Le prélèvement et l'euthanasie des requins bouledogues et tigres, réalisé après une attaque mortelle, est un sujet sensible en Nouvelle-Calédonie. NC La 1ère fait le point sur ces opérations critiquées par les associations environnementales et certains spécialistes.
Une mesure qui fait des vagues. La maison bleue a annoncé, le week-end dernier, le prélèvement de 24 requins durant le mois de confinement. Un abattage de requins tigres et de bouledogues au niveau de l’Îlot Maître, du récif Ricaudy et de la grande rade de Nouméa destiné à protéger les baigneurs mais qui a suscité la colère des associations de défense de l'environnement. Pour y voir plus clair, NC la 1ère se penche sur cette pratique polémique en 5 questions.
1. Dans quel contexte cette décision a-t-elle été prise ?
Pendant de nombreuses années, les attaques de requins en Nouvelle-Calédonie ont été rares. Mais depuis deux ans, plusieurs drames ont ébranlé la région. De nombreux Calédoniens ont encore en tête la date du 25 mai 2019. Ce jour-là, Anthony, un petit garçon a eu la jambe gauche et l'abdomen arrachés, après avoir été attaqué par un requin bouledogue, alors qu'il se baignait dans la marina Port du Sud, baie de l'Orphelinat, à Nouméa. Un drame inhabituel qui a ému l'ensemble de la population locale et qui a conduit à la mise en place d'un "plan requin" par la Province Sud et la mairie de Nouméa, quelques semaines plus tard. Quelques jours plus tard, c'est un pêcheur qui a été attaqué à Belep, dans le Nord de la Calédonie.
La dernière attaque marquante remonte au 28 février. Un homme de 57 ans a perdu la vie après avoir été attaqué par un requin tigre à l'îlot Maître, un lieu très fréquenté par les locaux, en particulier le week-end. Pour les spécialistes, cette attaque reste inexpliquée.
2. En quoi consistent ces prélèvements de requins ?
A la suite de l'attaque du petit Anthony et face à la prolifération et la sédentarisation des squales, la Province Sud a décidé de capturer et d'euthanasier un certain nombre de ces spécimens. Le premier prélèvement a eu lieu le 12 juin 2019 et a conduit à l'abattage d'une vingtaine de requins bouledogues. Ces opérations se déroulent en présence de pêcheurs professionnels, d'un représentant de la direction de l'environnement, un représentant de la sécurité civile et des affaires maritimes de la Nouvelle-Calédonie ainsi que d'un vétérinaire. Une opération qui n'est jamais "neutre et simple" indiquait la province Sud en 2019.
Objectif final : éviter la sédentarisation de ces requins près des baies fréquentées par la population calédonienne. "On est sur une opération classique de pêche : le requin est appâté. On attend qu’il se fatigue un peu et ensuite, il est remonté et euthanasié selon les modalités définies sur le bateau par les professionnels", expliquait Karine Lambert, la directrice de l'environnement à la Province Sud, lors de la première opération en juin 2019.
3. Est-ce la seule méthode utilisée pour éviter la prolifération des squales ?
En septembre 2020, la province Sud a également indiqué vouloir procéder au marquage de requins dans la zone du récif Ricaudy, à Nouméa, une zone où plusieurs attaques ont eu lieu ces dernières années. Il s’agit d’évaluer le nombre et le type de squales qui résident dans cette zone. Ces marquages doivent permettre d’obtenir des données rationnelles sur l’évolution des squales dans les eaux calédoniennes ainsi que leurs habitudes. Une méthode approuvée par les associations environnementales.
4. Pourquoi ces abattages sont-ils critiqués ?
Pour la Province Sud, ces opérations sont des régulations de la population de squales, notamment de spécimens aux caractères agressifs et de grande taille. La Maison bleue n'hésite pas d'ailleurs à parler de "prélèvements ciblés".
Sea Shepherd, WWF, Ensemble pour la planète, Calédoclean, SOS Mangroves et Corail vivant ne l'entendent pas de cette oreille. Ces associations environnementales s’opposent à l’abattage systématique des squales, une méthode jugée scientifiquement inefficace. Une pétition a été lancée en juin 2019 et a récolté plus de 50 000 signatures.
L'ONG Sea Sheperd Nouvelle-Calédonie est particulièrement engagée dans cette problématique. A de nombreuses reprises, elle a alerté les institutions. "Les responsables de la Province Sud admettent eux-mêmes qu'ils ne possèdent pas de données fiables pour justifier les opérations en cours", assure Olivier Malnati, le secrétaire de l'ONG. Sea Sheperd demande depuis déjà deux ans de faire "cesser ces pratiques inefficaces".
De son côté, l'association EPLP, Ensemble pour la planète, estime que les abattages souhaités par la mairie de Nouméa et la Province Sud sont une mesure "aveugle". L'association suggère de sensibiliser "sans relâche les plaisanciers à l'origine de rejets organiques" et de les sanctionner. Elle craint ce type de pêches et préconise plutôt d'identifier et d'éliminer, selon un protocole bien précis, uniquement le squale responsable d'une attaque. Toutes les associations environnementales souhaitent la reprise des réflexions, lancées en septembre 2019, lors du premier consortium sur la gestion du risque requins.
Par ailleurs, si le docteur Claude Maillaud, spécialiste de la faune marine dangereuse, admet que ces prélèvements réduisent à court terme le risque requins, il déplore le manque de données scientifiques, sur les raisons de cette prolifération.
Il faut analyser les facteurs environnementaux, qui favorisent la présence de ces grands requins et c'est ainsi seulement que l'on pourra régler le problème de leur fréquentation.
"Dans le cas contraire, les requins reviendront forcément de là où on a prélevé quelques spécimens. En plus, c'est susceptible de donner au public une fausse impression de sécurité", explique-t-il.
5. Ces prélèvements sont-ils amenés à être reconduits?
La première opération de prélèvement en juin 2019 a été la première d'une longue série. Dans le cadre de son plan requin, la Province Sud a par la suite effectué six autres procédures du genre, à la fois sur des requins bouledogues mais aussi sur des requins tigres. Il y a donc eu deux campagnes campagnes de prélèvements en 2019, deux autres en 2020 et à ce jour, deux en 2021.
Il s'agit d'une nécessité de "maintenir les efforts, pour éviter la sédentarisation près de nos baies, de spécimens qui pourraient devenir progressivement déviants", estime Clément Préault, directeur de cabinet de la présidence de la province Sud. Un "difficile équilibre" de la sécurité et du respect des espèces, que la Province Sud "s’emploie à maintenir". "Ces prélèvements sont un seul élément d'un panel beaucoup plus nombreux d'actions, pour prévenir le risque requin", conclut-il.