1er juillet 2020 au matin, un homme sort de la prison du Port, à La Réunion. Des journalistes filment la scène. Ils trépignent. Celui qu'ils attendent est assis sur le siège passager d'une voiture. Il a le crâne rasé, de grands yeux bleus, un polo ajusté qui fait ressortir sa carrure massive et autour du cou une chaîne en or qui brille. On ne voit pas le tatouage sur son avant-bras gauche, celui qui est consigné dans sa fiche pénale : une grappe de raisin et une bougie enroulée d'un serpent. Il ne fait pas son âge : 70 ans. Son nom, les Réunionnais le connaissent par cœur, il s'agit de Casanova Agamemnon, un meurtrier récidiviste devenu l'un des plus anciens détenus de France.
Ce nouvel épisode d'Archipels du crime vous raconte la vie de cet homme au parcours hors norme qui aura passé près d'un demi-siècle derrière les verrous sans jamais devenir fou.
Sur son île, on l'a longtemps présenté comme l'"ennemi public numéro 1", après un premier meurtre commis en 1969. Cette année-là, il a tué son patron. Puis, d’un deuxième meurtre commis en 1986 : il a tué son frère avant de partir dans une cavale rocambolesque.
Mais ces dernières années, s'il faisait parler de lui, c'est parce que la machine judiciaire avait fini par l'oublier en prison. Comment Casanova Agamemnon en est-il arrivé là ?
Meurtre de son patron
En 1969, le beau jeune homme a 19 ans. Il travaille comme aide-cuisinier dans un restaurant de Saint-Denis, le chef-lieu du département. Le restaurant s'appelle Le Cheval blanc et il est tenu par Paul Pothin.
Les relations avec son patron sont exécrables. Ce dernier le renvoie une première fois parce qu'il découvre que son employé entretient une liaison avec la femme de ménage. S'il y a peut-être une seule chose que Casanova partage avec son homonyme vénitien, le libertin Giacomo Casanova, c'est qu'il plaît aux femmes.
Il se trouve que Casanova réintègre l'équipe du Cheval Blanc quelques mois plus tard. Et c'est à son retour que les choses vont dégénérer. Le même monsieur Pothin le soupçonne cette fois d'avoir volé dans la caisse. Il le licencie à nouveau.
Dans la nuit du 8 au 9 mai 1969, il attend son patron à la sortie du restaurant, armé d'un couteau. Il est environ 2 heures du matin. Il dira plus tard qu'il voulait simplement l'intimider, mais le ton monte, et Paul Pothin est poignardé au cœur. Il décède quasi-instantanément.
Casanova Agamemnon est rapidement arrêté. Son procès aux assises se tient en octobre 1970, à Saint-Denis de La Réunion. Il tente de convaincre les jurés qu'il voulait "juste" faire peur à sa victime, mais il est tout de même condamné pour assassinat, donc pour meurtre avec préméditation.
À l'époque, il a 20 ans, il est encore mineur au regard de la loi. Pour encore quelques années, la majorité est fixée en France à 21 ans. C'est probablement ce qui le sauve de la guillotine. Mais il est condamné à la réclusion à perpétuité. Pour son avocat, maître Benoit David, c'est un verdict très sévère. Certes, il a tué, mais sans torture, sans actes de barbarie.
Une première évasion
Un an plus tard, Casanova Agamemnon se fait la belle en profitant de l'évasion d'autres détenus de la vieille prison Juliette Dodu. Mais il ne bénéficie d'aucun réseau pour pouvoir quitter l'île incognito. Il est rattrapé après une semaine de cavale. Deux ans d'emprisonnement supplémentaires viennent alourdir son casier judiciaire.
À partir de cet épisode, l'administration pénitentiaire le considère comme un prisonnier à risques. En 1973, il est transféré dans l'Hexagone où il connaît le même régime carcéral que les plus grands criminels, comme Jacques Mesrine. Il fait le tour des QHS, les quartiers haute sécurité. À Fresnes, Lisieux, Clairvaux, Tulle, Nîmes, Mende, Gradignan…
Il ne revient à La Réunion qu'en 1984. L'année suivante, il fait une demande de remise en liberté qui lui est accordée. Le 2 juillet 1985, Casanova Agamemnon est donc placé en liberté conditionnelle, il a alors 35 ans.
