L'épidémiologiste Luc Multigner fait le point sur le chlordécone

A l’occasion d’une vaste étude de l’Inserm confirmant les dangers des pesticides sur notre santé (13 juin 2013), rencontre avec Luc Multigner, médecin épidémiologiste à l'Inserm, qui travaille particulièrement sur les conséquences du chlordécone sur les populations antillaises.
La 1ère: Les Antilles, principalement la Guadeloupe, sont contaminées pour plusieurs centaines d'années au chlordécone. On dit que les habitants sont imprégnés à 90%?
Luc Multigner: Il faut distinguer la pollution des sols qui hélas va perdurer pendant des décennies, voir plus, et la contamination de la population. Les études menées par l'Inserm montrent que des traces de chlordécone sont présentes dans le sang, dans la grande majorité de la population.
 
Est ce que les hommes sont plus touchés que les femmes ou les enfants (à cause de la prostate)? Est ce que tout le monde est touché à 90%?
C'est la population générale qui est concernée par la contamination au chlordécone. Plus les personnes sont avancées en âge, plus la charge corporelle est élevée, ce qui est expliqué par le caractère persistant du chlordécone dans l'organisme.
 
Est-ce qu'on est à la veille d'un scandale sanitaire? Avec une explosion possible de cancers dans les années à venir (comme en Corse après Tchernobyl ou avec le médiator) ?
La pollution au chlordécone ainsi que la contamination de la population est bien connue depuis une dizaine d'années. Le temps du scandale est révolu!
Il n'y a pas d'explosions de cancer ou de maladies, mais des risques avérés qui se traduisent par des accroissements de risques.
 
Luc Multigner, médecin épidémiologiste à l'Inserm
Est ce que des dépistages systématiques commencent à être organisés auprès de ces populations (hommes femmes et enfants)?
Il n'y a pas lieu de dépister des maladies en lien avec l'exposition au chlordécone. Cela n'est pas pertinent d'un point de vue de la santé publique car un dépistage entraînerait plus de conséquences négatives que positives. Je veux dire par là qu'il y aurait le risque de soigner préventivement des personnes qui auraient pu ne jamais développer ce cancer par ailleurs (ce sont les faux-positifs).
 
Est ce que des mesures de protection (alimentations, eau) sont mises en place de la part de l'Etat?
Oui, pour les eaux de consommations les mesures ont été prises début des années 2000 et des mesures concernant les denrées alimentaires ont été progressivement mises en place à partir de 2003.
 
Quels sont les cancers induits par ce pesticide? 
Ce qu'on constate c'est que l'exposition chronique au chlordécone est associée à un risque plus élevé de développer un cancer de la prostate (comparativement à quelqu'un qui n'aurait pas été exposé)
 
Est ce que le plus grand nombre de cancer de la prostate sur l'île le sont du fait du chlordécone?
Non. L'incidence du cancer de la prostate, en Guadeloupe ou en Martinique, est similaire à celle observée parmi les populations dites Afro-américaines aux USA ou les populations Caribéennes vivant au Royaume Uni. Cela est en lien avec la plus grande susceptibilité à cette maladie que présentent les populations d'ascendance africaine. 
 
Enregistre t-on des morts du fait du chlordécone?
A ma connaissance, aucun décès directement imputable au chlordécone n'a jamais été observé au niveau international. 
 
combien de temps avant de pouvoir remanger les produits de la mer? Boire l'eau?
Les eaux contaminées étant traitées, peuvent être consommées sans souci. Pour ce qui concerne les produits de la mer, il ne s'agit que de ceux provenant des quelques zones du littoral qui se retrouvent polluées. La pollution de ces zones risque de perdurer pendant des décennies.
 
Y a t-il des endroits, en Guadeloupe, plus touchés que d'autre?
Approximativement 20 % de la SAU (surface agricole utile) est concernée par la pollution au chlordécone.  Cela concerne les sols où il y avait des bananiers.
 
est ce que les bananes sont intoxiquées?
Les bananes sont totalement indemnes, tout comme la totalité des fruits.