L’éditorialiste et militante antiraciste Rokhaya Diallo publie "A nous la France !", un plaidoyer pour la diversité et le pluralisme. Entretien.
Bien connue pour son engagement associatif et citoyen, Rokhaya Diallo déborde d’activité. Editorialiste dans "Le débat" de La matinale de Canal + le mardi et pour les émissions "On refait le monde" et "Opinions" sur RTL, elle anime également "Fresh Cultures" sur la radio Le Mouv’ et "Egaux mais pas trop" sur La Chaîne parlementaire. En 2007, elle fonde l’association "Les Indivisibles" dont "l’objectif est de déconstruire, notamment grâce à l’humour, les préjugés ethno-raciaux".
En mars 2011, elle a publié "Racisme : mode d’emploi", aux éditions Larousse. Elle est aussi signataire de "L’Appel aux candidats, 16 propositions pour faire bouger la République" de la Fondation Terra Nova et de Respect Mag, comme auteur de la proposition 16 "Restaurer le lien de confiance entre citoyen(ne)s et police".
Le titre de votre livre, « A nous la France ! », évoque un peu une logique de conquête ou d’appropriation. C’est l’idée de ce projet ?
Ce n’est pas une idée de conquête car je considère que l’on a pas à conquérir un pays qui est le déjà nôtre, mais c’est l’idée de montrer que c’est un pays qui appartient à tout le monde, alors qu’aujourd’hui il n’est qu’aux mains d’une minorité. Ce nous est beaucoup plus large que celui qui habituellement s’exprime au nom de la France.
La France est un pays qui décline sur les plans démographique, idéologique, et en termes de poids politique dans le monde. Elle continue à recruter ses élites dans les mêmes environnements, donc il y a une reproduction sociale qui alimente ce déclin. Et la France peine énormément à reconnaître les personnes qui sont issus des minorités ethno-raciales, les femmes et les gens qui sont plus jeunes. Elle se prive donc de ressources importantes qui pourraient alimenter un nouveau souffle. Cela incite aussi ces gens à partir à l’étranger pour tenter leur chance et obtenir une reconnaissance plus juste.
Vous écrivez que la "machine républicaine s’est enrayée". Il y a donc un déficit démocratique ?
Je crois que le déficit démocratique existe de fait. On a aboli les privilèges il y a 223 ans, mais pour autant on se rend compte que l’ancien régime a été supplanté par une nouvelle forme d’aristocratie qui se transmet les privilèges de génération en génération et qui a remplacé les titres de noblesse par les diplômes des grandes écoles. Mais finalement c’est toujours la même caste qui dirige la France, et qui refuse de reconnaître les autres personnes qui composent le territoire national. Nous ne sommes pas du tout en accord avec les principes qui sont déclarés par la Constitution et par tous les textes fondamentaux des libertés publiques. La citoyenneté n’est pas exercée de manière égale et équivalente pour tous les citoyens français.
Par ailleurs on vit dans un pays où les plus de 60 ans sont largement représentés dans les sphères de pouvoir. Ils ne constituent que 10% de la population, et pourtant ils représentent la moitié de l’Assemblée nationale. Les parlementaires de moins de 40 ans ne sont aujourd’hui que 4%, ce qui est ridicule et incroyable dans un pays comme le nôtre. On vit dans une gérontocratie. Il y a aussi une sur-représentation des hommes qui est problématique. Sur le plan de la représentation des femmes en politique, la France est classée au 65ème rang mondial, après l’Angola, le Bangladesh et l’Irak, et très loin derrière un pays comme le Rwanda qui est un pionnier en la matière.
Vous n’êtes pas un peu dure quand vous dites que la France est en état "d’endogamie culturelle" ?
Je pense qu’on est dur lorsqu’on est exigeant. Aujourd’hui, la culture légitime n’est que la culture des dominants. Nous sommes dans un pays qui reconnaît très peu les productions culturelles qui émanent des quartiers populaires et des mouvements urbains, qu’ils soient plastiques, musicaux, etc. Le cinéma français est une grande famille, au sens premier du terme. Le nombre « d’enfants de… » qui sont réalisateurs et comédiens montrent qu’il y a des dynasties qui tiennent la culture française. C’est malheureux mais les élites culturelles se reproduisent entre elles, contrairement à ce qui peut se passer dans d’autres pays.
