La belle aventure dure depuis bientôt huit ans. Fin des Jeux de Rio. Jeffrey Lami est encore espoir. "Je faisais du sprint court, le 100 mètres. J'avais un record en 10 secondes 35." Timothée Adolphe fait alors appel à lui. À une petite nuance près. "Tim recherchait un guide sur… 400 mètres. Ma vie d'athlète a complètement changé." Jeffrey doit s'adapter à la course en binôme. Et surtout, dompter le tour de piste. "Le 400 n'a rien de commun avec le 100 mètres. Un monde radicalement différent. Ce ne sont pas les mêmes entraînements. Pas la même souffrance. Cela demande également un mental différent. Donc laissez-moi vous dire que quand nous avons réussi notre course, que le chrono est là, nous sommes vraiment satisfaits."
Plus qu'un guide
À priori, le rôle de Jeffrey Lami peut sembler basique. "J'accompagne Timothée d'un point A à un point B. Sans qu'il morde la ligne de son couloir. En lui indiquant les allures. Et en l'aidant à repousser ses limites." Sauf que le guide est très surveillé. Dans la catégorie T11 (cécité totale), sa mission est aussi de demeurer invisible. "Je n'ai pas le droit de tirer l'athlète, ni de le forcer à courir plus vite que ce qu'il peut faire. Enfin, je ne peux pas franchir la ligne d'arrivée avant lui. C'est Timothée qui réalise la performance. Pas moi."
Pour rester un guide performant, l'Antillais travaille. Doublement. "Quand je ne m'entraîne pas avec Timothée, je m'entraîne en individuel sur des allures très élevées." Car le binôme tricolore du 400 mètres poursuit un rêve. "Nous avons pour objectif de battre le record du monde qui est en 49 secondes 82." Pour y arriver, Jeffrey doit courir vite. Très vite. "Il faut que j'ai 4 secondes d'écart avec lui. Ce qui me demande d'être capable de courir le 400 mètres autour de 46 secondes. Voire moins. Avec un tel chrono, je pourrais entrer dans le collectif relais des valides, c'est dire."
Secrets de fabrication
Un binôme para athlète / guide demande généralement deux ans d'adaptation. Sous conditions. "Avant toute chose, il faut faire la même taille et avoir à peu près le même poids. Sans oublier nos foulées qui doivent se ressembler." Jeffrey et Timothée réunissent tous ces facteurs. Reste à se laisser guider. "Je dois avoir des compétences et des qualités plus élevées que l'athlète. Afin de l'aider à progresser dans sa discipline." Mais Jeffrey Lami ne pourrait réussir dans sa mission sans un élément primordial. "Une connexion forte entre nous. Depuis notre rencontre. Sans cette connexion forte, notre binôme n'aurait jamais fonctionné."
Pour Timothée, Jeffrey est à la fois des yeux et une voix. "Bien évidemment, je ne peux pas lui parler non-stop durant une compétition. Mais nous avons un code de langage." Un code peaufiné au quotidien, à l'entraînement. "Sur certaines séances, il se passe des choses. On les étudie et je lui dis : si demain en compétition, cette chose-là se reproduit, je te dirai tel mot." Ainsi, plutôt qu'un long discours qui va durer 400 mètres, l'Antillais a trouvé sa botte verbale secrète. "J'ai maintenant tout un panel de petits mots propres à notre langage interne. Ça me permet d'économiser un peu de respiration."
Prêt pour Paris 2024
En 2021 à Tokyo, Jeffrey Lami a participé à ses premiers Jeux Paralympiques. "Malheureusement, ça ne s'est pas passé comme prévu." Le binôme est disqualifié en séries suite à la perte du lien qui relie les deux champions. Après une médaille de bronze aux Mondiaux en 2023, la paire Adolphe/Lami en veut beaucoup plus lors du prochain rendez-vous suprême au Stade de France. "Les Jeux à Paris, c'est à la fois une revanche, un aboutissement et le but ultime de notre partenariat entre lui et moi."
Depuis les JO de Londres en 2012, les guides en para athlétisme reçoivent une médaille. Au même titre que les para athlètes. "Je trouve ça juste et bien. Car les entraînements, nous les faisons ensemble. Et la performance est aussi un travail d'équipe." L'Antillais compte déjà une médaille d'or au niveau mondial (en 2019). De l'or également au niveau européen (2021). Ne manque plus à la collection de Jeffrey Lami que la médaille d'or paralympique. "Je vais tout faire pour aller la récolter, l'été prochain. Ce serait une juste récompense. Pour lui comme pour moi."