Au Guyana, on produira bientôt l’équivalent d’un baril de pétrole par jour et par habitant. Est-ce une chance ou un malheur ? Francis Perrin est directeur de recherche à l'IRIS et spécialiste des questions énergétiques, il répond à nos questions.
Le petit pays d’Amérique du Sud, à 340 kilomètres au nord de la Guyane, possède des réserves pétrolières exceptionnelles qui changent radicalement ses perspectives économiques et sociales. Son PIB devrait augmenter de 86% en 2020 selon les estimations du Fonds monétaire international établies avant la crise mondiale du nouveau coronavirus.
Les revendications territoriales du Venezuela ne sont pas nouvelles. Elles se traduisent notamment par l’apparition de navires de la marine vénézuélienne à proximité du vaste champ pétrolifère maritime de Liza-Stabroek dans les eaux territoriales du Guyana. Simple tentative d’intimidation ou affirmation d’une revendication sur l’un des derniers grands gisements de pétrole mondiaux ?
Francis Perrin : Un peu des deux. Il y a clairement une part importante d'intimidation dans de tels actes et des revendications territoriales. La présence de compagnies américaines au Guyana peut aussi être un élément supplémentaire dans ces frictions. Mais les revendications du Venezuela sont anciennes et elles ne peuvent donc pas s'expliquer uniquement par la problématique pétrolière.
Cette situation explique-t-elle néanmoins le déploiement d’unités navales de la marine des Etats-Unis dans la zone ? Afin de protéger le Guyana mais aussi les intérêts américains. Après tout, c’est l’américain ExxonMobil qui exploite le pétrole au large du Guyana.
ExxonMobil, le plus important groupe pétrolier américain, est l'opérateur du permis pétrolier de Stabroek, avec une participation de 45%. De plus, l'un des partenaires d'ExxonMobil sur ce bloc est une autre firme américaine, Hess. Ces deux entreprises détiennent ensemble un intérêt de 75% sur ce permis clé. Les autorités américaines ne peuvent donc pas être indifférentes à cette situation. Leur hostilité très forte envers le régime de Nicolas Maduro les pousse également à contrer les revendications du Venezuela sur le Guyana.
On ne cesse d'entendre dire que les américains veulent s’emparer des énormes réserves de pétrole du Venezuela, qu’en pensez-vous ?
Les réserves pétrolières du Venezuela sont effectivement énormes puisque ce pays se classe au premier rang des détenteurs de réserves prouvées dans le monde devant l'Arabie Saoudite. Cela dit, nous sommes au 21ème siècle et pas au 19ème. Les Etats-Unis ne vont pas mettre la main sur le pétrole vénézuélien. Par contre, il est probable qu'à l'avenir, en fonction de certaines évolutions politiques au Venezuela, des compagnies pétrolières américaines soient associées au développement et à l'exploitation d'une partie du potentiel énorme du pays, comme cela était le cas par le passé.
L’or noir est-il de même qualité au Venezuela, au Guyana et au Surinam ?
Non. Le Venezuela produit surtout des pétroles lourds et très lourds qui ne sont pas de meilleure qualité même si ses réserves sont considérables. Cela signifie que les prix de ces bruts sont plus bas, et souvent nettement plus bas, que les prix moyens du pétrole.
Les cours du pétrole se sont effondrés, mais ils remontent ces derniers jours portés par la fin progressive du confinement dans le monde et une lente reprise de la consommation automobile, cela change-t-il quelque chose pour le Guyana ?
L'exploitation de la phase 1 de Liza va se poursuivre et la production atteindra 120 000 barils par jour (6 millions de tonnes par an) comme prévu. La phase 2 de Liza, qui est en cours de développement, ne sera pas non plus affectée et elle devrait entrer en production en 2022. Cela représentera alors un volume supplémentaire de 220 000 barils/jours. Par contre, pour des développements ultérieurs, des retards sont possibles du fait de l'effondrement des cours de l'or noir en 2020. Mais toutes les découvertes réalisées par ExxonMobil seront développées au cours des prochaines années. Aucun projet ne sera abandonné. C'est plus une question de calendrier avec un décalage possible de l'ordre de six mois à un an.
Quelle est l'importance du champ pétrolifère Liza-Stabroek découvert au large du Guyana ?
