Crise en Nouvelle-Calédonie : pourquoi le 24 septembre 2024 suscite tant de crispations

Les deux drapeaux flottant devant la mairie de Nouméa.
Il figure en bonne place parmi les sujets de conversation les plus abordés du moment en Nouvelle-Calédonie. Le 24 septembre cristallise tensions et appréhensions, cette année.

Couvre-feu renforcé, vente d'armes et d'alcool prohibée, dispositif colossal de maintien de l'ordre ... L'ampleur des mesures décidées par les pouvoirs publics en dit long sur la crainte d'un regain de tension que suscite le 24 septembre, date de la fête de la citoyenneté. Les effectifs de sécurité atteignent un nouveau record : 6 000 gendarmes, policiers et pompiers sont mobilisés sur l'ensemble du territoire durant ce long week-end. 

Dans ses arrêtés de renforcement des restrictions, le haut-commissariat justifie les mesures prises par la présence de "différents messages circulant sur les réseaux sociaux, appelant à des troubles à l'ordre public le 24 septembre".

Des proclamations annoncées

En parallèle, les représentants de l'Etat gardent certainement en mémoire le discours prononcé par Daniel Goa lors du comité directeur de l'Union calédonienne le 8 juin dernier. Le président du parti avait alors appelé à déclarer la pleine souveraineté "immédiate et non-négociable" pour le 24 septembre 2024. L'Union calédonienne avait ensuite rectifié la date souhaitée, affirmant qu'il s'agissait en fait du 24 septembre 2025.

Autre initiative similaire : celle du grand chef de La Roche (Maré) Hippolyte Sinewami. L'ancien sénateur coutumier et président du conseil des grands chefs Inaat Ne Kanaky organise une cérémonie officielle le 24 septembre à Maré pour déclarer unilatéralement "la souveraineté des chefferies sur leurs territoires coutumiers". 

"Le 24 a pu être annoncé de manière complètement irresponsable comme une date de soulèvement", estime Nicolas Matthéos, commandant de la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie. "Nous devons rassurer la population et dissuader les quelques radicaux qui pourraient être tentés de commettre des exactions".

"Il y a énormément de rumeurs qui ont circulé suite à un certain nombre de déclarations faites par les uns et les autres autour du 24 septembre", abonde le directeur de cabinet du Haut-commissaire, Théophile de Lassus. "C'est une fête qui doit rassembler autour des notions de destin commun, de citoyenneté et certainement pas diviser. Et si certains veulent diviser et s'en prendre aux Calédoniens, l'Etat apportera une réponse d'une très grande fermeté".

Une date sensible

De fait, la journée de la citoyenneté telle que l'avait imaginée Déwé Gorodey se voulait fédératrice. Une manière d'exorciser les démons du passé, à tout du moins de les assimiler collectivement en célébrant chaque année l'unité des Calédoniens autour du 24 septembre, l'anniversaire de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France.

"Nous devons ensemble, assumer notre histoire commune et nous devons aussi continuer à construire la citoyenneté de notre pays, au-delà de toute contingence quelle qu’elle soit", avait déclaré la femme politique indépendantiste lors d'un discours d'ouverture en 2011. La date n'en demeure pas moins sensible, le 24 septembre étant toujours considéré comme un jour de deuil par une partie du peuple kanak.

Certains militent de longue date pour en changer le format, à l'image de l'historien calédonien Louis-José Barbançon. L'auteur de L'archipel des forçats promeut un mois de la citoyenneté, articulé autour de dates historiques en septembre, comme l'arrivée du bagne, la mort du chef Ataï, le festival Mélanésia 2000 ou encore le ralliement de la Nouvelle-Calédonie à la France libre.

"Je ne suis pas certain que ce soit une date appelée à durer", confiait l'historien il y a quelques années à nos confrères des Nouvelles calédoniennes. "Si ce pays devient un jour souverain, continuera-t-elle d'être célébrée et de quelle façon ? Comme une fête de la rencontre entre deux peuples ?", s'interrogeait-il, rappelant en parallèle le caractère violent de la prise de possession.

Vers un affichage de couleurs ?

Dans le contexte des quatre derniers mois, marqués par les violences les plus importantes que la Calédonie ait connues depuis les années 1980, la fête de la citoyenneté va sans doute peiner à rassembler les communautés du territoire, voire même faire davantage ressortir les clivages. 

Une partie des collectifs dits de voisins vigilants ont décidé d'installer à nouveau des barrages dans leurs quartiers, redoutant le retour d'exactions en ville. Un phénomène accéléré par le regain de tensions constaté après la mort de deux hommes à Saint-Louis jeudi, lors d'une opération de gendarmerie. 

Certains indépendantistes comme non-indépendantistes appellent en outre sur les réseaux sociaux à "afficher leurs couleurs" tout au long du 24 septembre. Si aucun rassemblement physique ne devrait avoir lieu en raison des restrictions décidées par le Haut-commissariat, la journée de mardi pourrait tout de même rappeler à certains égards le 13 avril dernier, lors duquel les partisans des deux camps s'étaient livrés à une démonstration de force dans les rues de Nouméa.

Le reportage de Natacha Lassauce-Cognard et Fabien Laubry :

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