Dans son dernier livre Le Conteur, la nuit et le panier, l’écrivain martiniquais cherche à percer les mystères de la création littéraire sous l’angle de la plantation, de la domination coloniale et sous les feux de sa propre expérience. Étourdissant et maîtrisé.
Comme Patrick Chamoiseau le dit lui-même dans ce numéro de l’Oreille est hardie, c’est d’un objet littéraire non-identifié qu’il a accouché cette fois-ci. Ni un essai, ni un roman, ni un récit, Le Conteur, la nuit et le panier (éditions du Seuil) est sans doute tout cela à la fois...
À l’origine, une interrogation (qui tourne peut-être à l’obsession ?) : comprendre le principe même de la création. Qu’est-ce qui fait un écrivain ? Qu’est-ce que l’Écrire ? À quel moment se fait la bascule d’une écriture personnelle vers une écriture littéraire ? Et comment, dans le contexte qui est le sien - contexte géographique et politique de sa Martinique et de ses Antilles -, s’envisage l’existence même de la littérature ?
Patrick Chamoiseau nous convie à un vertige, à une mise en abîme permanente : dans ce livre - qu’il a écrit et donc créé -, l’écrivain définit et redéfinit les bases de la création littéraire en prenant pour origine l’espace même de la plantation avec son système d’inhumanité pourtant propice à ce jaillissement de la Parole, de la Beauté de cette Parole et donc... de la création.
Elémentaire, mon Chamoiseau...
L’écrivain entreprend ainsi, à travers trois énigmes qui composent le titre (l’énigme du Conteur, l’énigme de la Nuit, l’énigme du Panier), de décrire pourquoi la figure du Conteur primordial est à la genèse de la littérature telle qu’elle s’est forgée chez les plus grands : Aimé Césaire, Edouard Glissant, Frantz Fanon en tête... Sur la plantation comme dans le cercle de parole appelé la-ronde (lawond), le Conteur sublime l’acte de création parce qu’il le fait dans un système qui le contraint. Il conte et déclame de nuit parce que le jour appartient au dominateur et que la nuit le libère ; il n’est plus esclave et donne libre cours à sa créativité.
Les fondements de la création
Et Chamoiseau d’énoncer d’autres principes. Pas d’Écrire sans le Lire. Pas d’écrivain sans auparavant avoir été un grand lecteur. Et c’est tout son univers personnel qui fait ici son retour, avec ses bouts d’enfance déjà largement présents dans ses œuvres (comme dans sa trilogie Une enfance créole). Chamoiseau raconte comment le petit Patrick lisait tout ce qui lui tombait sous les yeux (romans d’amour, roman policier, bandes dessinées, magazines...) et comment de ce foisonnement, est née l’envie d’imiter, de reproduire puis d’écrire à son tour.
Pas d’Ecrire non plus sans "moment-catastrophe". Le bouleversement des choses est propice à la création et l’auteur l’explique dans un parallèle qu’il effectue avec le cyclone ou le tremblement de terre. Beaux passages où l’enfance et sa mère revivent dans ce livre.
Les héritiers du Conteur
Qui sont les tenants de cette Parole qui fait création ? Pour Chamoiseau, très peu ont repris le flambeau du Conteur. On a mis de côté la plantation et ce qu’elle avait fait naître de plus créateur et s'est succédé une flopée d’écrivains doudouistes délaissant la réflexion littéraire au profit de la description sucrée des territoires. Pour Patrick Chamoiseau, il faudra attendre un Césaire qui se fera cri dans le Cahier d’un retour au pays natal puis l’avènement de son cher Glissant et ses concepts de "Tout-monde" et de "relation" pour trouver un héritage, une filiation au Conteur... Et Chamoiseau lui-même ? Un modeste disciple, un héritier en tentative constante de maintenir ce flambeau de la création qui éclairait la nuit la plantation et les cercles de parole, jadis...
Et Chamoiseau créa... le livre de la création
Le Conteur, la nuit et le panier, c’est du Chamoiseau tout craché et bien craché. On pourrait se demander si l’étude de soi-même ne frise pas la mégalomanie mais la question n'est pas ou plus là : après tout, il est très bien placé pour étudier, comprendre et raconter son propre système de création ! Sa pensée est claire et petit à petit le mystère de l’Écrivain se lève (ainsi que son propre mystère !). Son écriture est dense mais libre et s’affranchit du genre littéraire pour mieux nous plonger au cœur de cette littérature que Patrick Chamoiseau contribue immanquablement à honorer de sa plume et par son œuvre.
Et si vous voulez comprendre pourquoi ce titre insolite Le Conteur, la nuit et le panier, écoutez Patrick Chamoiseau parler de son dernier livre dans L’Oreille est hardie. Tendez l’oreille, c’est par ICI !
ou par là :
« Le Conteur, la nuit et le panier » de Patrick Chamoiseau est paru aux éditions du Seuil.