Quelques figures de femmes au cœur des esclavages

Buste " Pourquoi! Naître esclave! " Jean-Baptiste Carpeaux, 1872
L’histoire des femmes au cœur des esclavages dans le monde est parfois relatée avec précision grâce à quelques autobiographies, aux Etats-Unis notamment. Pas en France. A n’en pas douter, parce que beaucoup de ces histoires issues des colonies françaises sont mal renseignées.
Peu d’autobiographies, peu de témoignages, quelques bribes de faits ici ou là… Une absence d’éléments ou un trop peu de matière qui ont peut-être découragé les chercheurs, les historiens, les écrivains ou les artistes à s’intéresser de plus près encore au rôle que les femmes esclaves ont pu jouer dans les luttes marronnes, anti-esclavagistes ou en faveur de l’abolition des esclavages. 

Pourtant ces traces, infimes certes dans certains cas, existent et ne demanderaient qu’à être étayées, étoffées et même encore davantage « fictionnées » ou peut-être même romancées afin que, pourquoi pas, la légende survive et soit préférable à l’oubli total. Soyons justes, des livres existent : André Schwartz-Bart publie en 1972 un roman consacré à la figure de la Mulâtresse Solitude, l’esclave guadeloupéenne. Des films documentaires existent aussi autour de ces quelques héroïnes des luttes contre les esclavages. Et des études et des travaux historiques se sont aussi attachés à entamer ce travail fastidieux de recherches sur un sujet longtemps occulté.
Des expositions se sont montées également, comme le Modèle Noir au Musée d’Orsay à Paris et au mémorial Act(e) en Guadeloupe, qui montrait également comment ces femmes esclaves, combattantes ou non, étaient représentées à leur époque. Heureusement. En 2013, lors des commémorations des luttes anti-esclavages, le Mémorial de Nantes a mis en œuvre une exposition qui pour la première fois mettait en avant les femmes esclaves et les figures féminines ayant contribué par leur combat et souvent leur sacrifice à marquer un peu plus la conquête vers la liberté pour l’ensemble des esclaves. La mise en avant de ces figures s’accompagnant également d’un constat : le peu de renseignements sur la vie et le combat précis de ces femmes ne leur donne pas suffisamment de chair et donc d’existence. Voici quelques-unes de ces figures :
 

Sanite Belair (Haïti)

Billet de dix gourdes à l'effigie de Sanite Belair émis à l'occasion du Bicentenaire de l'Indépendance d'Haïti, 2004
Cette combattante s’est très tôt engagée dans les luttes qui conduiront à la création et l’indépendance d’Haïti en 1804. Lors des premiers soulèvements d’esclaves en 1791, les femmes sont déjà en première ligne aux côtés de toussaint Louverture. Elles s’appellent Sanite Bélair, défilée ou Claire Heureuse (épouse de Jean-Jacques Dessalines, l’un des lieutenants de Louverture). Sanite est le surnom de Suzanne, jeune affranchie et épouse de l’un des aides de camp et neveu de Toussaint Louverture, Charles Bélair. C’est aux côtés de son époux qu’elle livre combat notamment contre les divisions du général Leclerc chargé de rétablir l’ordre et l’esclavage dans la colonie de Saint-Domingue. Lors d’une attaque contre les troupes de Charles Bélair, Sanite est faite prisonnière. Charles se rend. Le couple sera condamné à mort par le tribunal colonial : lui sera fusillé, Sanite sera décapitée.
 

La Mulâtresse Solitude (Guadeloupe)

Une statue de la mulâtresse Solitude est érigée sur le boulevard des Héros aux Abymes en Guadeloupe. Elle est l’œuvre du sculpteur guadeloupéen Jacky Poulier.

1794, l’abolition de l’esclavage est prononcée en Guadeloupe. L’archipel compte alors dans sa population des blancs, des libres de couleur et encore quelques esclaves. Si des tensions agitent la colonie, plus rien ne sera pareil dès que Napoléon décide le 18 novembre 1801, de rétablir l’ordre colonial et par là même, l’esclavage dans le territoire. C’est le général Richepanse qui sera chargé de cette mission. L’année suivante, l’officier de l’armée Louis Delgrès appelle au soulèvement de la population et à la résistance armée contre les forces de Napoléon. C’est dans ce contexte de résistance, que l’on entend parler de la Mulâtresse Solitude. Entend seulement car c’est un témoignage oral transmis à l’historien Lacour qui évoque l’histoire cette figure qui tient presque de la légende. Esclave ou libre de couleur, elle aurait rejoint la résistance et aurait été faite prisonnière lors d’une attaque menée par les rebelles. Condamnée à mort alors qu’elle était enceinte en mai 1802, l’histoire raconte qu’elle n’aura finalement été suppliciée qu’après la naissance de son enfant, en novembre de la même année. 
 

