Abattage, interdiction de baignade, filets : le dossier requin divise toujours

Un bouledogue capturé après l'attaque mortelle de requin à Nouméa, début 2023.
Les "opérations de régulation" de requins menées à Nouméa ne laissent personne indifférent. Et exacerbent les positions. Les interdictions de baignade et la pose de filets anti-requins sont également des sujets clivants.

Pêche préventive nécessaire pour les uns, massacre absurde pour les autres, les "campagnes de régulation" des requins menées à Nouméa sont diversement appréciées. Pour rappel lors de la précédente campagne, qui s’est tenue du 17 au 26 avril dernier, 26 requins tigres et bouledogues ont été abattus.

La province Sud a invité en Nouvelle-Calédonie Jean-François Nativel, un partisan de la pêche aux requins qui depuis des années est engagé dans la prévention du risque requin à La Réunion (dont il est aussi conseiller départemental et élu municipal). Il animera notamment le jeudi 25 mai une conférence sur les requins. Sa visite ne fait pas l’unanimité. L’homme est controversé, notamment auprès des associations de défense de l’environnement.
Jean-François Nativel était l’invité de la matinale radio ce mardi 16 mai (un entretien à retrouver dans son intégralité ici).
Quels arguments développe-t-il et quelles sont les autres positions défendues en Calédonie ou ailleurs ? 

L’abattage des requins

Pour Jean-François Nativel, abattre des requins est la seule méthode efficace. Elle a selon lui fonctionné à La Réunion car grâce à la mise en place d’un programme de pêche préventive, il n’y a plus eu d’attaques de requin ces quatre dernières années. 
Une position combattue par d’autres associations réunionnaises. Ainsi, le site Protection requins parle au contraire de pêche "inefficace par rapport à son objectif de sécurisation de l’océan". 
Et dénonce une pêche dévastatrice pour la biodiversité marine, d’autant que près de 70 % des prises sont dites "accessoires, car elles ne correspondent pas aux espèces ciblées", le requin-bouledogue et le requin-tigre. A noter que le programme a évolué en avril 2023 puisque désormais à La Réunion, les requins-tigres juvéniles de moins de 2,5 mètres sont marqués puis relâchés et non plus abattus. 

En Nouvelle-Calédonie, plusieurs associations se positionnent également contre l’abattage de requins, mais sans pour autant rentrer avec force dans le débat public. C’est le cas par exemple de Sea Shepherd comme le montre leur publication ci-dessous en date du 12 février :


Également opposée à l’abattage des requins, l’association Ensemble pour la planète organisait de son côté ce mercredi 17 mai une "casserolade" devant la mairie de Nouméa, pour dénoncer ces "massacres" et également la venue en Nouvelle-Calédonie de Jean-François Nativel. 
Le reportage d’Angela Palmiéri et Claude Lindor.

©nouvellecaledonie


Le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) s’est elle aussi positionnée contre l’abattage des grands requins l’an dernier.    
Le réseau environnemental qui réunit 1 400 organisations membres et 18 000 experts a émis le 11 mars 2022 un avis sur la gestion du risque requin dans les Outre-mer. L’UICN y exprime son opposition à l’abattage des grands requins méthode selon elle "de limitation du risque inefficace".
Elle appelle à une démarche rationnelle de la part des acteurs impliqués dans la gestion du risque requin dans les outre-mer. 
Pour Jean-François Nativel, "on peut pêcher de façon raisonnée, il ne s’agit pas d’aller vider la mer". Et d’accuser les associations écologistes et autres scientifiques de privilégier l’animal face à l’homme. "À un moment, il faut remettre l’humain comme prédateur, et ça, la société ne l’accepte plus parce qu’elle ne veut voir l’humain que comme proie. Et ça je suis contre et je le dis haut et fort : l’humain d’abord". 

La protection des requins

 La province Sud a retiré le octobre 2021 les requins-tigres et bouledogues de la liste des espèces protégées ouvrant ainsi la voie à la pêche de ces squales.
"Je pense que c’est une excellente nouvelle, très courageuse. Vous avez cette chance d’avoir aussi des possibilités localement de gérer ce type de mesures" estime Jean-François Nativel. 
Une satisfaction que ne partage pas EPLP. L’association avait attaqué la délibération de la province Sud devant le tribunal administratif mais ce dernier avait confirmé le 27 octobre 2022 la légalité de la mesure. Ensemble pour la planète estimait notamment dans ses motivations que l’assemblée provinciale avait "commis une erreur de droit au regard des objectifs de développement durable et de préservations du patrimoine commun". 
La protection des requins est aussi une question de société en Nouvelle-Calédonie, et notamment pour les communautés océaniennes pour lesquelles le requin est souvent un animal totem

L’UICN rappelait dans son avis de mars 2022 que " les requins peuplent depuis des millions d’années l’océan et jouent un rôle fondamental dans le maintien de son équilibre" et que "37 % des espèces de requins et de raies sont désormais menacées d’extinction".  
L’UICN a récemment classé le requin-bouledogue comme espèce vulnérable. "Mesure totalement absurde" commente Jean-François Nativel. "Le bouledogue est une espèce invasive. Les gens se baignaient sans aucun problème avant l’arrivée du requin-bouledogue".

D’autres encore comme l’association Vagues de la Réunion défendent l’indispensable protection des requins tigres et bouledogues : 

Les interdictions de baignade

Mis à part une zone de baignade surveillée récemment mise en place à la baie des Citrons, la baignade est interdite depuis plusieurs mois à Nouméa. 
L’arrêté d’interdiction a été toutefois attaqué par un administré devant le tribunal administratif, le délibéré a été rendu et celui-ci annule l'arrêté du 16 mars qui interdit la baignade du 20 mars au 31 décembre 2023. Or, même si l'administré a obtenu gain de cause, la baignade continue d'être interdite car un deuxième arrêté avait été pris par la mairie de Nouméa, le 3 mai, interdisant la baignade jusqu'au 30 novembre 2023.
Jean-François Nativel, lui, se félicite de cette mesure : "L’interdiction de baignade, quand on est comme chez vous en ce moment,  face à un risque qui est extrêmement fort, il n’y a pas d’autres solution". Une mesure qu’il qualifie de "bénéfique" et qu’il faut soutenir. 

Les filets anti-requins

Là encore, Jean-François Nativel soutient la pose annoncée de filets anti-requins sur certaines baies de Nouméa. 
"Pour les touristes, les enfants, il faut absolument des zones qui soient le plus sécurisées possible, et les filets sont la seule solution pour garantir cette sécurisation quasi-totale."
Une bonne mesure aussi pour Claude Maillaud, médecin généraliste et spécialiste de la faune marine dangereuse tropicale, qui indiquait en février dernier sur notre antenne radio que la création d’espaces sécurisés était une bonne idée, mais pas avec des filets souples. Il préconisait alors "des filets à maille plus ou moins rigide, moins délétères pour l’environnement". 
Selon Jean-François Nativel, "ici, ils vont utiliser les filets anti-requins sous-marins métalliques qui sont  très solides. Il n’y a pas d’impact écologique du tout". Selon lui, les poissons ne vont pas se prendre dans ces filets ultra-rigides, l’écosystème ne devrait pas en souffrir.
Une position qui n’est pas partagée par les associations environnementales qui dénoncent comme EPLP des "filets non discriminants" qui "provoqueront moult désordres écologiques". 
Dans ses préconisations, l’UICN encourageait notamment les autorités à "la mise en place de moyens de surveillance proactifs et non létaux dans les zones touristiques et sportives".