Littérature : Charles Nungesser, de l’as de la grande guerre au disparu de l’Atlantique

L’épopée de Charles Nungesser fascine toujours. Disparu en mai 1927 à bord de l’Oiseau Blanc, sans doute près de Saint-Pierre et Miquelon, on peut comparer le célèbre pilote à un véritable héros des temps modernes. Patrick de Gmeline lui consacre une biographie riche et passionnante.

Outre-mer la 1ère : Patrick de Gmeline, comment vous est venue l’idée d’écrire un livre sur Charles Nungesser, car cet homme est un peu un roman à lui tout seul, c’est plus qu’une histoire ?

Patrick de Gmeline : Lorsque j’ai décidé d’écrire le livre en fait, j’avais rencontré Nungesser à plusieurs reprises (sic) notamment à travers des livres que j’avais écrits sur les aviateurs de la grande guerre, dans lesquels il était (Ndlr Charles Nungesser est un as avec 45 victoires homologués).
Ensuite il y a une promotion de Saint Maixent (Ecole Nationale des Sous-officiers d’Active) qui a pris le nom de Nungesser. Ces élèves m’ont demandé de les accompagner, de les piloter pour mieux connaître la vie de Nungesser. Et, un jour, je me suis dit pourquoi pas écrire un livre car je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de véritable biographie existante, or le personnage le méritait. Mais celle qui existait était plus un roman historique qu’une biographie, où l’auteur avait inventé une quantité de dialogues qui n’ont pas existé.

Moi, je pars des documents de base pour me mettre à écrire et puis il y a eu une rencontre importante. Au cours d’une réception avec les élèves sous-officiers de la "Nungesser", il y avait une dame qui était là, je l’avais remarquée car elle avait une discrète légion d’honneur. Elle me dit être l’épouse de Roland Nungesser, l’ancien ministre des gouvernements Georges Pompidou, neveu du pilote. Elle m’informe qu’elle a en sa possession, dans sa cave, des dizaines de cartons, aussi bien des documents concernant son mari, mais aussi concernant Charles Nungesser. Et c’était le cas.

Outre-mer la 1ère : Vous avez dû faire du tri car ce n’est pas simple tant la vie de cet homme est remplie ?

Patrick De Gmeline : Oui et non, car mon objectif était de faire un livre lisible, pas de 800 pages, je voulais un livre qui puisse se lire en une semaine, pas trop gros dans lequel on dit un maximum de choses. J’ai dû faire le tri car j’avais beaucoup de documents.

L'un des As de la Grande Guetrre avec 43 victoires homologuées.

 

Je me suis aperçu que ce qui était intéressant n’était pas que l’évènement de la tentative, peut être réussie, de traverser l’Atlantique, mais tout ce qui a existé avant dans sa vie.

Patrick de Gmeline, auteur

 

Il avait fait du cinéma, des démonstrations de combats aériens aux Etats-Unis après-guerre, il avait beaucoup voyagé, épousé une riche héritière américaine. Il fut bien sûr un héros de la Première Guerre mondiale, il avait fait des tas de choses, c’est ça qu’il faut montrer pour ne pas résumer sa vie à sa disparition.

J’espère être arrivé à ce qu’il sorte de cette biographie un personnage qui ne se contente pas d’être disparu mais qui avait fait d’autres choses avant. Et je voulais y lier aussi le nom de François Coli, j’ai voulu gratter pour le sortir de l’anonymat. Car on ne sait presque rien sur lui ce pilote d’escadrille, ce n’était pas un as mais un excellent pilote et navigateur, le parfait complément de Charles Nungesser.

Outre-mer la 1ère : A vous entendre parler de lui avec passion, on dirait que le personnage est toujours vivant. Ce héros des Années folles est-il un héros des temps modernes ?

Patrick De Gmeline : À mes yeux il a toujours été un peu vivant. Quand j’étudie un personnage, j’aime vivre avec lui,  je vais dans les endroits où il a été, je mets mes pas dans ses pas, j’aime avoir ou tenir entre les mains des objets lui ayant appartenu ou qu’il aurait touchés. Ça aide profondément à faire vivre sa personnalité. Donc je suis tout à fait d’accord, Nungesser est toujours vivant quelque part, ce d’autant plus qu’on n’a pas de preuves de sa mort comme dirait Monsieur de la Palice.

L'Oiseau Blanc, sa disparition 94 ans plus tard est toujours pleine de mystères

 

Charles Nungesser a d’abord eu cette chance si l’on peut dire, de n’être pas mort à un endroit précis, à une date précise, avec une tombe le marquant. Ce qui arrive normalement à quelqu’un quand l’histoire d’une vie se termine. Ça n’existe pas dans son cas. Là, il est toujours on ne sait pas où, il a gagné une espèce d’éternité.

Patrick de Gmeline, auteur

 

  

Outre-mer la 1ère : Sa mort reste un mystère. Il a peut-être été abattu au-dessus de Saint-Pierre et Miquelon par un bateau des gardes côtes américains, le prenant pour un contrebandier d’alcool. N’oublions pas que nous sommes en plein cœur de la prohibition. Vous pensez quoi de cette thèse de Bernard Decré ?

Patrick De Gmeline : C’est une hypothèse valable, la seule chose que je pense, pour les différents endroits, et aussi pour Saint-Pierre et Miquelon, c’est que s’il s’était abimé en mer de jour, et quelqu’un l’avait vu tomber, on l’aurait su. Mais l’archipel est sur sa trajectoire, ce n’est pas en Corse, c’est sur le chemin. Donc il y a une probabilité que, s’il est tombé fatalement quelque part, ce soit à cet endroit. Pour moi c’est une hypothèse tout à fait plausible et ce n’est pas quelque chose d’inventé.

