Législatives 2024. Un député indépendantiste et un député loyaliste pour la Nouvelle-Calédonie, ce qu'on peut retenir du second tour

A Dumbéa, vote en famille pour le second tour des législatives anticipées, le 7 juillet 2024.
En Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Tjibaou est élu député de la seconde circonscription, avec plus de 57 % des suffrages exprimés. Dans la première, c’est Nicolas Metzdorf, avec plus de 52 % des voix. En cette période de crise grave, la mobilisation des électeurs a été remarquable, pour le second tour de ces législatives anticipées. Et ce sont les indépendantistes qui en ont le plus bénéficié.

Le scrutin a motivé les foules et il consacre la division des électeurs en deux blocs. Avec pour résultat marquant l’entrée d’un indépendantiste kanak à l’Assemblée nationale, alors que le Palais-Bourbon leur semblait inaccessible depuis les années quatre-vingt. NC la 1ère résume les grands enseignements de ce second tour.

Voir aussi la synthèse de Loreleï Aubry

©nouvellecaledonie

>> Retrouvez ici la journée du second tour et là, la soirée électorale

1Un électorat fracturé

La Nouvelle-Calédonie sera désormais représentée à l’Assemblée nationale par Nicolas Metzdorf, défenseur du maintien dans la France, et par Emmanuel Tjibaou, partisan de l’accession à la pleine souveraineté. Un visage pour chaque camp, puisque ces législatives réaffirment la fracture du Caillou en deux blocs. Créant au passage une situation nouvelle.

Ce qu'on constate à travers cette élection, c'est qu'elle n'apporte aucune réponse. Elle apporte encore des clivages.

Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique

>> Les résultats par commune et circonscription sur notre carte

2Les meneurs du premier tour

Les deux premiers de dimanche dernier ont été confortés par l’impressionnante mobilisation des électeurs et les reports de voix. Avec 52,41 % des suffrages et 34 577 électeurs, Nicolas Metzdorf l’a emporté sur la candidate Indépendantistes et nationalistes Omayra Naisseline dans la première circonscription - à savoir Nouméa, Lifou, Maré, Ouvéa et l’île des Pins. Crédité de 57,44 % des votes, Emmanuel Tjibaou s’est imposé face au candidat Loyalistes et Rassemblement Alcide Ponga dans la seconde circonscription - le reste de la Grande terre, dont les trois villes du Grand Nouméa, et Belep. 

Second tour des législatives dans la première circonscription.
Second tour des législatives dans la seconde circonscription.

3Une première depuis Roch Pidjot

L’accession d’Emmanuel Tjibaou dans la seconde circonscription représente un événement retentissant. Il faut remonter à Roch Deo Pidjot, élu à l’Assemblée nationale jusqu’en 1986, pour retrouver un député calédonien indépendantiste. Le fils de Jean-Marie Tjibaou, qui se présentait à un mandat pour la première fois, a convaincu 51 724 électeurs. Il rejoint le parlementaire Robert Xowie, devenu en septembre 2023 le premier sénateur calédonien indépendantiste. Sachant que les indépendantistes président le gouvernement et le Congrès, tout en dirigeant les provinces Nord et îles.

4Malgré un découpage "défavorable"

Les fauteuils calédoniens de député étaient réputés imprenables par un indépendantiste, surtout dans la seconde circonscription. Et cela en raison de la façon dont les communes ont été réparties dans l’une et l’autre circonscriptions quand Charles Pasqua était ministre de l’Intérieur. Ce découpage qui date de 1986 a été pour la première fois appliqué aux législatives de 1988. Depuis, seuls des non-indépendantistes ont représenté la Calédonie à l’Assemblée nationale. "On vient de tordre le cou au découpage Pasqua", a résumé Gérald Cortot sur le plateau de NC la 1ère. Et d'ajouter : "À l’époque, c'était comment on évitait d'avoir un indépendantiste élu."

