-là faire du bien dans le monde ». Par delà la désespérance, Toni Morrison ouvre les chemins de tous les possibles. Welcome « Home ».

A noter sur vos agendas : la 10e édition du Festival America, consacré aux littératures et cultures d’Amérique du Nord, se tiendra à Vincennes du 20 au 23 septembre. Quelques 75 auteurs venus de 13 pays des Amériques seront présents, dont Toni Morrison, invitée d’honneur du festival, et Lyonel Trouillot (Haïti).

Restons aux Etats-Unis, avec un changement radical de décor, où plus exactement de classe sociale. Ici, nous pénétrons dans le Saint des Saints de l’Amérique noire. Une Amérique méconnue, qui a commencé à émerger depuis l’abolition de l’esclavage. Une Amérique qui s’est forgée à force de détermination et de travail sur le modèle de l’Amérique blanche, envers laquelle elle entretient des sentiments et des relations ambivalents. L’Amérique noire, c’est aussi une communauté qui, à travers ses multiples réseaux d’influence, pèse d’un poids énorme sur les décisions politiques, économiques et sociales des tenants du pouvoir.

Avec Un Roman américain (paru en janvier), Stephen L. Carter nous entraîne dans l’univers de cette « élite » afro-américaine, la haute bourgeoisie oligarchique qui possède ses propres codes, ses clubs fermés, ses intrigues de cour et ses luttes d’influences. Le romancier est un orfèvre qui met en scène avec jubilation un monde qu’il connaît bien. Juriste, professeur de droit à la prestigieuse université de Yale, Carter a également été le conseiller du président Bill Clinton, soit au cœur du pouvoir. Il est aussi l’auteur d’une dizaine d’essais sociopolitiques et de nombreux romans dont deux ont été traduits en français : Echec et mat (Robert Laffont, 2003, traduit dans 17 pays !) et La Dame noire (Robert Laffont, 2009). En toile de fond, dans ces deux livres, toujours omniprésente, l’oligarchie de l’Amérique noire, cette dernière étant désignée par Carter comme « l’obscure nation ».

Un Roman américain se déroule dans les années soixante, et c’est un véritable thriller politique organisé autour d’un complot visant à manipuler le président des Etats-Unis. Un pacte secret va réunir des membres des élites blanche et noire (hommes d’affaires, politiciens et universitaires), dont les intérêts convergent, pour des motifs différents. De manière vertigineuse, Carter revisite les moments les plus emblématiques de cette époque : les destinées tragiques de John F. Kennedy et de Martin Luther King, le mouvement pour les droits civiques, l’anticommunisme et les basses œuvres du directeur du FBI J. Edgar Hoover, la guerre du Vietnam et le Watergate… Comme tous les romans de Carter, celui-ci est dense (600 pages), mais passionnant. Je ne vous en dis pas plus, à vous de lire.
Stephen Carter, Un Roman américain, éditions Robert Laffont, 2012, 22,50 euros.

Votre serviteur a mis à profit ses vacances pour se replonger dans l’œuvre de l’écrivain trinidadien V.S. Naipaul (Sir Vidiadhar Surajprasad Naipaul, plus exactement), prix Nobel de littérature en 2001. « Plus que tout autre, un habitant des Caraïbes a besoin d’écrivains pour lui dire qui il est et où il se trouve », a-t-il dit. Ce qu’il mit en pratique, en devenant un observateur avisé de l’univers postcolonial des sociétés antillaises dans la première partie de sa carrière. Par la suite, Naipaul voyage (Afrique, Inde, Pakistan, Indonésie, Malaisie…) et élargit son champs d’investigation dans les années soixante-dix. L’auteur aime à décortiquer les sociétés issues de la colonisation, fustigeant les tares de cette dernière, décrivant avec férocité les multiples maux des premières (violence, corruption, mégalomanie des dirigeants, fanatisme religieux, entre autres).

Plus de vingt livres de Naipaul ont été traduit en français. Pour ceux qui n’ont jamais lu cet auteur, je conseillerai les Oeuvres romanesques choisies, composées de quatre romans (Dans un état libre, Guérilleros, A la courbe du fleuve, L’Enigme de l’arrivée) aux éditions Robert Laffont (928 pages en tout). Tous ces livres ayant été édités séparément, mon choix se porterait, si l’on ne devait en choisir qu’un seul, sur A la courbe du fleuve (éditions 10/18 en poche ou éditions Albin Michel), qui symbolise en quelque sorte la philosophie critique, l’acidité du propos et le style narratif de Naipaul.


Mémoires


On ne présente plus la romancière guadeloupéenne Maryse Condé. Auteur du célèbre Ségou (en deux volumes publiés en 1984 et 1985) qui l’ont révélé au monde littéraire, et plus récemment, Les belles ténébreuses (Mercure de France, 2008), suivi d’En attendant la montée des eaux (éditions Jean-Claude Lattès, 2010), Maryse Condé se dévoile dans une autobiographie : La vie sans fards (Jean-Claude Lattès, août 2012), où elle évoque ses années passées en Afrique subsaharienne.
On l’aura compris d’après le titre, le livre est sans complaisance. La romancière y évoque ses galères, ses désespoirs amoureux et intimes, ses déceptions, mais également ses passions et son enthousiasme. Et l’on découvre aussi par son prisme l’Afrique, à travers la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Ghana et le Sénégal, un continent complexe, avec ses codes souvent indéchiffrables au profane, ses maux et ses merveilles. La vie sans fards, c’est également le combat quotidien d’une femme, avec quatre enfants, et l’émergence progressive d’un écrivain.


BD


Caraïbéditions est l’une des premières maisons d’édition à avoir publié des BD en créoles. Depuis 2008, l’éditeur a mis à la disposition du public des traductions d’Astérix, Tintin, Titeuf, ainsi que des ouvrages d’auteurs antillais et réunionnais. Caraïbéditions, qui publie également des ouvrages en français, a innové en éditant le premier manga des Antilles, Les îles du vent (2 tomes).
Depuis la fin août, la maison d’édition propose la traduction de Titeuf à la folie ! (Titeuf a lafoli en créole des Antilles, Titeuf gadyanm en créole réunionnais) qui sont sortis en même temps que la version originale. Une première. Dans ce nouvel album, on découvre entre autres que Titeuf a une amoureuse d’origine africaine. Une première aussi.