Savez-vous quel est le premier distributeur de bananes en Europe ? Non pas une République centre-américaine, mais, par le jeu des domiciliations fiscales d'entreprises, la petite île anglo-normande de Jersey. Un paradis fiscal à 20 kilomètres des côtes du Cotentin.
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Carte postale
Jersey est la plus grande des îles Anglo-Normandes. Sa superficie n'est que de… 118 km2. Elle compte moins de 100 000 habitants. Jersey est un territoire de la Couronne britannique. Elle ne fait pas partie du Royaume Uni mais en dépend pour ses affaires extérieures. Le gouvernement autonome s’occupe des affaires intérieures et des relations internationales. L'île est connue pour sa production de pommes de terre primeurs et beaucoup moins comme l'un des premiers exportateurs mondiaux de…banane.Fiscalité et mondialisation
Cette incongruité ne doit rien à la météorologie pluvieuse ou à à la brume persistante qui caractérisent le modeste éperon rocheux au large de Saint-Malo mais doit tout à la fiscalité moderne. Avec la mondialisation, l'optimisation fiscale rapporte beaucoup à de grandes entreprises américaines comme Chiquita Brands International, Dole Fruit Company et Del Monte Foods. Ce sont les poids lourds, les multinationales du marché international de la banane.Ces sociétés ont analysé les règles fiscales en vigueur à Jersey et s'y sont installées il y a une vingtaine d'années créant de fait un marché boursier spéculatif sorte de "Jersey Bananas Exchange" calqué sur le modèle du London Metal Exchange, la bourse des matières premières de Londres.
Banane réelle, banane virtuelle...
A Saint Hélier, la capitale de Jersey, des traders achètent et revendent ainsi les productions de banane en provenance d'Amérique centrale principalement. Les bananes connaissent un premier circuit classique, par cargo, depuis les plantations d'Amérique latine vers les pays européens notamment l'Allemagne et ses 80 millions d'habitants, premier marché consommateur sur le vieux continent. On l'ignore souvent, mais en Allemagne, la fin des années de misère et de pénurie de l'après-guerre coïncida avec le retour des fameux fruits jaunes, au début des années cinquante. Un engouement qui ne s'est jamais démenti tout comme le monopole de fait des bananes d'Amérique latine qui exclue celles produites en Afrique et aux Antilles françaises. Le second circuit de la banane est un circuit purement spéculatif, virtuel. Le circuit informatisé des factures et la spéculation sur les prix cheminent par les îles Caïman, les banques des Bahamas et… la "bourse" de Jersey.L'optimisation fiscale en vigueur dans l'île Anglo-Normande permet aux intermédiaires et aux multinationales d'en retirer tous les bénéfices en réduisant fortement les taxes sur les produits en vigueur à l'entrée de l'Union Européenne. Les impôts sur le commerce transatlantique des bananes ainsi reversés à Jersey sont sans commune mesure avec ceux qui seraient payés en France ou en Allemagne. Ils assurent néanmoins de confortables rentrées financières à l'île Anglo Normande alors qu'il n'y a jamais eu la moindre banane "réelle" à Jersey.