Héva (Réunion) 

Sculpture en basalte de Marco AH-KIEM - Heva pleurant son enfant - Esclavage (La Réunion)

Très peu d’éléments tangibles entoure l’existence de cette esclave marronne, apparue dans la première moitié du 18ème siècle. Même s’il s’agit de l’une des rares figures féminines qui ont marqué l’histoire de l’esclavage l’île de la Réunion, (anciennement appelée ile Bourbon). Elle aurait été pendant 25 ans la compagne d’Anchaing, célèbre marron dont la personnalité est davantage connue à la Réunion. Capturée en 1740 dans un contexte mal défini, nul ne sait quel sort lui a été réservé. Héva devient surtout presqu’un personnage de légende représentant en quelque sorte la femme originelle et apparaissant dans plusieurs ouvrages de la littérature réunionnaise notamment chez Louis Véry ou Auguste Vinson.   
 

Claire (Guyane)

Esclaves en fuite
Peut-être encore un peu plus qu’ailleurs, le marronnage a représenté une forme de rébellion particulièrement marquante en Guyane. Les esclaves marrons réussissaient même à se constituer en communauté comme celle de la Montagne plomb sous la conduite du chef Augustin puis du chef André. Plusieurs attaques des colons contre ces communautés ont vu la morts de nombreux marrons, d’autres réussissaient à s’enfuir et se cacher dans les montagnes. Lors de l’une de ces attaques, Claire et son compagnon le marron Copéna furent capturés. Ce dernier fut condamné au supplice de la roue, Claire étranglée puis pendue sous les yeux de leurs enfants.  
 

Dandara (Brésil)

Dandara dos Palmares, illustration de la couverture du livre de Jarid Arraes
Dandara et son compagnon Zumbi tous deux marrons sont considérés comme des grandes figures de la résistance anti-esclavagiste au Brésil. Au-delà-du territoire et de la communauté afro-brésilienne, leur histoire fait d’eux des héros pour l’ensemble de l’Amérique du Sud. Zumbi Dos Palmarès était l’un des chefs de guerre les plus importants de la région autonome marronne de Palmarès qui comptait au 17ème siècle jusqu’à 20.000 habitants. La communauté était constituée d’esclaves marrons, africains et créoles, d’Amérindiens, de métis et de  Blancs libres. 
 

Cudjo Queen Nanny (Jamaïque)

Queen Nanny of the marrons

Né au Ghana en 1686, Nanny est déportée, enfant, sur l’île de la Jamaïque et placée avec ses frères dans la même habitation chez le même maître. Ils fuient ensemble la plantation et forment une communauté marronne. Ils créent un territoire qu’ils appelleront Nanny Town où tous les esclaves qu’ils parviendront à libérer trouveront refuge. Armés et entraînés, ils parviennent plusieurs fois à repousser les assauts des soldats britanniques envoyés pour les soumettre. Charismatique et fin stratège militaire, Nanny organisait sa communauté de façon à être autonome : les marrons de Nanny Town étaient aussi éleveurs de bétails et agriculteurs. La mort de Nanny serait survenue vers 1733 des mains d’un esclave noir loyal à la Couronne lors d’une nouvelle attaque des forces britanniques contre les communautés marronnes. 

