Centenaire Aimé Césaire: vos témoignages

Aimé Césaire , le poète et homme politique
Voici vos premières réactions. Notre appel à témoignages se poursuit à l’occasion de la célébration du centenaire de la naissance d’Aimé Césaire, le 26 juin. Continuez d’envoyer vos contributions à philippe.triay@francetv.fr. Elles seront publiées sur notre site. 

"Mais où diable ranger Césaire !?" par Gerty DAMBURY, écrivain (Guadeloupe)

"J’aimerais avoir de ces bibliothèques infinies, pleines de livres que j’aurais lus bien sûr, mais aussi pleines d’autres dont je rêverais toujours de trouver le temps pour les lire et surtout pour les relire.
Je suis certaine que cela vient de mon enfance, de la part d’enfance durant laquelle mon père, après avoir été tailleur, puis entrepreneur de travaux publics, décida de devenir libraire. C’est à cette période que s’est révélé en moi le goût des étagères, des livres accumulés, au garde-à-vous sur des étagères, chacun précisément à sa place, ne dépassant pas du bord de l’étagère, d’une allure un peu martiale, finalement."
 
"De ce désir d’ordre (c’est maladif, je sais) est née cette manie de refaire les appariements. Qui se trouverait aux côtés de qui ? Quel genre littéraire privilégier en fonction de mon désir de lecture ?
Alors, je place et déplace, range et dérange, ordonne et refais l’ordre, et chaque fois, la question se pose : où "ranger" Césaire ?
Vais-je le glisser parmi les poètes ? Tous les poètes ensemble ? Et dans ce cas, vais-je, au sein des poètes, ordonner une sous-catégorie, un bataillon spécial, et lequel ? Le bataillon des poètes nègres ? Celui des poètes surréalistes ? Celui des poètes hommes politiques ? Celui des poètes antillais, et point final ? Celui des poètes de l’humanisme ? Celui des poètes caribéens ?
Déjà, régler cette question… Et y glisser Césaire ! Qui aussitôt se rebelle : il ne fut pas que poète !"
 
"Alors, il faut séparer le poète de l’homme de théâtre ? Déchirement !
Il  se trouve un Césaire poète à un bout de la pièce, en théâtre, au-dessus de mon bureau, puisqu’en ce moment, je travaille sur le théâtre, tandis qu’un autre se tient tout près de la fenêtre.
Non, ne pas scinder son immense personnalité, remettons ensemble théâtre et poésie !
Mais que faire des essais ?
Ah, oui ! C’est une question de fond !
Voici donc les essais de Césaire côtoyant ceux de Fanon, mais cette place non plus ne peut le satisfaire ! Car enfin, La Lettre à Maurice Thorez, ne mériterait-elle pas de se trouver parmi tous ces ouvrages sur l’histoire du communisme et de cheminer avec ceux qui, comme lui, ont dit non au moment où cette nation qui s’était donné pour but de cheminer vers le communisme prouvait, par ses actes, qu’elle s’en était éloignée, pour ne plus jamais l’atteindre ?"
 
"Ah, ce Césaire ! Quel rétif !
Voilà pourquoi, désormais, j’ai décidé que Césaire aurait une place à part ! Ou plutôt, pour être franche, pour être honnête, la place totalement à part de Césaire dans ma vie, dans mes choix, dans ma façon de voir le monde, dans le besoin que j’éprouve, de temps à autre, d’observer les pas d’un qui nous précéda pour décrypter ce qui demeure et qu’il convient de continuer à défendre, tout cela m’oblige à donner à l’œuvre de Césaire, une place autonome et singulière, dans cette bibliothèque qui, répondant à mes passions, n’est finalement, jamais rangée…
Même si je ne peux m’empêcher, dans les bibliothèques, chez des amis, mais surtout dans les librairies (comme en souvenir de mon père) de redresser un livre qui penche trop ou de tapoter les bords des étagères pour faire rentrer dans le rang un livre qui dépasse."


