Un inventaire de l'art kanak
Ce qui a frappé Roger Boulay à l'époque, dans les années 70, c'est que les artistes de Nouvelle-Calédonie ne disposaient d'aucune information sur leur patrimoine. "C'est simple, ils n'avaient rien, c'est comme si un peintre ou un sculpteur en France n'avait jamais vu de cathédrale gothique ou romane, s'exclame l'ethnologue. Nous avons donc entrepris avec Jacques Iekawe de faire un inventaire de l'art kanak qui par la suite a été distribué gratuitement dans les villages".
L'esprit de Jean-Marie Tjibaou
Mais Jean-Marie Tjibaou voyait plus loin. "C'était très clair pour lui, poursuit Roger Boulay. Il m'a demandé de parcourir les musées du monde, de dénicher des objets kanak, de les prendre en photo, de bien voir comment ils étaient exposés, conservés et surtout de quelle manière on en parlait". Pour Roger Boulay, co-commissaire de cette exposition avec Emmanuel Kasarhérou, l'ancien directeur du Centre culturel Tjibaou à Nouméa, "l'esprit du leader indépendantiste kanak plane sur le Musée du Quai Branly".
Cinq personnalités
Avec ces 300 oeuvres et documents exceptionnels, "l'art Kanak est une parole" apparaît pour Roger Boulay comme une conclusion magnifique de sa carrière d'ethnologue. Et pour donner un peu plus de chair à cet événement, les deux commissaires ont fait le choix d'un parcours ponctué par cinq thèmes illustrés par les portraits de cinq figures historiques kanak. "Ce n'était pas facile de choisir ainsi cinq personnalités qui ont marqué notre histoire, précise Emmanuel Kasarhérou. Plusieurs centaines de chefs auraient aussi pu figurer dans l'exposition. Nous avons choisi ces cinq hommes car ils représentent plusieurs aires coutumières et ont vécu des expériences totalement différentes par rapport aux colons. Pour nous, il fallait que tout le monde se sente à bord de ce bateau".
Le Grand chef Mindia
Le portrait du Grand chef Mindia (1856-1921) trône dans la deuxième salle de l'exposition consacrée au verbe et à la parole. Héritier d'une chefferie à Houaïlou en 1898, il s'affronte très vite aux colons français qui grignotent les terres. Exilé en 1899 à Maré, il revient en 1900 et devient l'un des principaux soutiens de la nouvelle mission crée par le pasteur Maurice Leenhardt à Do Néva. Il fut l'un des premiers chefs à recevoir les insignes de chevalier de la légion d'honneur en 1918.
Portrait d'Ataï
Après tout un parcours ponctué de haches ostensoir, de monnaies kanak, de flèches faîtières, de coiffures, de bambous gravés, le visiteur se retrouve nez à nez avec un portrait qui force l'admiration, celui de Nidoish Naisseline (1820-1880). Ce grand chef de Maré a tenté de s'opposer à l'annexion de la Nouvelle-Calédonie par la France, ce qui lui valut d'être emprisonné à côté de Nouméa. Le grand chef Ataï a lui, perdu la vie en menant l'insurrection de 1878. Sa tête a été coupée et envoyée en France. Un moulage de son visage a été fait au 19e siècle à Paris et il est présenté dans cette exposition.
Mort pour la France
Parmi les objets impressionnants, les masques kanak arrivent en première place. Ils dégagent une force qui marque le visiteur. C'est la figure du chef Amaan de Touhou (1871-1917) qui illustre cette section. Il est connu pour avoir signé la "paix de Pamalé" avec le gouverneur Paul Feuillet. Mais après le départ de ce dernier en 1902, les querelles ont repris et le chef Amaan a été déporté à Wallis puis interné à Ouvéa. C'est de là qu'il décide de signer en 1916 son engagement pour la guerre. Amaan intègre alors le bataillon des tirailleurs du Pacifique et meurt pour la France au front, le 6 avril 1917.
Et Jean-Marie Tjibaou
La force de cette exposition réside dans sa diversité. Des objets traditionnels tels que les haches de jade ou les appliques de porte de case ponctuent la visite. A cela s'ajoutent des oeuvres contemporaines, tels que des sculptures, des installations ou encore le slam de Paul Wamo. Jean-Marie Tjibaou (1936-1989) dont le portrait bienveillant trône à la fin de ce parcours n'aurait pas renié ses héritiers.