Ils étaient tout sourire et enthousiastes, enfourchant leurs vélos pour annoncer fièrement que la première phase des travaux pour les Caribus arrivait à son terme. C’était en septembre 2024, la première ligne des bus de la communauté d’agglomération devait alors être mise en service en janvier. Le début de l’aboutissement d’un projet vieux d’une décennie et très attendu pour désengorger l’agglomération de Mamoudzou. Les élus de la Cadema ne s’attendaient alors pas au passage du cyclone Chido en décembre, qui a ravagé le territoire et balayé leurs plans.
C’est quoi le projet de Caribus ?
Le projet a été initié en 2010 par la mairie de Mamoudzou et est porté depuis 2016 par la Cadema, la communauté d’agglomération regroupant les communes de Mamoudzou et Dembéni, paralysées par les embouteillages. L’objectif est de créer le premier véritable service de transport en commun routier (à l’exception du ramassage scolaire) à Mayotte via quatre lignes de bus :
- Une ligne dite « à haut niveau de service » avec 16 arrêts des Hauts-Vallons à Passamainty
- Une ligne secondaire avec 10 arrêts entre Passamainty et Dembéni
- Une ligne secondaire avec 12 arrêts entre les hauts de M’tsapéré et Cavani
- Une ligne avec cinq arrêts de Passamainty à Vahibé.
Le cahier des charges fixé est de pouvoir assurer des liaisons dans les deux sens de circulation toutes les 10 à 15 minutes pour transporter au moins 10.000 passagers par jour. Le coût du projet était estimé à 263 millions d’euros principalement dédié à aménager la ligne principale nord-sud, en créant une voie de circulation dédiée et des feux tricolores aménagés pour prioriser les bus. Plusieurs phases de chantiers étaient échelonnées jusqu’en 2027, la première étant l’aménagement du tronçon entre le pôle d’échange multimodal de Passamainty et le centre commercial du Baobab.
Pourquoi la première ligne n’a pas pu être lancée en janvier ?
Les derniers travaux n’ont pas pu être terminés, et la route n’a pas pu être livrée avant le passage du cyclone. "Depuis, on a été dans les constats, les diagnostics, faire l’inventaire de ce qui a été endommagé", énumère Badrou Radjab, vice-président de la Cadema en charge des mobilités. "On a rencontré les prestataires il y a deux semaines, on a eu entre 3 à 5 millions d’euros de dégâts." La principale difficulté est d’ordre électrique : les feux de circulation installés dans le cadre du chantier ne fonctionnent plus. Impossible sans cela de faire circuler les bus sur la voie dédiée et leur permettre de franchir les intersections en toute sécurité.
Autre problème : les déchets qui encombrent les remblais de M’tsapéré et bloquent l’accès au chantier. "Les camions passent par-là donc pour l’instant on ne peut pas encore finaliser le site propre (ndlr : la portion de route dédiée spécifiquement aux bus), mais j’ai cru comprendre qu’ils avaient réussi à dégager un petit accès", précise l’élu. "On pourra s’y attaquer dès que les feux auront été réparés." D’ici la fin du mois, la communauté d’agglomération aura une meilleure visibilité sur le temps que cela prendra. "On pense qu’on pourra utiliser la voie d’ici juin, même si ce n’est pas une certitude", avance Badrou Radjab.
Pourquoi on ne sait pas quand commenceront les autres phases ?
Les trois autres phases du chantier sont renvoyées aux calendes grecques. La prochaine phase devait débuter en avril à Kawéni, mais cette fois la Cadéma est tributaire d’autres chantiers : la construction d’un pont qui permettra aux bus de circuler via la rue Martin Luther King et l’installation de réseau d’eau et d’électricité. "On ne peut pas faire comme à l’ancienne, où on faisait la route puis on la cassait pour mettre les réseaux souterrains", admet l’élu communautaire. "Une fois que le bitume est posé, on ne l’enlèvera plus." Si la collectivité se montre conciliante avec ses prestataires dans un contexte post-chido, les entreprises accusent du retard par rapport au calendrier.