Outre-mer la 1ère : Est-ce que quelque part Nungesser vous parle ? Si l’on se projette dans de l’utopie, voire de l’ucronie (procédé qui consiste à réinventer l’histoire comme si elle s’était passé autrement), comment aurait-il réagi à la sortie de cette biographie ?

Patrick De Gmeline : Je pense que s’il avait réagi ou s’il va réagir - et je vous tiendrai au courant (sic) - il me dirait "je me retrouve dans ce livre". Je parle de lui, bébé, enfant, jeune homme, jeune soldat, officier et explorateur, car c’en est un. S’il me disait "je ne me sens pas trahi par ce livre", ça serait pour moi un motif de satisfaction complet. Quand on écrit un livre on pourrait être tenté de broder autour du personnage car il y a tel ou tel aspect qui est intéressant.
Moi un de mes travaux a consisté à revenir sur la vérité stricte, car avec Nungesser la vérité n’a pas besoin d'être embellie, elle est déjà une espèce de roman. On peut se regarder soi-même, "Gnothi seauton", connais-toi toi-même, comme disait le grand Platon.

C’est très à la mode de faire de l’ucronie, s’il avait réussi et survécu, il aurait eu une vie extraordinaire, en tant que pilote, inventeur, homme à femmes, acteur. On ne peut pas le savoir donc on s’arrête au grand mystère de sa mort qui reste l’un des plus épais de l’histoire contemporaine.

Patrick de Gmeline, auteur

 

Avec François Coli le matin du 8 Mai 1927 peu avant le départ


Outre-mer la 1ère : A qui pourrait-on le comparer ?  Jean-Paul Belmondo par exemple, un héros moderne ou Nungesser lui-même ?

Patrick De Gmeline : Je crois que c‘est d’abord Nungesser mais la comparaison avec Belmondo est osée. Belmondo est un homme drôle, un homme à femmes, qui prend des risques car il ne se fait jamais doubler dans ses scènes d’action, c’est un sportif, boxeur aussi. Et Nungesser a fait et a été tout cela. Belmondo aurait pu l’incarner au cinéma même si physiquement ils ne se ressemblent pas vraiment. Mais le personnage peut faire penser à Nungesser sur beaucoup de plans, je ne vois pas d’autres personnages contemporains qu’on ait connus à qui on puisse le comparer.

Outre-mer la 1ère : Avez-vous pris du plaisir à écrire ce livre ?

Patrick De Gmeline : D’abord par principe je dois prendre du plaisir quand j’écris sinon je n’y arrive pas. Mais comme je vis quelque part avec mon héros il faut qu’on s’entende bien Nungesser et moi, on s’est bien entendu et on continue à bien s’entendre.
Sa vie recommence ce 10 février 2021 (jour de la sortie du livre). Après avoir vécu avec lui pendant que je faisais mes recherches, il y a eu ensuite un petit temps pendant lequel il ne passait tien, mais aujourd’hui il prend chair comme me dit mon éditeur (éditions du Rocher). Donc je repars avec lui pour un temps certain.
J’ai pris du plaisir à écrire ce livre, à relire, à corriger, à écouter les critiques, notamment de mon épouse qui me critique de manière constructive et ça c’est très important.

Outre-mer la 1ère : Pourquoi pas de véritable titre ou de mots marquants sur la une de couverture ?

Patrick De Gmeline : Il y a l’éditeur qui joue son rôle, j’ai pensé que le nom même de Nungesser suffirait à accrocher l’attention du lecteur potentiel avec cette photo bien choisie. Mais je ne trouvais pas de mots qui auraient pu le caractériser pour que ce soit naturel. D’où cette périphrase un peu longue qu’on a trouvé, rappelant le pilote et cet énorme aventurier qu’il a été.

Déjà des fake news à l'époque ! Détenteur de nombreux documents rares, Patrick de Gmeline présente les Unes des journaux français qui annoncent l'arrivée des deux aviateurs.

 

Outre-mer la 1ère : On aurait pu titrer sur le seigneur disparu ?

Patrick De Gmeline : Oui même si le mot seigneur peut induire en confusion car je ne pense pas que lui se soit considéré comme un seigneur de l’aviation, ni d’autre chose. Ce n’était pas un homme modeste, il aimait se mettre en avant, ce n’est pas un défaut, il avait de l’orgueil, de l’ambition je trouve cela très bien. Mais je ne pense pas que le mot seigneur lui aurait convenu, ça reste un débat ouvert. 

Outre-mer la 1ère : Enfin parlez-nous de cette photo de la couverture qui attire l’œil du lecteur

Patrick De Gmeline : Cette photo c’est tout à fait lui, il y a le pilote avec ses lunettes sur le casque et surtout le regard aigu de cette photo qui est extraordinaire. Mon éditeur a fait une œuvre créative, on a l’impression que cet œil vous prend et dit au lecteur achète-moi, prends-moi et emporte-moi chez toi !

 

Patrick de Gmeline est historien militaire. Il a publié une trentaine d’ouvrages couronnés par une dizaine de prix. Parmi ses titres : Cadets de Saumur, Sous-marins allemands au combat, Tom Morel le héros des Glières, Chasseurs alpins en Afghanistan, les As de la Grande Guerre….Mais aussi une biographie de la duchesse d’Uzès (Perrin). Il s’est spécialisé dans les BD historiques aux Editions du Temple. Il est chevalier de la Légion d’Honneur, officier de l’Ordre des arts et des lettres et lauréat de l’Académie Française.