ExxonMobil a réalisé 16 découvertes avec 18 forages sur le permis marin de Stabroek, ce qui est exceptionnel. La 16ème découverte est très récente et n'a pas encore été évaluée. Pour les 15 autres, l'estimation d'ExxonMobil est de plus de 8 milliards de barils de réserves récupérables. Il faudra donc ajouter ultérieurement la dernière découverte. N'oublions pas de plus que les travaux d'exploration ne sont pas achevés sur Stabroek et sur les permis voisins. Le géant américain reste optimiste quant à de futures découvertes. Certes, les prix actuels sont très bas mais ce ne sera pas toujours le cas. Or, les réserves découvertes sont tellement importantes que le Guyana produira du pétrole pendant de nombreuses années. La rentabilité de projets de cette taille doit être évaluée à moyen et à long terme et pas à court terme. Il n'y a aucun doute que les gisements pétroliers au large du Guyana rapporteront au total beaucoup d'argent à ExxonMobil, à ses partenaires et à l'Etat du Guyana.
Le monde a encore besoin du pétrole du Guyana ?
L'Amérique Latine, le continent américain et le reste du monde auront encore besoin de pétrole pendant longtemps, bien après la fin de la pandémie. Du fait de celle-ci, la consommation pétrolière mondiale s'est effondrée au premier semestre 2020 mais on ne peut pas garder longtemps des milliards de personnes confinées et des pans entiers de l'économie à l'arrêt. La reprise de l'économie mondiale, sans doute à partir du second semestre, conduira forcément à une hausse de la demande pétrolière et la croissance future des pays émergents et en développement nécessitera également plus de pétrole.
Pour un pays pauvre comme le Guyana, le pétrole est-il une chance ou un malheur ?
Le pétrole est une richesse mais il faut savoir la gérer et la redistribuer. Pour ce qui concerne le Guyana, il faudra quelques années avant de faire un bilan plus complet. Etant un nouveau producteur (depuis décembre 2019), le pays a en tout cas l'avantage de pouvoir tirer des enseignements de bonnes et moins bonnes pratiques dans beaucoup d'autres pays producteurs, y compris en Amérique du Sud. Chacun sait aujourd'hui ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire dans ce domaine. Il n'y a plus d'excuses possibles pour les responsables politiques.
Tensions régionales
Le Guyana va produire autant d’or noir que la plus grande compagnie norvégienne qui approvisionne, encore aujourd’hui, les trois départements français d’Amérique. L’ancienne Guyane britannique [jusqu’en 1966] entretient des relations difficiles avec son voisin du Nord, le Venezuela. Au large des côtes, la marine américaine se tient prête, au cas où... En 2019, un détachement de l'US Army s’est installé sur la base de camp Seweyo, à proximité de Linden, afin de renforcer la coopération avec la petite armée du Guyana. Les manœuvres "New Horizons 2019" ont mobilisé les militaires des deux pays. Le Guyana, va-t-il subir la "malédiction des matières premières" ? Son statut de nouveau producteur mondial de pétrole en fait-il un rival de son voisin vénézuélien ? Nous avons interviewé Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des problématiques énergétiques et membre du cercle des économistes Cyclope.Les revendications territoriales du Venezuela ne sont pas nouvelles. Elles se traduisent notamment par l’apparition de navires de la marine vénézuélienne à proximité du vaste champ pétrolifère maritime de Liza-Stabroek dans les eaux territoriales du Guyana. Simple tentative d’intimidation ou affirmation d’une revendication sur l’un des derniers grands gisements de pétrole mondiaux ?
Francis Perrin : Un peu des deux. Il y a clairement une part importante d'intimidation dans de tels actes et des revendications territoriales. La présence de compagnies américaines au Guyana peut aussi être un élément supplémentaire dans ces frictions. Mais les revendications du Venezuela sont anciennes et elles ne peuvent donc pas s'expliquer uniquement par la problématique pétrolière.
Cette situation explique-t-elle néanmoins le déploiement d’unités navales de la marine des Etats-Unis dans la zone ? Afin de protéger le Guyana mais aussi les intérêts américains. Après tout, c’est l’américain ExxonMobil qui exploite le pétrole au large du Guyana.
ExxonMobil, le plus important groupe pétrolier américain, est l'opérateur du permis pétrolier de Stabroek, avec une participation de 45%. De plus, l'un des partenaires d'ExxonMobil sur ce bloc est une autre firme américaine, Hess. Ces deux entreprises détiennent ensemble un intérêt de 75% sur ce permis clé. Les autorités américaines ne peuvent donc pas être indifférentes à cette situation. Leur hostilité très forte envers le régime de Nicolas Maduro les pousse également à contrer les revendications du Venezuela sur le Guyana.