Par un effet en chaîne, les chantiers entre les Hauts-Vallons et Majicavo-Lamir ainsi que les aménagements entre le centre commercial du Baobab et la Pointe Mahabou ont été retardés. La troisième phase, entre la pointe Mahabou et l’entrée de Kawéni, reste à définir. Pour cette portion, la communauté d’agglomération doit faire avec les plans de la municipalité de Mamoudzou pour l’aménagement de son front de mer, notamment pour l’installation de son pôle d’échange multimodale et de ses 315 places de parking. La Cadema devra ensuite s’attaquer à la création du siège du réseau, là aussi adossé à un pôle d’échange multimodale aux Hauts-Vallons, en face du centre commercial Carrefour. Les travaux de terrassement devraient prochainement débuter pour y installer un parking relais de 235 places réparties sur quatre étages, des bureaux et une agence commerciale. La fin de ce chantier est envisagée pour 2027, mais là aussi c’est le flou. Le projet peut-être retardé "tout comme il peut s’accélérer, selon le soutien de l’État aux collectivités."
Une fois qu’on a les routes, qui va gérer les bus ?
Le cyclone Chido n’est pas le seul élément qui a perturbé le calendrier de la Cadéma. A ce stade, même si les infrastructures étaient terminées, il faut encore trouver l’entreprise qui pourra opérer les lignes Caribus. L’attribution du marché à la société Optimum a été contestée et annulée par le tribunal administratif en juin 2024. "On a mis les bouchées doubles pour éviter ce genre de désagrément, l’appel d’offres est toujours en cours, on n’a pas encore commencé la phase d’analyse", précise Badrou Radjab. Une fois le marché passé, le cahier des charges prévoit un délai d’un an pour que l’entreprise puisse s’équiper en bus. En attendant, un autre appel d’offres est en cours d’analyse pour désigner l’entreprise qui se chargera d’exploiter les navettes de la Cadema en attendant le lancement des Caribus.
Depuis décembre 2022, la communauté d’agglomération a mis en place ce service de navette pour fluidifier la circulation. Il a été remis en service le 3 mars dernier. Ne disposant que d’une flotte d’une douzaine de véhicules, la Cadema n’est en mesure d’assurer les trajets que dans un sens. Le matin, de 4h30 à 8h, au départ de Tsararano, Passamainty ou Hajangua jusqu’à Hauts-Vallons ainsi qu’au départ de Mayotte la 1ère jusqu’à la barge. L’après-midi, les navettes font ces trajets dans le sens inverse. Si ce service n’est censé être dédié qu’aux salariés disposant d’un véhicule, et faisant le choix de le laisser de côté, le réseau a vite été saturé. En septembre 2024, un pic de fréquentation avoisinant les 12.000 passagers par jour a été atteint, poussant la Cadema à instaurer des contrôles.
"On a aussi envisagé de commencer à faire payer les navettes pour financer les projets, mais avec le cyclone, on a mis cette réflexion de côté", précise l’élu. "L’heure est plus à la solidarité qu’autre chose." Après cette catastrophe, l’enjeu financier est pourtant de taille. "Avec la hausse des coûts des matériaux et les retards, on s’attend à ce que l’investissement global augmente, mais difficile de savoir dans quelle mesure", estime le vice-président de la Cadéma.
Et où en est le projet de transport interurbain du département ?
La communauté d’agglomération envisageait également de développer le réseau du Caribus jusqu’à Tsararano, mais attend pour cela des discussions avec le conseil départemental qui mène aussi de son côté un projet de transport interurbain. Le marché public pour son exploitation a été relancé en septembre 2024 dans l’espoir d’une mise en service en juin 2025. Cette fois, les chantiers d’infrastructure s’annoncent moins lourds puisqu’il n’est pas question de faire des voies dédiées. "On est toujours sur ce calendrier", assure Omar Ali, le vice-président du conseil départemental en charge des transports. "Cela va dépendre de la capacité des opérateurs à répondre présent. Il faudra aller chercher les bus et mettre en place la logistique." A ce stade, trois lignes sont identifiées comme prioritaires : Mamoudzou-Chirongui, Mamoudzou-Dzoumogné et la Petite-Terre. D’autres lignes pourront arriver par la suite. Tant du côté de la Cadema que du département, les élus formulent le même vœu : en finir avec les embouteillages qui pénalisent les habitants et asphyxient le monde économique.
Pour poursuivre sur la thématique de la mobilité :
-« On est mal barré », les embouteillages à Mayotte, pourquoi ça bloque ?