Et l’on peut citer aussi : 

Harriet Tubman (Etats-Unis)

Portrait d'Harriet Tubman jeune photographiée par Benjamin F. Powelson en 1868-69.
Harriet Tubman née en 1821 ou 1822 est fille d’esclaves et ancienne esclave elle-même. Son histoire est aussi celle d’une farouche militante anti-esclavagiste. Elle parvient une première fois à s’échapper avec ses frères alors que son sort était scellé : elle devait être revendue à de nouveaux propriétaires après être tombée malade. Les fugitifs repris, Harriet décide une nouvelle fois de s’évader, cette fois-ci seule et après un long périple parvient à se réfugier en Pennsylvanie. Plus tard, elle effectuera plusieurs allers retours vers les Etats du Sud pour à son tour libérer d’autres esclaves. Harriet Tubman mit au point une organisation telle qu’en plusieurs expéditions elle conduisit des centaines d’esclaves fugitifs en sécurité, essentiellement au Canada, terre d’accueil plus sûre pour les esclaves en Amérique du Nord. Après s’être engagée dans la Guerre de Sécession aux côtés des Nordistes et des forces de l’Union dans l’espoir d’une abolition de l’esclavage en cas de victoire, Harriet Tubman devint après la fin de la traite des esclaves, une militante acharnée pour les droits des Afro-Américains et des femmes. Ses mémoires écrites jusqu’à peu de temps avant sa mort en 1913 sont un témoignage précieux du sort réservé aux esclaves et aux femmes esclaves aux Etats-Unis.  
Harriet Tubman à la fin de sa vie
 

Maria Firmina dos Reis (Brésil)

Maria Firmina Dos Reis
Maria Firmina dos Reis nait le 11 octobre 1825 juste après la reconnaissance officielle de l’indépendance du Brésil le Portugal en août 1825. Si les esclaves du Brésil sont exploités dans l’ensemble des activités économiques, ce sont d’abord dans les plantations de canne à sucre, les mines d’or ou la culture du café qu’ils sont durement exploités. Maria Firmina dos Reis naît libre, sa mère est blanche ; son père, noir. Maria Firmina aura la chance d’aller l’école. Elle réussira un concours pour devenir institutrice. Parallèlement à son emploi d’institutrice, Maria Firmina se consacrera à l’écriture, domaine jusque-là réservé aux hommes. Sa tante, chez qui elle vit, possède des esclaves mais Maria Firmina, femme noire privilégiée s’indigne du sort des esclaves en général. Ses convictions abolitionnistes jalonnent son roman, le seul qu’elle laisse : Úrsula. Ce roman dépeint le sort des femmes et les cruelles conditions de vie de l’esclavage. Maria Firmina est considérée comme l’une des premières écrivaines brésiliennes et Úrsula, comme l’une des premières œuvres abolitionnistes du pays. L’esclavage sera aboli au Brésil en 1888. Maria Firmina dos Reis meurt le 11 novembre 1917.
 

Un extrait du récit autobiographique de Mary Prince

Je suis née aux Bermudes, dans une ferme qui appartenait à M. Charles Myners. Ma mère était domestique dans la maison et mon père, scieur de bois. À la mort du vieux M. Myners, il y a eu un partage des esclaves et des autres biens de la famille. C'est le vieux capitaine Darrel qui m'[a] achetée avec ma mère pour me donner à sa petite fille, miss Betsey Williams [...], une femme qui traitait très bien tous ses esclaves. Elle n'avait qu'une fille à peu près de mon âge, miss Betsey, pour laquelle j'avais été achetée. J'étais très choyée par miss Betsey et l'aimais beaucoup. Elle m'amenait partout et m'appelait sa petite négresse. Cette époque a été la plus heureuse de ma vie [...] J'avais à peine atteint ma douzième année quand ma maîtresse devint trop pauvre pour garder autant de monde [...]. Le sombre matin a fini par se lever [...]. Tout en nous mettant les habits neufs qu'on devait porter pour la vente, [ma mère] a dit d'une voix que je n'oublierai jamais : « [...] J'enveloppe mes pauvres enfants dans le linceul ! » [...] Nous avons suivi ma mère jusqu'à la place du marché, elle nous a fait mettre en rang contre une grande maison. [...] Finalement, le maître des enchères [...] m'a prise par la main et conduite au milieu de la rue puis il m'a exposée à la vue des gens qui attendaient pour la vente. J'ai été entourée d'inconnus qui me tâtaient de la même façon qu'un boucher quand il veut acheter un veau. Ils se servaient des mêmes mots, pour parler de ma tournure ou de ma taille, comme si je ne pouvais pas plus en comprendre le sens qu'une bête muette. Ensuite j'ai été mise en vente. [...] j'ai été adjugée au plus offrant.

La Véritable Histoire de Mary Prince, esclave antillaise (Albin Michel, 2000) récit commenté par Daniel Maragnès.