10 mai : bains de foule, silence ou absences… A chaque président son style pour commémorer (ou non) l'abolition de l'esclavage

Depuis 2006, quatre présidents différents ont assisté aux cérémonies du 10 mai, quand ils y ont assisté.
Du bain de foule de Jacques Chirac lors de la première commémoration officielle en 2006 jusqu'au silence solennel d'Emmanuel Macron 20 ans plus tard, chacun des quatre présidents qui se sont succédé à l'Élysée en deux décennies a adopté un style différent lors des cérémonies du 10 mai. Au risque parfois de faire grincer quelques dents.

A ce stade des préparations de la cérémonie du 10 mai 2022, il n'est pas prévu que le président de la République prononce un discours au Jardin du Luxembourg. En cinq ans, Emmanuel Macron ne s'est exprimé qu'une seul fois, le 10 mai 2019. Parfois critiqué pour sa discrétion lors des commémorations des abolitions ou ses absences, le style de l'actuel chef de l'Etat est-il vraiment si différent de celui de ses prédécesseurs ? 

Discours et bains de foule pour Jacques Chirac 

Il y a 21 ans, le 10 mai 2001, la France devenait le premier pays au monde à reconnaitre l'esclavage comme crime contre l'humanité, après l'adoption de la loi portée par la députée guyanaise Christiane Taubira. Cinq ans plus tard, Jacques Chirac, instaurait la Journée nationale des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions. "C'est aujourd'hui l'ensemble de la mémoire de l'esclavage, longtemps refoulée, qui doit entrer dans notre histoire. Une mémoire qui doit être véritablement partagée", déclarait alors le président de la République.   

Jacques Chirac au Jardin du Luxembourg lors de la première commémoration officielle du 10 mai.


Le mercredi 10 mai 2006, la journée est ainsi observée pour la première fois dans plusieurs grandes villes de France. A Paris, dans un discours prononcé au Jardin du Luxembourg, Jacques Chirac – dont le gouvernement est embourbé dans l'affaire Clearstream – appelle à la cohésion nationale : "À travers le souvenir de l'esclavage et de ses abolitions, c'est aussi la diversité française que nous célébrons aujourd'hui. Une diversité qui fait notre force et dont nous pouvons et dont nous devons être fiers." 

L'année suivante, ce ne sont pas un mais deux présidents qui déambulent dans les allées du jardin du Sénat. Nicolas Sarkozy, fraîchement élu, est présent aux côtés de Jacques Chirac, la passation de pouvoir officielle n'étant prévue que cinq jours plus tard. Nicolas Sarkozy a écourté une croisière en Méditerranée, visiblement soucieux de participer à la cérémonie aux côtés de son prédécesseur qui a fait du devoir de mémoire un axe important de ses deux mandats. 

Nicolas Sarkozy investi… quand il est présent 

En 2008, le nouveau chef de l'État - opposé à toute forme de "repentance"reconnait dans son discours l'importance d'inscrire l'histoire de l'esclavage dans les manuels scolaires : "La traite des noirs, l'esclavage et l'abolition seront donc introduits dans les nouveaux programmes de l'école primaire dès la rentrée prochaine." 

En 2009 et 2010, Nicolas Sarkozy ne participe pas aux cérémonies de commémoration. Son absence est remarquée, voire critiquée. En 2011, un an avant la présidentielle et alors que la loi Taubira fête ses dix ans, le président se rappelle du devoir de mémoire. 

Début avril, il rend ainsi hommage à Aimé Césaire au Panthéon, avant de présider la cérémonie du 10 mai. Il prononce un discours et dévoile une stèle sur laquelle est écrit cet hommage : "Par leurs luttes et leur profond désir de dignité et de liberté, les esclaves des colonies françaises ont contribué à l'universalité des droits humains et à l'idéal de liberté, d'égalité et de fraternité".  

François Hollande, présent et loquace 

Pas de passation de pouvoir "officieuse" en 2012. C'est seul que François Hollande assiste à la cérémonie du 10 mai. Pas de discours non plus cette année-là pour celui qui n'est pas encore officiellement investi. L'allocution est prononcée par Jean-Pierre Bel, le président du Sénat. Le chef de l'Etat serre des mains, discutent avec les invités et répond aux journalistes.

L'année suivante, il évoque une France "fière de sa diversité". "Tous les citoyens sont bien plus que les héritiers d'une histoire, ils sont - vous êtes - des bâtisseurs de notre avenir car j'en suis sûr, c'est la paix des mémoires réconciliées et non l'oubli qui permettra à la France d'être plus forte pour relever les défis de demain."  

Jesse Jackson et Christiane Taubira à la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions


Des discours, François Hollande en fait chaque 10 mai. En 2015, c'est à Pointe-à-Pitre qu'il s'exprime, où il inaugure le Mémorial ACTe, alors qu'à Paris, son Premier ministre, Manuel Valls, le seconde. En 2016, le chef de l'Etat convie le révérend afro-américain Jesse Jackson à participer à la cérémonie. L'année suivante, il invite Emmanuel Macron, tout juste élu et salue son successeur, avant de délivrer une allocution très politique.  

Emmanuel Macron entre silences et absences

En 2018, le style change de nouveau. Retenu en Allemagne où il recevait le prix Charlemagne de la construction européenne, le président de la République cède sa place au Premier ministre, Edouard Philippe. Quelques jours auparavant, le 27 avril 2018, il avait annoncé la création d’une fondation pour la mémoire de l’esclavage, à l’occasion d’un hommage national à Victor Schoelcher au Panthéon.

C'est finalement en 2019 qu'Emmanuel Macron prononce son premier - et jusqu'ici seul - discours du 10 mai, avant de nouveau de déclarer forfait en 2020. Les commémorations se font alors en comité très restreint à cause de la crise sanitaire. 

Emmanuel Macron a assisté à la désormais traditionnelle cérémonie du 10 mai 2021 dans le jardin du Luxembourg, sans prendre la parole.


Alors que 2021 marque les 20 ans de la loi Taubira, le chef de l'État choisit de ne pas prendre la parole, suscitant tantôt la colère, tantôt l'indignation de quelques participants. Christiane Taubira s'émeut en direct de cette attitude : "Il est quand même édifiant que le président de la République n'a rien trouvé à dire sur plus de deux siècles de l'Histoire de la France, alors qu'il y a cinq jours il faisait des gammes sur Napoléon Bonaparte", s'indigne l'ancienne garde des Sceaux, rappelant au passage que le chef de l'État avait pris la parole à l'occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon cinq jours plus tôt. 

Mais pas question pour l'Elysée de laisser enfler la polémique. L'entourage du président répond que l'objectif de la cérémonie était de donner la parole à la nouvelle génération. Des élèves lauréats du concours La flamme de l'égalité ont ainsi été invités à lire des extraits de leurs travaux. Une formule qui semble satisfaire l'Elysée puisque c'est de nouveau celle qui est annoncée pour la cérémonie du 10 mai 2022.