L’indianité des Antilles, l’oubliée de l’histoire

Jean Samuel Sahaï (à droite) mène des recherches historiques sur les communautés d'origine indienne aux Antilles
Dans « Adagio pour la Da », Jean Samuel Sahaï revient sur les multiples apports de la présence indienne aux Antilles. Un aspect négligé de l’histoire et des études post-coloniales.
L’année 2013 ne marque pas seulement le centenaire de la naissance du poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire. Elle commémore également le 160e anniversaire de l’arrivée des premiers Indiens en Martinique (6 mai 1853), et le 150e anniversaire de la naissance d’Henry Sidambarom.
 

Le combat d'Henry Sidambarom

Pour beaucoup, même aux Antilles, le nom d’Henry Sidambarom (1863 – 1952) n’évoque pas grand-chose. Né le 5 juillet 1863 à Capesterre en Guadeloupe, ce fils d’immigrants tamouls défendra toute sa vie les Guadeloupéens d’origine indienne face au racisme et à une véritable discrimination d’Etat.

« Henry Sidambarom est quelqu’un à qui les Outre-mer et la Guadeloupe doivent beaucoup. Il a permis d’établir l’égalité pour les personnes d’origine indienne, en menant un combat non violent, par la parole et l’écriture », souligne Jean Samuel Sahaï, auteur du livre « Adagio pour la Da, les Indiens des Antilles de Henry Sidambarom à Aimé Césaire ».
 
Après l’abolition de l’esclavage en 1848 dans les colonies françaises, la majorité des esclaves déserte les plantations. Les grands propriétaires terriens, les anciens « maîtres », ont besoin de main d’œuvre. C’est la période de « l’engagisme ». Indiens, mais également Africains et Chinois, sont recrutés sous contrat et débarquent dans le nouveau monde. Les premiers Indiens arrivent le 6 mai 1853 à Saint-Pierre en Martinique, et le 23 décembre 1854 en Guadeloupe, après des traversées en bateau souvent effroyables et marquées par une forte mortalité.
 
Déracinés, affaiblis par le climat et de mauvaises conditions de vie, les Indiens sont méprisés, désignés par le terme péjoratif de « Koulis » et accablés de moqueries par les anciens esclaves. Leurs « employeurs » les exploitent sans vergogne et les font travailler comme des bêtes de somme. Beaucoup d’ailleurs n’y survivront pas. La majorité finira par déserter les plantations, comme leurs prédécesseurs, les esclaves noirs.
 

La "Da" tamoule de Césaire

Honnis par tous, incluant l’Etat qui avait encouragé leur venue, les Indiens et leurs descendants, même nés aux Antilles, n’ont pas droit à la nationalité française. Ils ne peuvent pas voter et faire le service militaire, haut lieu d’insertion socio-professionnelle à l’époque. Henry Sidambarom n’aura de cesse de se battre contre cette injustice, jusqu’à ce qu’il obtienne gain de cause.
 
Ce sera fait le 21 avril 1923, jour où les Guadeloupéens d’origine indienne acquièrent officiellement la nationalité française, par le gouvernement de la IIIe République. L’année suivante, la citoyenneté française et les droits civiques afférents sont élargis à tous les descendants d’Indiens des Outre-mer français.
 
Dans son livre, souvent entrecoupé d’intermèdes poétiques inspirés de la musicalité créole, d’où le titre « Adagio… », Jean Samuel Sahaï revient sur l’itinéraire d’Henry Sidambarom et des Indiens des Antilles. Il consacre aussi de nombreuses réflexions à Aimé Césaire et à son « indianité », rappelant que la « Da » du jeune Aimé, sa nourrice, était d’origine tamoule.
 
« Il y a beaucoup d’études et de documentation sur l’histoire de l’esclavage, alors qu’il y a encore peu de choses sur la présence indienne », regrette l’auteur, qui poursuit ses recherches sur cette question. « En 2004, cependant, on a commémoré les 150 ans de l’arrivée des Indiens en Guadeloupe. A la suite de cet événement beaucoup de publications ont vu le jour. Mais il faudrait que cela s’inscrive aussi dans les livres scolaires. »
 
Jean Samuel Sahaï – Adagio pour la Da, les Indiens des Antilles de Henry Sidambarom à Aimé Césaire – éditions Atramenta, juin 2013 – 265 pages, 25 euros.  
Livre disponible dans certaines librairies et aux éditions Atramenta