Mahorais et Marseillais, malgré tout (DOSSIER LA1ERE)

La1ere.fr vous propose cette semaine un dossier sur les Mahorais et les Comoriens de Marseille.
Premier volet de notre enquête : rencontre avec trois Mahorais qui vivent dans les quartiers nord. Fahardine, Salim et Moutardhoi clament leur fierté d'être marseillais. 
Ils s’appellent Fahardine, Salim et Mourtadhoi. Ils vivent chacun dans une cité de Marseille : La Castellane pour Fahardine, le Mail pour Salim et la Busserine pour Mourtadhoi. Ces trois marseillais ont aussi pour point commun de faire partie d’une association mahoraise. Pourtant, aucun d’entre eux, n’affiche vraiment le mal du pays, mais ils aiment bien se retrouver entre mahorais.
La Castellane, 16e arrondissement de Marseille

Donner envie de travailler

A la Castellane, ce soir-là, un samoussa à portée de main, ils racontent leur vie et leurs espoirs à Marseille. Fahardine Ben Soufiani rassemble dans son association une quinzaine de personnes à la Castellane, « le quartier le plus chaud de Marseille », celui où a grandi Zinedine Zidane. Son association se nomme Fraha Tsara, joie et bonheur en français. Fahardine qui a monté sa petite entreprise de serrurerie s'est lancé pour objectif de donner envie aux adolescents de travailler. "On essaie d’aider les jeunes mahorais, les comoriens à ne pas rester dans la rue à ne rien faire".

Soufiani Fahardine

Les M'biwi

L’autre action de son association c’est "d’organiser des M’biwi". Le M’biwi est une danse traditionnelle mahoraise qui doit son nom aux petits bâtons dont les femmes se servent pour faire le rythme. "Cette danse est compliquée si on n’arrive pas à bouger les fesses !" explique Zam Zam Ali, la femme de Fahardine. Avec ses amies, elles se sont retrouvées pour regarder une vidéo dans laquelle on les voit ensemble avec le même habit traditionnel,  maîtrisant à la perfection le déhanchement mahorais.

M'Biwi à Marseille / 22 novembre 2013

Embrouilles et drogue

Salim, plus connu sous le nom d’Oxy est musicien. "Mayotte possède pleins de danses : le M'biwi, le chigonna, le Mlidi, le Dahira, le Chakacha etc...Le M’biwi, les femmes le dansent pour les mariages ou tout simplement pour des fêtes". Mourtadhoi se désole car "avant, il sortait beaucoup plus, il y avait des soirées et on n’avait pas peur des embrouilles. Maintenant, il ne nous reste que les M’biwi ", conclut ce jardinier natif de la commune de L'Abattoir, en petite terre. Salim aussi peste contre sa cité dans laquelle il voit des jeunes dont certains mahorais qui vendent de la drogue. "Ça me gène, dit-il, je suis angoissé à l’idée qu’un jour mes enfants suivent le même chemin mais malgré tout, je suis fier d’être Marseillais".
Ecoutez cette chanson de Salim alias Oxy, intitulée Mahorais-Marseille.
 
Salim dit Oxy

La queue pour acheter de la drogue

Ce paradoxe, Fahardine le comprend très bien. "A la Castellane, raconte-t-il, il y a deux fois par mois des fusillades. Et quand je me balade, je prends souvent mon taser". "Et puis dans cette cité, poursuit son ami Salim, c’est comme à la poste, le samedi, il y a tout simplement des queues qui se forment pour acheter de la drogue, c’est fou ". Mais en même temps,  Salim comme Fahardine reconnaissent qu’ils aiment chacun leur cité. "On a grandi ensemble, on connaît tout le monde", explique Fahardine qui, quand il part avec sa camionnette travailler pour l’office HLM dans les différentes cités de Marseille se fait souvent appeler « tonton » par les jeunes. "Certains d’entre eux, même les voyous ne sont pas forcément méchants, ils peuvent t’aider mais ne veulent surtout pas que l’on se mêle de leurs affaires", précise Salim. Mais il y en a d'autres que Fahardine préférerait ne pas connaître.
 

"Les oubliés de Marseille"

Salim et Mourtadhoi viennent de créer l’association de la délégation mahoraise, Wasina Ngouvou Marseille. "On est là pour accueillir les élus de Mayotte, s’occuper des jeunes bacheliers, aider à l’organisation d’échange entre Mayotte, Madagascar et Marseille", explique très sérieusement Salim. "On se rend compte que les Mahorais sont les oubliés de Marseille, les Comoriens ont des élus, nous rien", précise Mourtadhoi.

Moutardhoi Issoufou et Salim Abdallah

Plus de subventions

Curieusement, les deux hommes sont d’accord pour dire qu’ils regrettent Sylvie Andrieux, la députée-maire socialiste des 13e et 14e arrondissements, condamnée, en première instance en mai dernier, à un an de prison ferme et cinq ans d'inéligibilité, pour détournement de fonds publics. "Depuis qu’elle est partie, plus rien n’avance, les associations ne reçoivent plus de subventions. Tout est bloqué", explique Moutardhoi. "La seule chose qui se passe, c'est qu'on nous envoie, de temps en temps, pleins de policiers, d'un coup. C’est presque stressant, on se sent enfermé", raconte Salim. 
 

Retour au pays natal ?

Est-ce que ces trois mahorais marseillais rêvent d’un retour au pays natal ? A part Mourtadhoi, qui esquisse un sourire, Salim et Soufiani n’y songent pas. Moutarhoi raconte qu’un de ses amis a du revenir ici, à Marseille, il ne gagnait pas assez d’argent pour vivre correctement. "Le problème, explique Salim, c’est que les mahorais préfèrent employer des clandestins. Les seuls emplois normaux qui existent se trouvent à la préfecture, au Conseil général, bref dans les administrations". Alors même si la vie est parfois dure à Marseille, il y a la mer, le climat, les amis et ce sentiment d’être Mahorais et Marseillais, malgré tout.
 
Danseuses de M'Biwi

Demain, mardi, suite de notre dossier sur les Mahorais de Marseille.
Direction la Cité des Rosiers, une co-propriété à l'abandon où les trafics et la violence pourrissent le quotidien de nombreux mahorais qui y sont installés. Mais il y a aussi des signes d'espoir...

Mayotte et les Comores
Depuis 1841, Mayotte est une île française. Située dans l'océan indien, entre le Mozambique et Madagascar, Mayotte fait partie de l'archipel des Comores qui compte trois autres îles : la Grande Comore, Mohéli et Anjouan. En 1887, ces trois îles deviennent également des colonies françaises. Le 22 décembre 1974, un référendum d'autodétermination est organisé. Les Mahorais se prononcent à 63% contre l'indépendance, les autres Comoriens à 95% pour. Il est alors décidé que la future constitution soit adoptée île par île. Mayotte, comme on pouvait s'y attendre, refuse de voter en faveur de ce texte. Le 6 juillet 1975, le président Ahmed Abdallah proclame l'indépendance des Comores, sans se soucier du sort de Mayotte. Il est renversé et Mayotte reste française. La résolution 3385 des Nations Unies condamne cet état de fait et affirme : "la nécessité de respecter l'unité et l'intégralité de l'archipel des Comores, composée de Mayotte, la Grande Comore, Mohéli et Anjouan". Rien n'y fait, le 8 avril 1976, les Mahorais votent à 99% pour rester dans le giron de la France. Le 31 mars 2011, Mayotte devient le 101e département français.
Source : www.herodote.net