Archives d'Outre-mer : en 2002, des Réunionnais partent aux TAAF, à Kerguelen

Chaque année, des Réunionnais quittent leur île, leurs familles, pour effectuer des missions saisonnières à Kerguelen. En 2002, nous embarquions avec ces « Réu », volontaires pour une aventure unique aux confins des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

En route pour l'archipel français le plus austral ! Les Iles Kerguelen surgissent des brumes du sud de l’océan Indien, au centre d’un triangle formé par l’Afrique du Sud, l’Australie et l’Antarctique. À 3 300 km au sud-est de La Réunion, dans les cinquantièmes hurlants, il faut dix jours de mer à bord du Marion-Dufresne pour rallier Port-aux-Français.

Depuis 1950, une petite communauté s'y relaie au gré des deux saisons, l’été et l’hivernage. Cette année-là, la colonie compte 60 hivernants, dont 5 femmes. Des militaires, des scientifiques et du personnel logistique. Parmi eux, chaque « Réu » (selon le vocabulaire taafien) vit l’expérience à sa manière.

 

« Le Club des Réunionnais »

Madeleine, l’enthousiaste.  Assistante de direction, elle a laissé mari et enfant à La Réunion. Pour neuf mois, elle sera serveuse au réfectoire de la base de Port-aux-Français. Sur le bateau, elle exulte ; mais, arrivée à destination, elle déchante. Comment ses proches lui rendront-ils le sourire, par-delà les mers ?

(Sur le bateau) C'est comme un cadeau. L’idée de partir, l’idée de mission. Ça m’a vraiment emballée ! On m’a dit : tu y vas une fois, il n’y a rien d’extraordinaire, mais tu y reviendras…

 

(Sur la base) J’ai regardé autour de moi et je me suis dit : tu n’as pas fait ça ! Tu n'as pas signé pour un truc pareil !

 

(Dans sa chambre) J’ai vidé ma cantine, et c’est là que j’ai trouvé des petits mots, de gens qui m’ont écrit et les ont glissés dans la cantine. C’est très gentil, ça m’a beaucoup aidée…

 

Bernard, l’expérimenté. Après 18 missions comme chef de chantier dans cet environnement hostile, il ne s’étonne plus du pouvoir d’attraction de ces îles. Quel est le secret de sa sagesse, qu’il transmet à ses compatriotes ?

Des gens qui ne tiennent pas le coup, j’en ai vu plein ! J’ai vu des gens arriver aujourd’hui et repartir tout de suite. Ils ne s’occupent pas, n’ont pas de passe-temps. À un moment donné, ils perdent les pédales. Si on s’occupe, il n’y a pas de problème !

 

Les gens, ils partent, ils disent : « Jamais je reviendrai », mais on les revoit tout de suite ! Il y en a deux qui sont (…) revenus. Pourtant ils ont dit qu’ils ne reviendraient plus... Et ils sont là.

 

Jean-Hugues,  l'optimiste.  À plusieurs jours de marche de la base de Port-aux-Français, cet ancien agent de sécurité, en quête de dépaysement, participe à la restauration de Port-Jeanne-d'Arc (PJd'A). Mais cette ancienne station baleinière est loin du séjour balnéaire ! D’où lui vient alors ce sentiment de plénitude ?

On a une bonne équipe, on vit bien. Ça se passe très bien entre nous, il n’y a pas de discorde. J’aurai des souvenirs, beaucoup de souvenirs. En quatre mois, j’ai fait beaucoup de choses… j’ai appris plein de choses ici.

 

Sans oublier Jean-Claude, l’habile menuisier de la base, originaire de Saint-Joseph. Et Thierry, le jeune de la Cité, « qui avait besoin d’un peu d’air ». Il sera servi !

Disséminés dans toute la base à différents postes, « les Réu » de Kerguelen éprouvent le besoin de se retrouver entre eux, pour partager la musique et la cuisine créoles. Les repas au réfectoire sont l’occasion pour eux de rencontrer les autres hivernants, ornithologues étrangers ou frigoristes métropolitains. Chaque semaine, ils invitent un militaire à goûter un cari réunionnais typique.

 

Des manchots aux TAAF

Autre moment de partage… Au cap Ratmanoff, prospère une colonie de manchots et de phoques. Des volontaires leur rendent visite en petits groupes. Cette escapade resserre aussi les liens et permet les échanges entre habitants de la base.

Mais les vents rugissants apportent une rumeur : une décision prise aux antipodes pourrait menacer l’équilibre de ce sanctuaire.

En période électorale, certains se souviennent de ces terres lointaines. On prétend ainsi faire de ce paradis écologique un Guantanamo de l’hémisphère sud, un Alcatraz ultramarin, un goulag à la française. On voudrait transformer cette thébaïde en île de Sainte-Hélène où djihadistes, chaînes aux pieds, imiteraient la marche des empereurs.

En attendant, rendez-vous « Un peu plus loin … à Kerguelen », un film de Patrice Schiller et Anne Bonneau.

 

Les 3 dates à retenir :

  • 12 février 1772. Découverte de l'archipel des Kerguelen par le navigateur breton Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec
  • Depuis 1950. La France assure, à Port-aux-Français, le fonctionnement continu d'une station permanente, base logistique, technique et scientifique.
  • 1955. Création des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) : 5 territoires, dont Kerguelen est l’archipel principal