Voile Trophée Jules Verne Morgan Lagravière « Je vis tout d’une manière intense ! »

De la Base nautique des Mascareignes au Trophée Jules Verne, quel chemin parcouru pour Morgan.

Après l’abandon en novembre, le maxi trimaran Edmond de Rothschild part à nouveau à la conquête du Trophée Jules Verne. Le Réunionnais sera à la barre du bateau de 32 mètres qui a pris le départ cette nuit au large d’Ouessant. Nous l’avons joint peu avant le départ de Lorient.

Outre-mer la 1ère : Vous repartez dans le même état d’esprit que le 24 novembre dernier ? 
Morgan Lagravière :
C’est différent car ce ne sont pas du tout les mêmes conditions de départ qu’on avait eu la dernière fois. On était parti un peu dans la précipitation, le scénario avait évolué rapidement, on n’avait pas eu le temps de réfléchir et de se poser des questions. Là c’est un peu différent et aucun départ ne se ressemble. On a le temps de se préparer et penser à plein de choses, sur l’aspect émotionnel notamment. Là au moment où vous m’appelez, je suis dans la phase d’au-revoir avec les enfants et la famille et moi je vis cela intensément. Après il va falloir rentrer dans la course et passer à autre chose.
 

Outre-mer la 1ère : Oui mais ce n’est pas la même émotion que la  dernière fois, vous vous y êtes préparés cette fois, on ne vous prend pas par surprise ?
Morgan Lagravière :
Oui et non car tu ne t’y prépares vraiment jamais, tu ne sais pas ce que tu vas vivre en passant quarante jours en mer. Le scénario sur l’océan est tellement aléatoire, c’est ce qui fait le caractère exceptionnel de ces records ou de ces courses. Il y a un environnement avec une part de risques aussi, avec des choses qui vont être  extrêmes dans tous les sens du terme sur ce genre de bateau. Donc tout ça moi j’en suis conscient et je suis très content d’aller le vivre.  Mais la phase de transition entre l’état d’esprit qu’il faut pour vivre ces moment-là et l’état d’esprit du père de famille qui laisse ses enfants et sa femme à terre, c’est vraiment opposé.
 

Outre-mer la 1ère : Vous avez su être patients pour repartir, ça n’a pas dû être simple ?
Morgan Lagravière :
On l’a attendu ce départ. Ce ne sont jamais des moments faciles, mais je suis super content d’avoir cette opportunité météo qui s’ouvre devant nous et nous offre l’occasion d’aller vivre notre rêve, notre aventure. Dans quelques heures on va quitter Ouessant, s’élancer sur l’océan et probablement ne pas revoir de terres pendant pas mal de temps.
 

Après les émotions du départ, j’attends avec impatience les premières heures de navigation et les premiers quarts pour basculer en mode course, en mode compétiteur. C’est une dynamique qui permet de profiter de chaque instant tout en étant dans le dépassement de soi.

Morgan Lagravière, barreur Gitana 17

 

6 hommes à bord, en ciré jaune, mais un vrai travail d'équipe pour cette tentative

 

Outre-mer la 1ère : C’est toujours un moment particulier de partir faire une chasse au record ?
Morgan Lagravière :
Ce n’est pas anodin et je m’attends à vivre quelque chose d’exceptionnel. On va essayer d’en profiter au maximum et faire ce pourquoi on s’est entraîné depuis des mois avec ce record en tête et l’objectif de faire mieux qu’Idec Sport. * On va sûrement passer par différents états émotionnels pendant la course, avec des moments positifs, d’autres plus difficiles.

*40 jours, 23 heures et 30 minutes. Record détenu par Francis Joyon et son équipage sur Idec Sport depuis le 26 janvier 2017.

Outre-mer la 1ère : Votre tentative avortée de novembre va-t-elle vous servir ?
Morgan Lagravière :
Ca va nous servir sur plein de niveaux, d’abord l’aspect sportif car on a bien progressé dans notre organisation à bord. On a progressé aussi sur tous les aspects ergonomiques car on avait navigué quinze jours donc ça permet  d’avoir vécu un certain rythme de vie à bord, avec les habitudes ou les petites manies de chacun. C’est important pour le long terme car on va vivre pendant potentiellement quarante jours à bord, à six, dans un environnement très restreint.

On a appris aussi sur notre bateau, extrêmement technique et technologique, et qu’il faut observer en permanence. On n’a pas eu encore les temps de navigation à bord ont qui nous permettent d’avoir une maîtrise parfaite et absolue du bateau mais la première tentative nous a vraiment permis de progresser là-dessus. On était tous positifs et hyper contents à l’issu de cette tentative du fait qu’on savait qu’on allait progresser malgré l’abandon.