 

S'il est vrai que la Martinique est une poussière, il y a cependant des poussières habitées par des hommes, qui méritent pleinement le nom d'hommes et cette assurance voyez-vous, est de celles qui nous autorisent à regarder le présent avec plus de fermeté et de toiser l'avenir avec plus d'insolence" (Aimé Césaire)

 
 











"Ave Césaire", par Marc Alexandre OHO BAMBE (directeur artistique du collectif On A Slamé Sur La Lune)

"Fin d'un texte
Et commencement de la fin d'un autre
 
Aimé Césaire s'est endormi
Et comme Grand-père il ne se réveillera pas demain
Crépitement de flammes
Une bibliothèque brûle au loin
"Au bout du petit matin
La grande nuit est immobile
Et les étoiles, plus mortes
Qu'un balafon crevé…"
 
Aimé Césaire s'est endormi
Mais ses mots sont vivants, et bien vivants !
Ils frappent à notre porte !
Toc !
Toc !
Toc !
 
Ouvrons-leur
Il est l'heure
Peut-être
D'une autre humanité
Ouvrons-nous au monde nouveau
Et dé-co-lo-ni-sons nos esprits !
Oui, tous autant que nous sommes
Décolonisons nos esprits !
 
N'ayez plus peur !
Que dis-je ?
N'ayons plus peur !
Comme Grand-père
 
Aimé Césaire s'est endormi
Et il ne se réveillera pas demain.
Pourtant un nouveau jour se rêve
Rempli d'espoir
Mais aussi, de la brise d'amertume
Que soulève
Le questionnement sur l'être même des choses
Sur l'origine des causes
Et leurs conséquences moroses.
 
Ma prose combat !
Ma prose combat
Le non-sens et l'absence de sens
Surtout moral
Aux actes
Car il peut aboutir
À la totale négation
D'autres existences martyres
 
Ma prose combat
Le coupable silence
De la nuit qui surgit
Enveloppant
Dans son manteau
Notre monde immonde
Et ses maux
 
Ma prose combat
Les ténèbres
Et la mort qui rôde encore
Autour de notre humanité
Si corruptible
Et si fragile
Qu'elle m'émeut
Autant qu'elle m'abjecte !
 
Ma prose combat
Et ça, je te le dois
Aimé Césaire
 
Toi
Le cavalier du temps et de l'écume
Toi
Le nègre universel
Le nègre fondamental sorti de la brume
Toi
Qui nourrissais le vent
Et inspiras ma plume
 
Toi
Aimé Césaire
"l'homme-juif
l'homme-pogrom
l'homme-cafre
l'homme-hindou-de-calcutta
l'homme-insulte
l'homme-famine
l'homme-torture
l'homme-de-Harlem-qui ne vote pas"
 
Toi
Aimé Césaire
Poète
Donc professeur d'espérance
Chantre de résistances
Agitateur de consciences
Dont les écrits précieux
Comme les cris d'un mort-né
Percent les tympans de la nuit
Et de la vie avortée
 
Toi
Aimé Césaire
Le souffle et le rythme
Le fond et la forme
L'esthétique et l'éthique
Le mythe et l'humour
 
Toi
Dont les phrases raisonnent
Et résonnent comme un gwo-ka
Qui tonne et réveille le soleil
 
Toi
Qui comme le sculpteur soudanais
Taillait tes mots en chantant
Dans la pierre triangulaire
D'un monde désenchanté
Gouverné par des traîtres à l'humanité
Capables et coupables
D'immonde et de félonie
 
Toi
Aimé Césaire
Dont la poésie claque
Comme autrefois le fouet
Sur les corps maigres des nègres décharnés
Sur lesquels s'acharnaient les maîtres insensés
 
Si ma prose combat
Je te le dois Césaire
Alors permets-moi
Humblement
De tresser ce bouquet de vers
À ta mémoire
 
AVE CESAIRE
 
Celui qui s'en va vivre te salue !
Étudiant noir
De retour au pays natal
Ce soir
J'ouvre mon cahier
Et mon cœur qui te pleure
 
Toi Aimé Césaire
Le nègre fondamental
Le nègre universel sorti de la brume
Toi qui nourrissais le vent
Et inspiras ma plume
 
AVE CESAIRE"
 
("Dédié à Aimé Césaire, maître de la parole tambour qui m'a appris que la poésie était avant tout, respiration de l'homme debout.")