L'ennemi public numéro 1
Le natif de Saint-Benoît "replonge" quelques mois après son retour. En 1986, il se dispute avec sa compagne. Un coup de feu part. Soi-disant accidentellement, on ne saura jamais vraiment. Des policiers arrivent sur place, Casanova parvient à les embobiner en leur disant qu'il va chercher des secours. En fait, il s'enfuit. Il enfourche son deux-roues et se dirige vers le chantier où travaille son frère Joseph. Casanova le trouve. Lui tire une balle en pleine poitrine. Joseph tente de s'enfuir, court sur 150 mètres environ, puis s'effondre. Il meurt dans l'ambulance de sa plaie au cœur, contrairement à Marie-Thérèse qui s'en sort. Casanova Agamemnon, lui, disparaît dans la nature.
Les Réunionnais croient l'apercevoir partout, gendarmes et policiers sont sans cesse sollicités. En une des journaux, on peut lire : "Meurtrier en fuite", "Western à Saint-Denis".
Durant cette cavale, la femme d'un policier dépose une plainte pour viol, en affirmant avoir été agressée par Casanova Agamemnon. Le fugitif est alors l'ennemi public numéro 1 à La Réunion. Il est finalement arrêté chez un ami, en mai 1986. Une arrestation pour le moins périlleuse : Agamemnon reçoit deux balles dans les jambes en tentant de fuir. Il essaie de se suicider avec son arme, sans succès.
Son procès a lieu en juillet 1988. Le Réunionnais est acquitté de la tentative d'assassinat sur sa compagne, ainsi que du viol de la femme du policier. Il est en revanche condamné à dix ans de réclusion pour le meurtre de son frère Joseph.
Transfert du prisonnier dans l'Hexagone
La peine de dix ans de prison en cache une autre : Casanova Agamemnon ayant commis un meurtre durant sa libération conditionnelle, c'est en réalité la perpétuité qui "reprend ses droits". En novembre 1988, Casanova Agamemnon est de retour dans l'hexagone pour y purger sa peine, sous prétexte qu'il n'y a pas de centre pénitentiaire suffisamment sécurisé à La Réunion. Il dépose à partir de 1991 de nombreuses demandes de libération conditionnelle. Aucune d'elles n'aboutit. Agamemnon doit attendre vingt-trois ans pour enfin retrouver son île natale.
La fin de la peine
À partir des années 2000, il multiplie les demandes de libération conditionnelle et de transfèrement à La Réunion. Perpétuité ne veut pas dire prison à vie, tout condamné y a droit. Mais ses demandes sont systématiquement rejetées. On lui reproche sa froideur, son manque d'empathie. On souligne aussi qu'il conviendrait de "préparer un projet de sortie dans son département d'origine", tout en lui refusant de rentrer à La Réunion. En 2012, il s'exprime dans la presse réunionnaise. Le quotidien Le Journal de l'île affiche en Une cette citation : "La justice m'a déporté et oublié". En 2013, son avocat adresse une lettre à Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, et obtient un changement d'affectation. Agamemnon va pouvoir purger sa peine à La Réunion, à la prison du Port. Il lui faut attendre encore cinq ans et essuyer plusieurs refus avant de pouvoir sortir.
Un mariage avant sa libération conditionnelle
Durant son incarcération, ses proches montent un comité de soutien. À sa tête, il y a l'une de ses petites cousines éloignées, Nadège Lhomond. Au fil de ses visites au parloir, cette mère de deux enfants, divorcée, tombe amoureuse de Casanova. Ils se marient en novembre 2017 à la prison du Port. Le 2 mars 2019, lors de sa toute première permission de sortie d'une journée, c'est donc au côté de sa femme Nadège qu'apparaît Casanova Agamemnon.
Casanova Agamemnon se tient à carreau, sa libération conditionnelle n'est pas révoquée. Un an plus tard, il est donc débarrassé de son bracelet. Et aux journalistes qui l’interrogent sur le confinement imposé par l’épidémie de Covid, il raconte l’avoir "bien vécu" grâce à la vente de fruits et légumes avec son épouse, dans les Hauts de l'île. On peut en effet imaginer sans difficulté qu'en matière de confinement, le Réunionnais a une certaine expérience.
Retrouvez ici les autres épisodes d'Archipels du crime, consacrés aux grands fait-divers qui ont marqué les Outre-mer.
"Casanova Agamemnon, un demi-siècle en prison", un podcast écrit par Léia Santacroce, raconté par Stana Roumillac
Réalisation Arnaud Forest accompagné de Karen Beun
Production originale Initialstudio avec la participation de France Télévisions
Durée 22 min - 2023