« C’est ma version des faits, c’est un ouvrage d’histoire : j’y ai consigné notre mémoire, la mémoire de ceux qui n’ont pas droit aux manuels d’histoire officiels et ne peuvent prétendre qu’au détour de la fiction pour dire leur vérité. » (Mérine Céco)
L’histoire est forte et emblématique. Elle est sous-tendue par la menace d’une « Grande Catastrophe » qui plane sur une petite île des caraïbes, où l’on reconnaît aisément la Martinique. Réelle, imaginaire ou fantasmée - on le découvrira à la fin du roman - cette « Grande Catastrophe » est le vecteur symbolique d’un mal être qui ronge la société insulaire.
Dans ce territoire, vit un peuple qui « recherche une satisfaction immédiate, dans un temps immédiat, à travers des objets qu’il utilise pour travestir son désir. (…) En fait, c’est comme si on était une somme infinie de téléphones mobiles, de grosses voitures, de bouteilles de champagne », écrit la narratrice.
Le récit se construit autour d’histoires de plusieurs femmes – les femmes-couresse - sur plusieurs générations. A travers leurs parcours se lit l’histoire collective. On y relève les traces de l’esclavage et du machisme, la dépossession, l’aliénation et la perte de repères. Dans une sorte de catharsis, le roman est ponctué de séances thérapeutiques intitulées « La schizo », dûment numérotées comme pour mieux graver dans le marbre ce parcours analytique.
Parfois, pour conjurer cette absence, la « langue matricielle » (le créole) est rappelée et s’invite dans le texte à de nombreuses reprises (tout en étant traduite). A cela s’ajoutent les digressions d’une « Parole critique » qui émaillent le roman de considérations philosophiques et théoriques. Tout cela donne un texte dense, aux ramifications multiples, qui interpelle non seulement notre imaginaire, mais aussi notre intelligence.
« Ce peuple ne sait pas faire tout seul : il a appris patiemment à guetter le regard bienveillant de maîtres-chanteurs, et le sourire complaisant des ogres et des lutins, pour sentir la chamade de son coeur. Il a fui, il y a bien longtemps, les avalanches de pluies, les sources bruyantes des antres enfouis, les plaies suintantes des têtes arides.
Ce peuple ne sait pas faire peuple… »
« On a cru pendant longtemps qu’il y avait des Blancs, des Noirs, des jaunes, des Rouges, ou encore des chrétiens, des musulmans, des juifs, des bouddhistes, des animistes, des… ! Il y a seulement des peuples qui s’échinent et des peuples qui pensent, deux humanités bien distinctes.
Ma grand-mère était née du côté des personnes qui s’échinent, et elle ne savait même pas qu’il y avait des personnes qui pensaient, parce que, autour d’elle, tout le monde se battait pour survivre, dénicher un peu de nourriture à mettre dans des casseroles trop grandes pour faire taire la faim des ventres rebondis des futurs petits trimeurs qui avaient déjà la migraine rien qu’en posant le pied à l’école. »
« Nous avions tous dans notre généalogie une femme qui avait sauvé sa famille de la famine, par son courage, sa dignité et son sens du sacrifice. Nous cherchions des héros, alors que nous avions pléthore d’héroïnes. Sauf que ces héroïnes, nous ne savions pas les voir, habitués aux épopées classiques où les guerres sont faites par des hommes armés jusqu’aux dents qui spolient les populations, confisquent leurs biens et leurs femmes. Les guerres menées par les femmes passent souvent inaperçues. »
Mérine Céco – La Mazurka perdue des femmes-couresse – éditions Ecriture – Paris – octobre 2013 - 17,95 euros.
Dans ce territoire, vit un peuple qui « recherche une satisfaction immédiate, dans un temps immédiat, à travers des objets qu’il utilise pour travestir son désir. (…) En fait, c’est comme si on était une somme infinie de téléphones mobiles, de grosses voitures, de bouteilles de champagne », écrit la narratrice.
Le récit se construit autour d’histoires de plusieurs femmes – les femmes-couresse - sur plusieurs générations. A travers leurs parcours se lit l’histoire collective. On y relève les traces de l’esclavage et du machisme, la dépossession, l’aliénation et la perte de repères. Dans une sorte de catharsis, le roman est ponctué de séances thérapeutiques intitulées « La schizo », dûment numérotées comme pour mieux graver dans le marbre ce parcours analytique.
"Parole critique"
Le roman s’inscrit également autour de la perte et de la répression de la langue, en l’occurrence le créole, donc de l’identité. « Etre interrogé dans une langue et répondre dans une autre, sans même s’apercevoir qu’on est suspendu entre deux langues distinctes, être éduqué dans une langue qu’il est interdit de parler, refouler cette langue au plus ras de soi pour laisser l’autre langue s’exprimer, surveiller les interférences, les glissements, les crissements, les protestations de la langue étouffée par une glotte rebelle ; qui peut mesurer l’étendue des dégâts ? »Parfois, pour conjurer cette absence, la « langue matricielle » (le créole) est rappelée et s’invite dans le texte à de nombreuses reprises (tout en étant traduite). A cela s’ajoutent les digressions d’une « Parole critique » qui émaillent le roman de considérations philosophiques et théoriques. Tout cela donne un texte dense, aux ramifications multiples, qui interpelle non seulement notre imaginaire, mais aussi notre intelligence.
Extraits
L’auteur, Mérine Céco, est le pseudonyme d’une universitaire martiniquaise agrégée d’espagnol et docteur en sciences du langage, qui occupe aujourd’hui d’importantes responsabilités.« Ce peuple ne sait pas faire tout seul : il a appris patiemment à guetter le regard bienveillant de maîtres-chanteurs, et le sourire complaisant des ogres et des lutins, pour sentir la chamade de son coeur. Il a fui, il y a bien longtemps, les avalanches de pluies, les sources bruyantes des antres enfouis, les plaies suintantes des têtes arides.
Ce peuple ne sait pas faire peuple… »
« On a cru pendant longtemps qu’il y avait des Blancs, des Noirs, des jaunes, des Rouges, ou encore des chrétiens, des musulmans, des juifs, des bouddhistes, des animistes, des… ! Il y a seulement des peuples qui s’échinent et des peuples qui pensent, deux humanités bien distinctes.
Ma grand-mère était née du côté des personnes qui s’échinent, et elle ne savait même pas qu’il y avait des personnes qui pensaient, parce que, autour d’elle, tout le monde se battait pour survivre, dénicher un peu de nourriture à mettre dans des casseroles trop grandes pour faire taire la faim des ventres rebondis des futurs petits trimeurs qui avaient déjà la migraine rien qu’en posant le pied à l’école. »
« Nous avions tous dans notre généalogie une femme qui avait sauvé sa famille de la famine, par son courage, sa dignité et son sens du sacrifice. Nous cherchions des héros, alors que nous avions pléthore d’héroïnes. Sauf que ces héroïnes, nous ne savions pas les voir, habitués aux épopées classiques où les guerres sont faites par des hommes armés jusqu’aux dents qui spolient les populations, confisquent leurs biens et leurs femmes. Les guerres menées par les femmes passent souvent inaperçues. »
Mérine Céco – La Mazurka perdue des femmes-couresse – éditions Ecriture – Paris – octobre 2013 - 17,95 euros.