8 juin 1939, 47 boulevard Saint-Michel à Paris. Justin Camprasse et Léontel Chalus, deux étudiants antillais, se présentent au dancing le Victoria et se voient refuser l’entrée. Pour prouver qu’ils ont affaire à un comportement raciste, ils reviennent le lendemain avec d’autres amis antillais.
L’historien Dominique Chathuant raconte : "Les étudiants ont pris soin de faire un test. C’est-à-dire, de revenir et de tester si vraiment on refusait de les servir, ou si c’est juste une impression qu’ils avaient eue. Donc ils vont revenir, s’asseoir à plusieurs, et on finit par verbaliser la chose, à leur dire qu’on ne servira pas les nègres à cet endroit." Ils viennent sans le savoir d’inventer ce qui semble bien être le premier test de situation de l’histoire. Cette célèbre méthode est ensuite réapparue et a été popularisée à la fin des années 1990 par l’association SOS Racisme.
Dans les années 30, l’affaire du Victoria remonte jusqu’au gouvernement. Dominique Chathuant détaille cette histoire dans son ouvrage Nous qui ne cultivons pas le préjugé de race, paru en 2022. "Ces étudiants décident de se plaindre à divers comités militants censés défendre leurs droits, explique-t-il au micro d'Outre-mer la 1ère. Ils s’en ouvrent aussi à leurs députés : Satineau pour la Guadeloupe et Lagrosillière pour la Martinique. Eux-mêmes s'adressent au ministre des Colonies puis au ministre de l’Intérieur." L'historien poursuit en expliquant qu'à cette époque, "racisme" sous-entend "nazisme", et que le préjugé selon lequel il n'y a pas de racisme en France persiste donc.
"À cette époque, on n'a pas de loi antiraciste"
Mais en 1939, seul le décret Marchandeau prévoit des poursuites pour haine raciale selon des circonstances précises. "On ne peut réprimer de tels actes que lorsqu’ils sont commis par voie de presse, complète Dominique Chathuant. Et le fait de refuser un verre à quelqu’un dans un bar sur un critère racial n’est pas prévu par ce décret."
Il faut attendre 1972 pour qu’une loi relative à la lutte contre le racisme soit adoptée, bien que peu appliquée jusque dans les années 2000. Appelée par abus de langage "loi Pleven" du nom du garde des Sceaux de l'époque, ce texte est la première loi antiraciste française.
Aujourd'hui encore, malgré l'arsenal législatif en place, les discriminations ont la vie dure, précise Marc Ferracci, député à l'origine d'une proposition de loi pour systématiser l'usage des tests : "Le constat est simple et malheureusement très bien documenté, c’est que les discriminations dans notre pays restent prégnantes."
D’actes individuels à un système organisé
"D’autres avant SOS Racisme ont utilisé ces méthodes, mais elles n’ont pas pensé à le caractériser, indique Dominique Chathuant. Elles ont testé, mais sans donner un nom. Entre 1939 et les années 90, il y a eu d'autres tests, par exemple un test organisé par le MRAP [Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, NDLR] permet de faire condamner le patron d'un débit de boissons à Angoulême", rappelle l'historien;
Il cite également en 1963 l'affaire du Paris-Londres, du nom d'un café brasserie proche de la gare du Nord qui refuse de servir des salariés antillais. À l'issue du procès en 1966, c'est la première fois qu'une condamnation est rendue pour "injures publiques" et "refus de vente" pour de tels actes.
Vers un usage systématique de ces tests
Plus que répandue dans le milieu associatif et militant, les tests de situation sont l'un des outils privilégiés pour dénoncer les discriminations. Des outils dont le gouvernement actuel entend bien se saisir. En visite à Marseille en juin, Emmanuel Macron annonçait vouloir systématiser leur usage pour lutter au mieux contre toutes formes de discriminations. Un souhait que les députés de la majorité ont mis en forme le 4 juillet dernier dans une proposition de loi "visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques".
Marc Ferracci, député Renaissance à l'origine de ce texte, s'explique : "Cette proposition de loi a vocation à utiliser des leviers qui sont les tests statistiques et individuels pour changer les comportements et également pour lutter contre la résignation et offrir un droit à la réparation aux personnes qui sont victimes de discrimination."
Concrètement, la DILCRAH (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT) serait chargée d'une nouvelle mission : créer un service public du testing. "Cette proposition de loi embrasse tous les sujets de discriminations mentionnés dans le Code pénal, poursuit le député. Ça recoupe l’accès à l’emploi, au logement, mais ça peut être aussi l’accès à une discothèque ou a une plage privée…" Marc Ferracci espère pouvoir défendre son texte d'ici à la fin de l'année pour une application dès 2024.