On ne cesse d'entendre dire que les américains veulent s’emparer des énormes réserves de pétrole du Venezuela, qu’en pensez-vous ?
Les réserves pétrolières du Venezuela sont effectivement énormes puisque ce pays se classe au premier rang des détenteurs de réserves prouvées dans le monde devant l'Arabie Saoudite. Cela dit, nous sommes au 21ème siècle et pas au 19ème. Les Etats-Unis ne vont pas mettre la main sur le pétrole vénézuélien. Par contre, il est probable qu'à l'avenir, en fonction de certaines évolutions politiques au Venezuela, des compagnies pétrolières américaines soient associées au développement et à l'exploitation d'une partie du potentiel énorme du pays, comme cela était le cas par le passé.
L’or noir est-il de même qualité au Venezuela, au Guyana et au Surinam ?
Non. Le Venezuela produit surtout des pétroles lourds et très lourds qui ne sont pas de meilleure qualité même si ses réserves sont considérables. Cela signifie que les prix de ces bruts sont plus bas, et souvent nettement plus bas, que les prix moyens du pétrole.
Les cours du pétrole se sont effondrés, mais ils remontent ces derniers jours portés par la fin progressive du confinement dans le monde et une lente reprise de la consommation automobile, cela change-t-il quelque chose pour le Guyana ?
L'exploitation de la phase 1 de Liza va se poursuivre et la production atteindra 120 000 barils par jour (6 millions de tonnes par an) comme prévu. La phase 2 de Liza, qui est en cours de développement, ne sera pas non plus affectée et elle devrait entrer en production en 2022. Cela représentera alors un volume supplémentaire de 220 000 barils/jours. Par contre, pour des développements ultérieurs, des retards sont possibles du fait de l'effondrement des cours de l'or noir en 2020. Mais toutes les découvertes réalisées par ExxonMobil seront développées au cours des prochaines années. Aucun projet ne sera abandonné. C'est plus une question de calendrier avec un décalage possible de l'ordre de six mois à un an.
Quelle est l'importance du champ pétrolifère Liza-Stabroek découvert au large du Guyana ?
ExxonMobil a réalisé 16 découvertes avec 18 forages sur le permis marin de Stabroek, ce qui est exceptionnel. La 16ème découverte est très récente et n'a pas encore été évaluée. Pour les 15 autres, l'estimation d'ExxonMobil est de plus de 8 milliards de barils de réserves récupérables. Il faudra donc ajouter ultérieurement la dernière découverte. N'oublions pas de plus que les travaux d'exploration ne sont pas achevés sur Stabroek et sur les permis voisins. Le géant américain reste optimiste quant à de futures découvertes. Certes, les prix actuels sont très bas mais ce ne sera pas toujours le cas. Or, les réserves découvertes sont tellement importantes que le Guyana produira du pétrole pendant de nombreuses années. La rentabilité de projets de cette taille doit être évaluée à moyen et à long terme et pas à court terme. Il n'y a aucun doute que les gisements pétroliers au large du Guyana rapporteront au total beaucoup d'argent à ExxonMobil, à ses partenaires et à l'Etat du Guyana.
Le monde a encore besoin du pétrole du Guyana ?
L'Amérique Latine, le continent américain et le reste du monde auront encore besoin de pétrole pendant longtemps, bien après la fin de la pandémie. Du fait de celle-ci, la consommation pétrolière mondiale s'est effondrée au premier semestre 2020 mais on ne peut pas garder longtemps des milliards de personnes confinées et des pans entiers de l'économie à l'arrêt. La reprise de l'économie mondiale, sans doute à partir du second semestre, conduira forcément à une hausse de la demande pétrolière et la croissance future des pays émergents et en développement nécessitera également plus de pétrole.
Pour un pays pauvre comme le Guyana, le pétrole est-il une chance ou un malheur ?
Le pétrole est une richesse mais il faut savoir la gérer et la redistribuer. Pour ce qui concerne le Guyana, il faudra quelques années avant de faire un bilan plus complet. Etant un nouveau producteur (depuis décembre 2019), le pays a en tout cas l'avantage de pouvoir tirer des enseignements de bonnes et moins bonnes pratiques dans beaucoup d'autres pays producteurs, y compris en Amérique du Sud. Chacun sait aujourd'hui ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire dans ce domaine. Il n'y a plus d'excuses possibles pour les responsables politiques.