Quel regard portez-vous sur la campagne présidentielle ?
Sur le plan des questions que je soulève dans mon livre, je trouve que la droite est fidèle à ce qu’elle a toujours été, assez agressive, et encore elle parle beaucoup moins des questions identitaires qu’en 2007. Elle a des positions qui sont assez claires. A gauche il y a toujours cette espèce de timidité qui empêche d’aborder ces sujets-là. On est quand même dans un pays où une large partie de la population est discriminée en raison de ses origines réelles ou supposées, en raison de patronymes ou de choix religieux, et la gauche que l’on attend sur ces questions-là reste encore assez timorée, voire adopte une grille de lecture qui s’apparente à celle qui était déjà la sienne dans les années quatre-vingt. On se demande si la gauche est capable d’appréhender ces sujets autrement que par le prisme social. J’ai l’impression que dans les partis de gauche il y a une vraie incapacité à sortir de la logique socioéconomique. Il y a une question socioéconomique qui se pose, mais aussi une question raciale qui transcende tout cela et qui est transversale. On peut parfaitement ne pas connaître des problèmes d’insertion socioéconomique, et connaître des problèmes de racisme.
Vous connaissez bien les Etats-Unis. Pourriez-vous être en faveur d’une « action affirmative » à la française ?
On en parle toujours comme si c’était quelque chose de complètement étranger au cadre légal français. Or ça existe. La loi sur la parité est une loi d’action positive, comme la loi qui demande à ce qu’il y ait 6% de handicapés dans les entreprises, et la loi sur les ZEP (zones d’éducation prioritaires, ndlr), qui privilégie les territoires qui sont discriminés. Donc je ne suis absolument pas opposée à ce type de dispositif. C’est la moindre des choses de mettre en place des mécanismes qui compensent des retards historiques, qui sont liés à l’esclavage et à la colonisation. Les Outre-mer souffrent par exemple d’une histoire qui a fait d’une minorité le groupe dominant économiquement, et cela est lié à une histoire dont souffrent les personnes qui sont noires dans les territoires ultramarins. Ils ne sont pas responsables de cet héritage. Compenser cela par des dispositifs d’action positive me semble la moindre des choses. D’autres pays comme le Canada, l’Angleterre et les Etats-Unis l’ont réalisé. De toute façon tout ce que l’on a fait en France jusqu’à présent n’a pas fonctionné.
Rokhaya Diallo, « A nous la France ! », éditions Michel Lafon, 222 pages, 16,95 euros.
En mars 2011, elle a publié "Racisme : mode d’emploi", aux éditions Larousse. Elle est aussi signataire de "L’Appel aux candidats, 16 propositions pour faire bouger la République" de la Fondation Terra Nova et de Respect Mag, comme auteur de la proposition 16 "Restaurer le lien de confiance entre citoyen(ne)s et police".
Le titre de votre livre, « A nous la France ! », évoque un peu une logique de conquête ou d’appropriation. C’est l’idée de ce projet ?
Ce n’est pas une idée de conquête car je considère que l’on a pas à conquérir un pays qui est le déjà nôtre, mais c’est l’idée de montrer que c’est un pays qui appartient à tout le monde, alors qu’aujourd’hui il n’est qu’aux mains d’une minorité. Ce nous est beaucoup plus large que celui qui habituellement s’exprime au nom de la France.
La France est un pays qui décline sur les plans démographique, idéologique, et en termes de poids politique dans le monde. Elle continue à recruter ses élites dans les mêmes environnements, donc il y a une reproduction sociale qui alimente ce déclin. Et la France peine énormément à reconnaître les personnes qui sont issus des minorités ethno-raciales, les femmes et les gens qui sont plus jeunes. Elle se prive donc de ressources importantes qui pourraient alimenter un nouveau souffle. Cela incite aussi ces gens à partir à l’étranger pour tenter leur chance et obtenir une reconnaissance plus juste.
Vous écrivez que la "machine républicaine s’est enrayée". Il y a donc un déficit démocratique ?