VIDEO. Un hommage à Aimé Césaire par le groupe Bélya (Martinique), interprété par Valérie Louri



"Un exemple pour nous tous", par Louis-Georges TIN, universitaire, président du Conseil représentatif des associations noires (Cran)


"Aimé Césaire est un exemple pour nous tous, un combattant, un intellectuel, qui a posé les jalons d’une pensée noire en France. Le mot choque encore alors que Césaire qui a écrit dans la revue L’Etudiant noir, à l’époque, qui a fondé la négritude, a depuis longtemps justifié la question noire.
C’est un penseur actuel. Beaucoup de gens ont essayé de le célébrer et de le momifier en même temps, en voulant enterrer toutes les questions d’actualités qu’il pose aujourd’hui : la question coloniale ou néo-coloniale et les statistiques de la diversité par exemple. Césaire a également montré le lien entre la question raciale et la question sociale, comme on le voit aujourd’hui dans les quartiers populaires et en Outre-mer.
Aimé Césaire avait aussi pris position en faveur des réparations dans le livre d’entretiens qu’il avait accordés à Françoise Vergès (« Nègre je suis, Nègre je resterai », éditions Albin Michel, 2005, ndlr). Il est d’ailleurs regrettable que François Hollande ait tronqué et travesti la citation de Césaire lors de la célébration du 10 mai pour donner l’impression qu’il était contre les réparations. Mais Césaire était pour, si on lit la citation jusqu’au bout." 

"J’en garde un souvenir inoubliable", par Marie-Françoise ELIE

"J’habite dans les DOM depuis 8 ans, en Martinique où j’ai eu le privilège de rencontrer a deux reprises ce Grand Homme, entretiens qui m’ont beaucoup touchée. En effet, je voulais l’entendre à propos du sinistre sujet de l’Esclavage.
Je faisais un mémoire en Histoire et voulais connaître sa position quant au commerce triangulaire dont a bénéficié la ville de La Rochelle au même titre que Bordeaux et Nantes. Il y avait une grande différence entre ces trois villes :
Nantes premier port négrier français a reconnu les faits, Bordeaux deuxième port a également fait acte de repentance, et La Rochelle troisième port presque au même rang que Bordeaux (plus ou moins 450 expéditions) ne l’avait jamais fait."
 
"J’ai alors monté un projet à La Rochelle dont je suis originaire, et le maire a accepté de me confier cette tâche. Avec des maîtres de conférence, les institutions locales et toutes les archives existantes j’ai monté ce projet, et pendant neuf mois du 10 mai 2007 à fin décembre de la même année de très nombreuses manifestations culturelles ont été misés en place. En allant sur le site "Chairs noires et pierres blanches" vous pourrez voir le travail effectué."
"J’ai pu, lors des entretiens eus avec Aimé Césaire, comprendre le comportement des chefs de tribus qui, sans vergogne, traquaient et vendaient leurs frères !! J’ai été marquée par sa culture, sa modestie et son humanisme. Il savait expliquer simplement mais clairement tous ses actes et ses idées. J’en garde un souvenir inoubliable, c’était un chef d État et sa disparition marque un tournant de l’Histoire. J’espère que les valeurs qu’il a su diffuser restent présentes pour les générations futures. Merci Papa Césaire."
 

"Sa pensée glorifie l'humanité en nous", par Serge GUEZO (Paris)

 "Un géant de la pensée humaine, un esprit du XXe siècle, une vision globale de l'être ! Sa pensée glorifie l'humanité en nous, face à toute forme d'idéologie, et surtout de tout dogme ! Merci pour ton intelligence et ta sagesse."

 
Photo non datée d’Aimé Césaire


"J'ai eu un véritable choc spirituel", par Raymonde N'GOALA

"Je n'ai pas eu la chance de rencontrer en personne Aimé Césaire, ayant vécu une longue coupure avec la Martinique en particulier dans le cadre de mes études. Mais en 1995, Aimé Césaire était au programme des terminales littéraires, et j'ai eu un véritable choc spirituel en lisant le Discours sur le colonialisme et le Cahier d’un retour au pays natal. Cela m'a permis de prendre conscience de notre histoire  tant dévalorisée et pas encore enseignée dans les programme scolaires de l'époque. A sa mort le 17 avril 2008, j'ai compris que l'oeuvre de Césaire a une portée universelle. Je me souviens encore avec émotion, de ce 18 avril 2008, où nous attendions le passage de son convoi mortuaire, devant  le lycée Schoelcher et ces  lycéens qui lui rendaient hommage en espérant enfin lui dire au revoir une dernière fois. Aujourd'hui en tant que professeur des écoles, je travaille chaque année avec mes élèves sur Aimé Césaire à travers l'art plastique, la poésie, des expositions etc."
"Aimé Césaire à travers le mouvement de la Négritude, a rendu ses lettres de noblesses aux Noirs et son discours qui tend à l'universalité a touché le cœur de tous les opprimés quelque soit leur nationalité."
"Ma phrase préférée de Césaire (extrait du discours de Trénelle du 22 mai 1971), cette phrase je la ressors à chaque fois que la Martinique et ses habitants sont dénigrés: "S'il est vrai que la Martinique est une poussière, il y a cependant des poussières habitées par des hommes, qui méritent pleinement le nom d'hommes et cette assurance voyez-vous, est de celles qui nous autorisent à regarder le présent avec plus de fermeté et de toiser l'avenir avec plus d'insolence".
 