5Progression générale

C’est dire si la mobilisation de l’électorat a été efficace. Dans la seconde circonscription, Emmanuel Tjibaou a fait presque deux fois mieux que le vote indépendantiste de 2022 au second tour, alors pour Gérard Reignier. Battu, le candidat loyaliste progresse aussi : sans la mobilisation des indépendantistes, Alcide Ponga aurait été mieux élu, d’environ sept mille voix, que Nicolas Metzdorf il y a deux ans. Nicolas Metzdorf qui réussit son transfert vers la première circonscription, en obtenant 9 000 bulletins de plus que le candidat non-indépendantiste (Philippe Dunoyer) en 2022. Omayra Naisseline, enfin, totalise environ 18 000 voix de plus que la candidate indépendantiste il y a 2 ans : Wali Wahetra.

6Les indépendantistes ont plus de voix

Reste qu’au final, l'élection est éloquente en termes de rapport de force. À l’échelle de la Calédonie, ce sont désormais les indépendantistes qui récoltent davantage de suffrages : environ 83 000, quand les candidats loyalistes en ont réuni autour de 73 000. Observation supplémentaire, un tel résultat survient dans un scrutin national, donc sans gel du corps électoral.

7Participation très forte mais pas record

Taux de participation au second tour des législatives 2024.

Le taux de participation a de quoi faire rêver. À 71,3%, quasiment trois électeurs sur quatre, les résultats de ce scrutin ne sont pas contestables. Encore plus impressionnant qu’au premier tour, d’environ onze points. Mais il ne s’agit pas d’un record. En 1956, les législatives ont vu 77,55 % des électeurs s’exprimer dans les urnes. Il fallait alors élire un seul député, en l’occurrence Maurice Lenormand pour l'Union calédonienne. Les législatives de 1973 ont, elles, déplacé, 73 % des inscrits au second tour. Roch Pidjot a été réélu alors qu’il était opposé à Jean Lèques.

8Un contexte exceptionnel

La participation remarquable de 2024 a été saluée par tous les commentateurs, dimanche soir. Le docteur en géopolitique Pierre-Christophe Pantz y voit "un besoin de s’exprimer, dans un contexte particulier". Le deuxième tour des législatives a eu lieu alors que la Calédonie est secouée par les violences et les troubles depuis huit semaines, dans le sillage de l’opposition indépendantiste au dégel du corps électoral. C’est la plus grave crise depuis les Evénements (1984-1988). Elle a entraîné neuf morts par balle, d’après le bilan officiel, et généré des dégâts dont le gouvernement estime le coût à 265 milliards de francs CFP !

9Il a fallu s’adapter

Entre-temps, le président Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale. Le déclenchement de législatives anticipées a conduit à mener une campagne accélérée dans des conditions qui s’y prêtaient peu. L’organisation du scrutin a été adaptée au contexte : horaires de 7 heures à 17 heures pour respecter le couvre-feu, déploiement des forces de l’ordre devant les lieux de vote, regroupement des bureaux. Il fallait notamment composer avec l’absence de transport en commun et les difficultés de circulation à certains endroits. Le nombre de procurations a explosé. 

10Des exactions au Mont-Dore

Pour le second tour, les électeurs ont pu s’exprimer dans les 33 communes calédoniennes. Y compris à Houaïlou, où l’élection n’avait pas été possible au premier tour pour cause de blocages. Mais au Mont-Dore, la journée a été marquée par une succession de car-jackings sur le seul axe qui dessert la partie Sud de la ville.

11Et maintenant ?

Interrogés sur l’après, les deux députés calédoniens qui viennent d'être élus ont répondu que leur positionnement au Palais-Bourbon se ferait en fonction des résultats nationaux. Tous deux ont aussi annoncé leur volonté d’interpeller l’État sur l’ampleur des difficultés en Nouvelle-Calédonie, et la nécessité de faire jouer la solidarité nationale.