27 juin 2012, un hélicoptère dépose des militaires dans le secteur de Dorlin, un site d'extraction d'or dans le sud-ouest de la Guyane. Parmi eux, se trouvent deux militaires aguerris, Sébastien Pissot et Stéphane Moralia. Ils sont affectés depuis presque un an en Guyane au sein du 9e RIMA, le neuvième régiment d’infanterie de marine. Il va s'agir de leur dernière mission.
Dorlin est un site d'extraction d'or important, non loin de la commune de Maripasoula en Guyane. Les militaires sont là dans le cadre de l'opération "Harpie" qui rassemble des gendarmes, un régiment de la Légion étrangère et le neuvième RIMA. Ces hommes ont pour mission de faire reculer l'orpaillage clandestin en Guyane. Mais ce jour là, la mission Harpie va connaître la pire embuscade de son histoire.
Une embuscade dans la jungle
Ce matin de juin, un premier hélicoptère de l’opération Harpie essuie des tirs d’origine inconnue. Quelques heures plus tard, 36 gendarmes et commandos se déploient sur le terrain. Ils sont attaqués par des hommes armés de fusils d‘assaut. Deux militaires sont tués : Sébastien Pissot, 33 ans et Stéphane Moralia, 28 ans. Deux gendarmes sont grièvement blessés. Ces militaires sont tombés dans le cadre de la lutte contre l’orpaillage clandestin.
Ce double meurtre pose beaucoup de questions. Le coin de jungle dans lequel ils sont tombés, était-il vraiment un dangereux Far West comme on l'entendait ici et là depuis quelques années ?
Dorlin, un lieu qui raconte l’histoire de l’or
La Guyane française est riche en or. L'exploitation a été assez intense jusqu'au début du vingtième siècle, mais l'activité a décliné après les deux guerres mondiales. C’est de l'autre côté du fleuve Oyapock, en Amazonie brésilienne, que les orpailleurs relancent l’activité dans les années 1970, au moment de la remontée du cours de l'or. La course au métal précieux repart également côté français. À Dorlin, comme dans tous les sites aurifères de Guyane, il y a toujours eu une cohabitation entre des orpailleurs "légaux" et des "illégaux" ou Garimpeiros - ces derniers étant souvent brésiliens ou surinamais.
En Guyane, les chercheurs d'or brésiliens ont toujours été présents. Jusqu’au début des années 2000, on trouvait ces orpailleurs clandestins à bord de barges sur des fleuves comme l’Oyapock, le Maroni ou l’Approuague. Après le démantèlement de ces embarcations par les autorités françaises, les Garimpeiros se sont éparpillés à l'intérieur de la Guyane, notamment dans le secteur de Dorlin. Ils se sont mis à creuser des puits et des galeries de plusieurs dizaines de mètres pour chercher l’or.
Un pillage des ressources nationales
Il y aurait environ 12 000 orpailleurs clandestins sur le sol guyanais, selon une estimation récente. Chaque année, ils exporteraient en contrebande entre 5 et 10 tonnes d'or vers le Suriname et le Brésil. Contre environ deux tonnes produites légalement chaque année en Guyane. Pour contrer ce pillage des opérations sont mises en place par l'armée française : Anaconda puis Harpie. Aujourd'hui, les forces de la mission Harpie détruisent plus de 500 chantiers illégaux par an. Mais ces pertes ne représentent pas grand-chose pour les orpailleurs.
Les deux soldats français ont-ils été tués par des garimpeiros ?
À partir de la fin des années 2000, entre la remontée du cours de l'or et l'intensification des opérations menées par l'armée tricolore, les chercheurs d'or clandestins se sont retrouvés davantage sous pression. D'autant plus qu'un gang mafieux brésilien, la bande dite de "Felipe" a commencé à confisquer leurs revenus. Plusieurs chefs de puits, exaspérés, décident alors de faire appel à un autre gang brésilien, celui de Manoelzinho.
Quand les autopsies de l'adjudant Stéphane Moralia et du caporal-chef Sébastien Pissot révèlent qu'ils ont été touchés par des tirs d'armes de guerre, les soupçons se portent immédiatement sur la bande de Manoelzinho.
À partir du 27 juin 2012, une traque géante démarre dans la forêt guyanaise. Le 27 juillet 2012, Manoelzinho, l'auteur présumé du meurtre des deux soldats français à Dorlin, est interpellé au Brésil. L’homme reconnaît les faits, avant de se raviser. Les semaines suivantes, d'autres complices sont arrêtés en Guyane et au Brésil. Sans accord d'extradition entre la France et son voisin brésilien, les familles de victimes doivent se préparer à un procès sans les principaux accusés qui vont rester incarcérés au Brésil. Le procès se tient en octobre 2016 devant les assises de Martinique, quatre ans après la mort de Sébastien Pissot et Stéphane Moralia.
La perpétuité sera prononcée pour Manoel Moura Ferreira, alias Manoelzinho, jugé en son absence à Fort-de-France. Il est condamné pour le meurtre des deux militaires et neuf tentatives de meurtre en mai et juillet 2012 en Guyane. Incarcérés au Brésil, Manoelzinho et son complice doivent être jugés pour ces faits à Macapá. Mais Manoelzinho ne sera finalement jamais jugé au Brésil car il décède début 2022. Son complice Ronaldo Lima, avec qui il avait été arrêté, est condamné en mai 2022 par la justice brésilienne. Il écope d'une peine de 130 ans de prison pour avoir tué Sébastien Pissot et Stéphane Moralia et pour 22 autres tentatives de meurtre.
Retrouvez ci les autres épisodes d'Archipels du crime, consacrés aux grands fait-divers qui ont marqué les Outre-mer.
Le drame de Dorlin : deux militaires tombés pour l’or de Guyane, un podcast écrit par Léia Santacroce, raconté par Stana Roumillac
Réalisation : Arnaud Forest et Karen Beun
Production originale : Initialstudio avec la participation de France Télévisions
Durée 20 min - 2023