Je crois que le déficit démocratique existe de fait. On a aboli les privilèges il y a 223 ans, mais pour autant on se rend compte que l’ancien régime a été supplanté par une nouvelle forme d’aristocratie qui se transmet les privilèges de génération en génération et qui a remplacé les titres de noblesse par les diplômes des grandes écoles. Mais finalement c’est toujours la même caste qui dirige la France, et qui refuse de reconnaître les autres personnes qui composent le territoire national. Nous ne sommes pas du tout en accord avec les principes qui sont déclarés par la Constitution et par tous les textes fondamentaux des libertés publiques. La citoyenneté n’est pas exercée de manière égale et équivalente pour tous les citoyens français.
Par ailleurs on vit dans un pays où les plus de 60 ans sont largement représentés dans les sphères de pouvoir. Ils ne constituent que 10% de la population, et pourtant ils représentent la moitié de l’Assemblée nationale. Les parlementaires de moins de 40 ans ne sont aujourd’hui que 4%, ce qui est ridicule et incroyable dans un pays comme le nôtre. On vit dans une gérontocratie. Il y a aussi une sur-représentation des hommes qui est problématique. Sur le plan de la représentation des femmes en politique, la France est classée au 65ème rang mondial, après l’Angola, le Bangladesh et l’Irak, et très loin derrière un pays comme le Rwanda qui est un pionnier en la matière.
Vous n’êtes pas un peu dure quand vous dites que la France est en état "d’endogamie culturelle" ?
Je pense qu’on est dur lorsqu’on est exigeant. Aujourd’hui, la culture légitime n’est que la culture des dominants. Nous sommes dans un pays qui reconnaît très peu les productions culturelles qui émanent des quartiers populaires et des mouvements urbains, qu’ils soient plastiques, musicaux, etc. Le cinéma français est une grande famille, au sens premier du terme. Le nombre « d’enfants de… » qui sont réalisateurs et comédiens montrent qu’il y a des dynasties qui tiennent la culture française. C’est malheureux mais les élites culturelles se reproduisent entre elles, contrairement à ce qui peut se passer dans d’autres pays.
Quel regard portez-vous sur la campagne présidentielle ?
Sur le plan des questions que je soulève dans mon livre, je trouve que la droite est fidèle à ce qu’elle a toujours été, assez agressive, et encore elle parle beaucoup moins des questions identitaires qu’en 2007. Elle a des positions qui sont assez claires. A gauche il y a toujours cette espèce de timidité qui empêche d’aborder ces sujets-là. On est quand même dans un pays où une large partie de la population est discriminée en raison de ses origines réelles ou supposées, en raison de patronymes ou de choix religieux, et la gauche que l’on attend sur ces questions-là reste encore assez timorée, voire adopte une grille de lecture qui s’apparente à celle qui était déjà la sienne dans les années quatre-vingt. On se demande si la gauche est capable d’appréhender ces sujets autrement que par le prisme social. J’ai l’impression que dans les partis de gauche il y a une vraie incapacité à sortir de la logique socioéconomique. Il y a une question socioéconomique qui se pose, mais aussi une question raciale qui transcende tout cela et qui est transversale. On peut parfaitement ne pas connaître des problèmes d’insertion socioéconomique, et connaître des problèmes de racisme.
Vous connaissez bien les Etats-Unis. Pourriez-vous être en faveur d’une « action affirmative » à la française ?
On en parle toujours comme si c’était quelque chose de complètement étranger au cadre légal français. Or ça existe. La loi sur la parité est une loi d’action positive, comme la loi qui demande à ce qu’il y ait 6% de handicapés dans les entreprises, et la loi sur les ZEP (zones d’éducation prioritaires, ndlr), qui privilégie les territoires qui sont discriminés. Donc je ne suis absolument pas opposée à ce type de dispositif. C’est la moindre des choses de mettre en place des mécanismes qui compensent des retards historiques, qui sont liés à l’esclavage et à la colonisation. Les Outre-mer souffrent par exemple d’une histoire qui a fait d’une minorité le groupe dominant économiquement, et cela est lié à une histoire dont souffrent les personnes qui sont noires dans les territoires ultramarins. Ils ne sont pas responsables de cet héritage. Compenser cela par des dispositifs d’action positive me semble la moindre des choses. D’autres pays comme le Canada, l’Angleterre et les Etats-Unis l’ont réalisé. De toute façon tout ce que l’on a fait en France jusqu’à présent n’a pas fonctionné.
Rokhaya Diallo, « A nous la France ! », éditions Michel Lafon, 222 pages, 16,95 euros.