Marine Nationale : l’Auguste Bénébig va veiller sur le Caillou

Il pleuvait sans cesse sur Brest ce matin-là. Edouard, 41 ans, Maître à bord du Bénébig, connaît le refrain. Adjoint du chef du secteur manœuvres, il s’affaire autour des coursives et sur le pont du patrouilleur dernier cri de la Marine Nationale. Il vérifie tout le matériel des manœuvres et des embarcations du bâtiment, avec l’œil averti d’un marin de 18 ans de service. Edouard, originaire de Lifou, a fait ses classes à Brest, puis Toulon, passé de la Réunion à la Nouvelle-Calédonie avec quinze embarquements différents.  

Le Calédonien savoure cette prochaine mission où il va retrouver les siens, ému, il nous parle de son île : 

"Ça va apporter beaucoup de choses au Caillou de revenir avec ce bateau neuf, c’est un vrai plus pour la Nouvelle-Calédonie. Pour moi qui suis né là-bas, voir ce navire assurer la protection et la sauvegarde de l’espace maritime, c’est une vraie fierté"

Cette fierté se lit dans les yeux d’Edouard lorsqu’il évoque aussi ce devoir de mémoire. Elle est d’autant plus grande que le premier patrouilleur d’outre-mer (cinq autres vont suivre) porte le nom d’un glorieux fils de la Nouvelle-Calédonie, Auguste Bénébig. 

Auguste Bénébig héros méconnu du désert libyen

Après avoir effectué son service militaire au sein du Bataillon mixte du Pacifique, Auguste Bénébig est mobilisé en 1939. À 24 ans, il participe d’abord à la campagne de France. Puis il rentre à Nouméa mais n’accepte pas la capitulation, il rejoint la France libre : engagé volontaire pendant la seconde guerre mondiale, il devient un héros lors la bataille de Bir Hakeim. Dans le désert libyen, il sauve deux de ses camarades blessés du bataillon du Pacifique, en allant les chercher l’un après l’autre face au feu de l’ennemi, lors de la sortie de vive force dans la nuit du 10 au 11 juin 1942.  

Auguste Bénébig fut décoré pour cet acte de la croix de la libération par le général de Gaulle en au mois d’août 1942.  Il participera ensuite à la bataille d’El Alamein, puis à la campagne de Tunisie avant de rentrer le 22 août 1944 à Nouméa. Fait compagnon de la libération, après la guerre, il finit sa vie paisiblement à Nouméa après avoir ouvert à un garage, un héros tranquille en quelque sorte. 

Les cinq autres patrouilleurs porteront aussi les noms de cinq autres compagnons de la libération, le Tranape pour le second patrouilleur qui ira dans trois ans en Nouvelle-Calédonie, le Bernardino et le Teriiero o Teriierooiterai (celui-ci étant le prochain livré en 2024)  pour les deux bâtiments qui iront en Polynésie, et enfin le Techer et le Félix Eboué pour ceux qui iront à la Réunion.

Revenir avec un bateau qui porte le nom d’un héros du pays c’est un grand honneur. C’est grâce à ces gars du Bataillon du Pacifique que nous sommes là aujourd’hui. Il nous faut perpétuer les traditions et la mémoire envers les nouvelles générations, dire que ces hommes sont allés, un jour, au-delà de leur île pour sauver la France 

Maître Edouard, marin du Bénébig

Car au-delà du symbole fort du l’esprit à travers la sagesse (marqué sur le blason, Animus per Sapientam) l’Auguste Bénébig a une mission importante que veut mener le commandant de bord avec tout son équipage. En nous faisant visiter son bâtiment, le capitaine de corvette Jean-François Cabaret insiste sur un élément important, le premier de série, comme on dit dans le jargon de la Marine :  

«  Nous serons un peu comme des pionniers car l’armement d’un premier de série, c’est d’abord beaucoup de fierté et d’investissement pour s’approprier le bateau. Nous devons être sûrs qu’il dispose de toutes les caractéristiques militaires  en vue des missions qui lui seront dévolues. » 

Un patrouilleur dernière génération  

Quelques chiffres pour mieux comprendre :  
L’Auguste Bénébig peut aller à la vitesse de croisière de 24 nœuds, son déplacement est de 1300 tonnes à pleine charge, il possède des capacités étendues avec un rayon d’action de 5500 milles marins. Son gabarit, 80 mètres de long, est beaucoup plus important que les anciens P400. Il pourra ainsi mener à bien d’abord sa mission de sauvegarde maritime du territoire et l’action de l’État en mer avec un armement adapté. Mais également des missions de contrôle des pêches, la lutte contre les trafics illicites et la pollution sur la zone de la Nouvelle-Calédonie  

Côté armement, ce patrouilleur dernier cri est armé d’un canon téléopéré Narwhal de 20mm, de 4 mitrailleuses, d’un système de mini-drones aériens embarqués pour la Marine, de systèmes de radar de surveillance et de deux embarcations rapides d’intervention. 