Outre-mer la 1ère : Pour vous rien ne change, toujours à la barre, même poste, même travail ?
Morgan Lagravière :
Oui ça ne change pas, on n’a pas assez noté de choses problématiques sur notre organisation sur la dernière tentative. L’équipage est constitué de cette manière-là car on possède chacun notre domaine de compétence, et ça s’articule bien autour de ce fonctionnement-là. Je m’épanouis toujours autant sur ce poste de barreur du Gitana 17, je pense qu’on est complets et les responsabilités sont bien réparties.

Le maxi trimaran Edmond de Rotschild , premier géant taillé pour le vol en haute mer

 

Outre-mer la 1ère : Cette fois vous êtes seuls en mer, ça change quoi par rapport à la dernière fois et à quel niveau ?
Morgan Lagravière :
Ça change le contexte clairement dans le bon et le mauvais sens. Dans le bons sens parce que ça permet d’avoir son propre rythme, de vraiment positionner le curseur comme on le sent, d’avoir des trajectoires sans pression sans stress particulier. Après sur les aspects émotionnels et le caractère extrême du défi, avoir un concurrent ça permet de nous pousser parfois dans nos retranchements, au risque de faire des bêtises quelque fois.

Sodebo avait mis la barre assez haute sur sa manière de naviguer dans sa première tentative et ça nous avait poussés à attaquer un petit peu. On a su en tirer les leçons.

Morgan Lagravière, barreur Gitana 17


Outre-mer la 1ère : Y avait-il eu des contacts entre les deux bateaux durant la tentative, on vous voyait quasiment bord à bord sur la cartographie ?
Morgan Lagravière :
On avait eu des contacts en radio, en visuel. Je me rappelle qu’une fois j’étais de quart à la barre avec leur bateau à trois longueurs alors qu’on était en pleine descente sur l’Atlantique, c’était sympa. En plus j’avais un bon copain à bord Sam Goodchild avec qui je fais du Kite à foil ou du Figaro.


Outre-mer la 1ère : Et le concurrent a terminé sa course paradoxalement chez vous, à la Réunion ? (Ndlr Morgan Lagravière est né à la Réunion et est toujours licencié à la Base nautique des Mascareignes)  
Morgan Lagravière :
Aussitôt que j’ai su qu’ils faisaient escale suite à leur problème, j’ai pris contact avec eux pour leur donner le numéro de Gabriel Jean Albert, qui était la meilleure personne pour faire l’interaction sur tous les aspects d’un bateau. C’est ce qu’il a fait à merveille et il a géré sur zone leur escale. On s’est essentiellement appelé derrière pour des infos techniques.


Outre-mer la 1ère : Comment avez-vous occupé votre mois de décembre ?
Morgan Lagravière :
Un peu de sport et la vie de famille, mais c’était aussi varié car on a eu pas mal de départs potentiels avec des fenêtres qui se refermaient au dernier moment. On a profité des enfants pour les fêtes de fin d’année et c’était bien. Là le timing est top car l’école a repris et surtout, si on arrive dans les temps, on revient quasiment le premier jour des vacances de février. Mes deux enfants Noan et Timéo aimeraient bien cela.

 

Chiffres à retenir : Gitana 17 a coupé la ligne cette nuit à 2 h 33 minutes et 46 secondes. Pour battre le record Franck Cammas, Charles Caudrelier et leurs marins devront arriver avant le 20 février à 2 h 3 minutes et 15 secondes, au bout des 22 000 milles nautiques parcourus.

Le deuxième round a sonné pour Gitana qui s'éloigne de Lorient

 

Le point de vue de Gabriel Jean-Albert, de la Base nautique des Mascareignes, premier entraîneur de 420 et d’Optimist de Morgan à la Réunion au club de Saint-Paul.

C’est une belle performance pour lui d’être à bord de cette machine et de faire partie de cet équipage composé de grands noms de la voile française que sont Franck Cammas et Charles Caudrelier.  Morgan a toute sa place dans l’équipe, il apporte du talent et de la fraîcheur. Et pas mal de compétences aussi d’après les échanges qu’on a pu avoir entre la première tentative et celle-ci. C’est à la fois un amoureux de la glisse et de la vitesse sur l’eau. Il est progressivement aussi devenu très perfectionniste dans sa préparation, de manière à éviter de laisser trop de chose à la chance et de mettre les unes derrière les autres les cartes nécessaire pour jouer dans ce genre de grand défi autour du monde
Je leur souhaite bon vent et belle mer. Ils en auront besoin avec ces engins particuliers qui ont besoin de conditions plus plates et plus faciles que les Imoca du Vendée Globe pour exprimer leur potentiel.