L’histoire des femmes au cœur des esclavages dans le monde est parfois relatée avec précision grâce à quelques autobiographies, aux Etats-Unis notamment. Pas en France. A n’en pas douter, parce que beaucoup de ces histoires issues des colonies françaises sont mal renseignées.
Patrice Elie Dit Cosaque / Odile Paul •
Peu d’autobiographies, peu de témoignages, quelques bribes de faits ici ou là… Une absence d’éléments ou un trop peu de matière qui ont peut-être découragé les chercheurs, les historiens, les écrivains ou les artistes à s’intéresser de plus près encore au rôle que les femmes esclaves ont pu jouer dans les luttes marronnes, anti-esclavagistes ou en faveur de l’abolition des esclavages.
Pourtant ces traces, infimes certes dans certains cas, existent et ne demanderaient qu’à être étayées, étoffées et même encore davantage « fictionnées » ou peut-être même romancées afin que, pourquoi pas, la légende survive et soit préférable à l’oubli total. Soyons justes, des livres existent : André Schwartz-Bart publie en 1972 un roman consacré à la figure de la Mulâtresse Solitude, l’esclave guadeloupéenne. Des films documentaires existent aussi autour de ces quelques héroïnes des luttes contre les esclavages. Et des études et des travaux historiques se sont aussi attachés à entamer ce travail fastidieux de recherches sur un sujet longtemps occulté.
Des expositions se sont montées également, comme le Modèle Noir au Musée d’Orsay à Paris et au mémorial Act(e) en Guadeloupe, qui montrait également comment ces femmes esclaves, combattantes ou non, étaient représentées à leur époque. Heureusement. En 2013, lors des commémorations des luttes anti-esclavages, le Mémorial de Nantes a mis en œuvre une exposition qui pour la première fois mettait en avant les femmes esclaves et les figures féminines ayant contribué par leur combat et souvent leur sacrifice à marquer un peu plus la conquête vers la liberté pour l’ensemble des esclaves. La mise en avant de ces figures s’accompagnant également d’un constat : le peu de renseignements sur la vie et le combat précis de ces femmes ne leur donne pas suffisamment de chair et donc d’existence. Voici quelques-unes de ces figures :
Un extrait du récit autobiographique de Mary Prince
Je suis née aux Bermudes, dans une ferme qui appartenait à M. Charles Myners. Ma mère était domestique dans la maison et mon père, scieur de bois. À la mort du vieux M. Myners, il y a eu un partage des esclaves et des autres biens de la famille. C'est le vieux capitaine Darrel qui m'[a] achetée avec ma mère pour me donner à sa petite fille, miss Betsey Williams [...], une femme qui traitait très bien tous ses esclaves. Elle n'avait qu'une fille à peu près de mon âge, miss Betsey, pour laquelle j'avais été achetée. J'étais très choyée par miss Betsey et l'aimais beaucoup. Elle m'amenait partout et m'appelait sa petite négresse. Cette époque a été la plus heureuse de ma vie [...] J'avais à peine atteint ma douzième année quand ma maîtresse devint trop pauvre pour garder autant de monde [...]. Le sombre matin a fini par se lever [...]. Tout en nous mettant les habits neufs qu'on devait porter pour la vente, [ma mère] a dit d'une voix que je n'oublierai jamais : « [...] J'enveloppe mes pauvres enfants dans le linceul ! » [...] Nous avons suivi ma mère jusqu'à la place du marché, elle nous a fait mettre en rang contre une grande maison. [...] Finalement, le maître des enchères [...] m'a prise par la main et conduite au milieu de la rue puis il m'a exposée à la vue des gens qui attendaient pour la vente. J'ai été entourée d'inconnus qui me tâtaient de la même façon qu'un boucher quand il veut acheter un veau. Ils se servaient des mêmes mots, pour parler de ma tournure ou de ma taille, comme si je ne pouvais pas plus en comprendre le sens qu'une bête muette. Ensuite j'ai été mise en vente. [...] j'ai été adjugée au plus offrant.
La Véritable Histoire de Mary Prince, esclave antillaise (Albin Michel, 2000) récit commenté par Daniel Maragnès.