"Une biobibliographie commentée" de Kora VERON et Thomas A. HALE

Kora Véron, professeur de lettres et chercheur à Paris, nous a écrit pour nous informer qu’elle vient de publier avec Thomas A. Hale, professeur de littérature à l’université d’Etat de Pennsylvanie, une « biobibliographie commentée » d’Aimé Césaire. Un « très long témoignage » de 900 pages, nous dit-elle !
 
« Cette biobibliographie commentée retrace avec minutie le parcours littéraire et politique d’Aimé Césaire à travers un millier de notices qui présentent et analysent tous les textes ou documents publiés qui ont pu être recensés. L’insertion de repères chronologiques permet en outre de situer les écrits de Césaire dans leur contexte biographique, culturel, et historique. Elle donne par conséquent accès, avec la précision qui s’impose, à une oeuvre et une action complexes, élaborées dans le cratère d’un siècle qui n’en finit pas de gronder. »
Kora Véron et Thomas A. Hale – « Les Écrits d’Aimé Césaire, Biobibliographie commentée (1913-2008) » – éditions Honoré Champion – Paris – juin 2013 - 904 pages.
 

Césaire représente pour moi l'amour du verbe, par Madi Abdou N'TRO (Mayotte)

"Je n'ai pas eu la chance de connaître Aimé Césaire mais j'ai rencontré le poète lors d'une soirée en lisant pour la première fois "Les Armes miraculeuses" (édition Gallimard). Cette oeuvre puissante et pénétrante m'a amené vers l'homme de lettres. Césaire représente pour moi l'amour du verbe que chacun, amoureux de la langue française, doit croquer. Il a été source de grande inspiration pour l'oeuvre que je suis entrain de finaliser en ce moment et dont j'espère la sortie sera effective au cours de l'année 2014. A Mayotte, terre où je suis né, la langue française est "une langue de connaissance, d'intégration et de l'accès au savoir de "l'homme blanc", la poésie est une des façons d'amener à la maîtrise du français. J'ai l'intime conviction qu'en lisant Césaire, chaque Mahorais accéderait à la véritable richesse unique de la langue française, si chérie par le poète martiniquais. Le pays natal est la force du verbe pour dire les choses et notre capacité à dire le vrai."
 

"Une émotion indicible", par Josée DETCHEVERRY (Saint-Pierre et Miquelon)

"J'ai eu la chance de rencontrer Aimé Césaire en 2006 lors d'une rencontre des Comités de gestion des oeuvres sociales hospitalières d'Outre-mer à la Martinique. Visite qui avait été organisée par J. Baltide, président du Comité des œuvres sociales hospitalières de l'époque. Quel honneur cela avait été de le rencontrer, de l'écouter, de lui parler. Une émotion indicible, et aujourd'hui encore je me dis que cela a été un privilège incroyable. En plus des photos, je garde précieusement en mémoire notre discussion sur les liens particuliers entre la Martinique et mon archipel, son Cahier d'un retour au pays natal et sa dédicace très personnelle à l'attention des gens de St-Pierre et Miquelon !"
 
 

Notre appel à témoignages continue

Que retenez-vous, à titre personnel, des écrits d’Aimé Césaire ? Vous ont-t-ils touché, éclairé, ému, inspiré, ou rebuté ?
Quelle opinion avez-vous de cette personnalité ?
 
Avant sa mort en 2008, durant ses fonctions ou après, certains d’entre vous ont pu l’apercevoir, le rencontrer, ou même échanger avec lui. Témoignez, racontez ces instants !
Vous préférez écrire un poème ? A vos plumes !
 
Envoyez vos témoignages à philippe.triay@francetv.fr en précisant votre nom (ou initiale de votre nom), prénom et lieu de résidence. Votre témoignage sera publié.