 C’est une mission atypique car nous retrouvons devant une page blanche avec énormément de choses à mettre en place afin de se projeter dans les missions futures du bateau

Capitaine de Corvette Cabaret, commandant du Bénébig 

Son intégration dans le paysage Calédonien impliquera aussi une modernisation de la base navale de Nouméa, avec la construction déjà entreprise d’un nouveau quai par des entreprises locales. 

30 femmes et hommes partent à l’aventure 

L’équipage sera composé de trente marins mais pourra recevoir vingt-neuf passagers supplémentaires, pour assurer le soutien des plongeurs par exemple.  

Ce bateau neuf, Edouard l’apprécie, « ça nous apporte du confort par rapport aux autres bateaux et ça joue beaucoup sur le moral de l’équipage, on écoute, on apprend, on découvre. » 

À bord, le Calédonien nous confie aimer bien la petite salle de sport dotée d’un rameur, d’un vélo et d’un sac de frappe et d’haltères pour se maintenir en forme. Mais il apprécie aussi la cuisine de Cédric et de Fardj qui préparent les repas au quotidien pour l’équipage. 
Même son de cloche pour le second-maître Elise pour qui ce sera, à 25 ans, sa première mission. Passé par l’école de Maistrance, l’école des métiers de la Marine, qui incorpore et forme les futurs officiers mariniers, elle s’occupera des « RH »  à bord.  
"C’est génial pour ma première mission d’être sur un bateau neuf, de servir sur un bateau qui va en outre-mer, un bateau qui porte le nom d’un homme qui a fait de si grandes choses. Je suis entrée il y a peu de temps dans la Marine Nationale, et pour moi cette mission a un enjeu majeur car nous allons en Nouvelle-Calédonie pour les aider"

À bord, l’osmose entre les membres d’équipages est primordiale. Elle tient aussi bien à la cuisine qu’aux loisirs et à la mentalité des marins et des liens qui se créent très vite.  
"On reste un petit équipage et puis les liens se font assez facilement dans la Marine. On tendance à aller vers les nouveaux, et comme on a tous embarqués en même temps à bord, cette période "à terre"  nous permet de nous connaître avant la période de vie embarquée qui va débuter" conclut le second-maître Elise.  

La Nouvelle-Calédonie sera atteinte en trois de navigation, à bord du patrouilleur la traversée sera une vraie aventure. 

"Nous sommes conscients que c’est une grande traversée qui attend l’équipage" précise le commandant de bord.
 "Il faudra que tout soit prêt pour partir dans de bonnes conditions de l’autre côté du globe, traverser deux oceans n’est pas anodin et ce sera peut-être une des plus grosses missions du bateau. On doit être vigilant car on mène deux courses en même temps, l’armement d’un premier de série et la préparation d’une mission car nous savons que nous allons forcément rencontrer des conditions de mer difficiles."

Un véritable état d’esprit à bord  

Tout l’enjeu du premier équipage du premier patrouilleur d’outre-mer tient dans ce dernier propos du commandant, dans lequel on retrouve encore l’état d’esprit d’Auguste Bénébig  

"Le courage cher aux marins et l’humilité face aux éléments, ces deux valeurs doivent toujours être présentes pour nous. Ça fera partie des traditions de notre unité qui nous sont chères. La devise du Bénébig, Animus per Sapientam, c’est fort comme symbole et valeur pour l’équipage et ça fédère. Car la route est longue devant nous"

Auguste Bénébig était dans cet état d’esprit lorsqu’ il s’embarque le 5 mai 1941 à bord du Zealandia pour quitter la Nouvelle Calédonie et partir, lui aussi, vers un long périple vers le désert de Lybie où il trouvera la gloire. Comme lui beaucoup ont quitté le Caillou, mais 80 Calédoniens ne revinrent jamais au pays. 
Auguste Bénébig lui est rentré en Nouvelle Calédonie sain et sauf, marqué par de longues années de guerre.  
Lorsque le patrouilleur portant son nom va larguer les amarres de Brest et mettre le cap sur Nouméa, son nom et sa mémoire vont être une nouvelle fois honoré.