Au sein du stade de Roland-Garros à Paris, l’œuvre n’est pas monumentale avec ses 2m70 de hauteur, mais elle attire le regard sur 30 mètres de long.
Surtout, on y retrouve des scènes familières : Yannick Noah en train de danser et chanter Saga Africa après la victoire de l’équipe de France à la Coupe Davis en 1991 ; le tennisman à genoux sur la terre battue qui fond en larmes, qui serre son père dans ses bras, et bien sûr qui soulève la coupe des Mousquetaires remise au vainqueur du simple messieurs de Roland-Garros.
Il est en effet le dernier Français à avoir brandi ce trophée, et cette œuvre imposante permet d’immortaliser la victoire du tennisman franco-camerounais le 5 juin 1983. Inaugurée le 28 mai dernier, elle a été réalisée par l’artiste guadeloupéen Jay Ramier.
Ce natif de Morne-à-l’Eau est arrivé à Paris lorsqu’il avait six ans, et a été l’un des premiers graffeurs en France en 1982-1983. "C’est aussi un peu mes 40 ans, confie-t-il en souriant à Outre-mer la 1ère, qui s'était déjà confié à nous dans le podcast L'Oreille est Hardie. Cela a été aussi une façon de me remémorer mon parcours et mes souvenirs."
"Pelé et Noah"
Quand on demande à l’artiste plasticien quels souvenirs il garde de la victoire de Yannick Noah en 1983, il répond qu’il avait "des images en tête que tout le monde connaît". Mais celles qu’il décrit avec le plus de force est le moment où Yannick Noah, tout juste victorieux de Roland-Garros, monte dans les tribunes pour retrouver son père pendant que celui-ci tente de descendre.
"Cela me rappelle Pelé avec la victoire du Brésil en 1970, quand il se retrouve torse nu et porté par la foule. Ce n’est certes pas la même dimension", reconnaît-il. Mais en matière de puissance de l’image sportive qui casse tous les codes de l’époque, il y en a deux pour Jay Ramier : "C’est Pelé et Noah."
C’est donc imprégné de ce moment fort de son adolescence qu’il a réalisé, à la demande de la fédération française de tennis, l’œuvre en hommage au tennisman. "Je viens des graffitis, je suis très réticent à faire des fresques, sauf si cela me touche. Ce sont des choses que j’étudie avant d’accepter. Comme c’était Yannick Noah, que son parcours m’est familier, j’ai accepté", explique-t-il.
Ressusciter l'osmose
Le Guadeloupéen a malgré tout pris le temps de revisionner la finale et la demi-finale, ainsi que deux films sur Yannick Noah pour choisir quelles images représenteraient au mieux le tennisman, ses victoires mais aussi sa culture et sa double identité franco-camerounaise.
Jay Ramier a donc choisi ces détails qui montrent "la hargne, la délivrance quand il gagne et la joie".
Il a tenu aussi à représenter la mère et le père du tennisman pour montrer à quel point la famille est une valeur essentielle de l’athlète devenu chanteur.
C’est d’ailleurs cet aspect qui a particulièrement ému Yannick Noah lors du dévoilement de la fresque le 28 mai dernier. "On n’a pas discuté au moment de l’inauguration car c’était très institutionnel, mais après. Le fait qu’il y ait ses parents, ça l’a beaucoup touché", résume Jay Ramier.
Une fresque que l’artiste a découverte… en même temps que tout le monde. "J’ai travaillé non pas à l’aveugle, mais de près et comme ils ont mis des barrières, je n’ai pas pu la voir dans son intégralité jusqu’à l’inauguration. Donc c’était une surprise pour lui mais aussi pour moi !", souffle-t-il. Un moment émouvant pour lui aussi : "J’avais l’impression de ressusciter son osmose avec le public."
"Un symbole fort avec ses dreads"
À l’époque de la victoire de Noah, le jeune Jay n’a pas développé de conscience politique autour de l’affirmation des communautés noires. Mais son père suivait les sportifs noirs : "En tant qu’Antillais, on suivait essentiellement le cyclisme et le foot. On supportait par exemple le Brésil de Pelé, moi parce qu’il gagnait, mais mon père et mes oncles parce qu’il y avait des Noirs dans l’équipe."
Alors l’irruption d’un Franco-Camerounais dans ce sport d’élite qu’était le tennis bouscule les choix de sa famille. "Yannick Noah était un symbole fort avec ses dreads et son bracelet en éponge rouge jaune et vert, se souvient-il parfaitement. On est devenu une famille de tennis grâce à lui. Et il fait partie de cette conscience politique, il fait partie des personnes qui ont déclenché cela."
Une conscience qui s’est réveillée et manifestée quelques années plus tard par la représentation artistique "des corps noirs" dont il a été l’un des précurseurs. L’hommage à Yannick Noah était donc presque une évidence.