Cette semaine, la1ere.fr vous propose de partir à la rencontre de scientifiques, originaires des Outre-Mers. Deuxième portrait de cette série : Anna-Bella Failloux, chercheuse à l'Institut Pasteur. Cette Polynésienne scrute les moustiques dans tous les sens.
Ce n'est pas souvent à Paris que l'on peut entendre une scientifique parler de son expérience avec un doux accent tahitien. Pour cela, il faut se rendre à l'Institut Pasteur à Paris et faire la connaissance d'Anna-Bella Failloux, chef d'un laboratoire dont les travaux portent les moustiques vecteurs de virus. Anna-Bella Failloux se passionne pour ces insectes qui parfois nous pourrissent la vie. Cette Polynésienne s'intéresse principalement à ces cinq espèces de moustiques capables de transmettre aux hommes la dengue, le chikungunya ou la fièvre jaune.
Sœur George
Comment une telle vocation a pu naître dans la tête de la jeune Anna-Bella ? La chercheuse n'hésite pas longtemps. "Au lycée La Mennais à Tahiti, j'ai eu une professeur de biologie remarquable.On l'appelait sœur George. C'était une bonne sœur, elle venait de Guyane. C'est elle qui m'a donné le goût des sciences de la vie et de la Terre. Il n'y a pas longtemps, je lui ai dit au téléphone. Elle était très émue. Et puis, dans ma famille, poursuit Anna-Bella Failloux, mes parents m'ont toujours dit qu'il fallait travailler". Les parents d'Anna-Bella Failloux tenaient un magasin d'alimentation rue Gauguin à Papeete. "Ce sont des Chinois de la 4e génération qui parlent le cantonais avec pleins d'expressions tahitiennes et qui n'arrêtaient pas de travailler". Regardez cette vidéo dans laquelle Anna-Bella Failloux explique d'où lui vient sa vocation.
Celle qui ouvre la voie
Dans la famille Failloux, il y 5 filles. Anna-Bella est l'aînée. C'est donc elle qui a ouvert la voie en partant étudier dans l'hexagone. "Je n'avais jamais pris l'avion, je ne connaissais pas la France, explique-t-elle. C'est dur à 18 ans de quitter ses proches et puis ce n'est pas facile au début de s'adapter à l'anonymat. Les métropolitains, à mon époque avaient pas mal de clichés sur les DOM-TOM (les cocotiers, les vahinés...). Cette première année à l'Université Paul Sabatier de Toulouse était très importante car si ça se passait bien, mes sœurs pouvaient ensuite me rejoindre. Si ça se passait mal mes parents auraient été très embêtés". L'étudiante devait donc réussir... Pas le choix.
Anna-Bella Failloux a conclu ses études par une thèse sur la filariose de Bancroft (Elephantiasis), une maladie tropicale qui touche particulièrement la Polynésie. 5000 personnes souffrent de la filariose dans l'archipel. Il s'agit d'une maladie causée par un ver transmis par le moustique Aedes polynesiensis. Le ver grandit dans le corps humain et limite la circulation de la lymphe. Des personnes peuvent se trouver alors avec des jambes énormes infectées de vers, d'où l'autre nom de cette maladie : elephantiasis. Pendant 6 ans, Anna-Bella Failloux a travaillé sur la transmission de cette maladie, à l'Institut Louis Malardé à Papeete.
A l'institut Pasteur à Paris, la jeune scientifique se voit proposer de faire un post-doctorat. Anna-Bella Failloux fonce. En 1996, elle est intégrée par concours dans ce célèbre établissement de recherches. Elle s'intéresse alors aux moustiques vecteurs de la dengue, du chikungunya et de la fièvre jaune. C'est ce que l'on appelle de la transmission vectorielle. "Le moustique femelle, et non pas le mâle, pique pour son repas de sang environ 3 à 4 microlitres, précise Anna-Bella Failloux. Ce sang est nécessaire à la femelle pour assurer le développement de ses œufs. En même temps, elle prend des agents pathogènes chez l'homme, c'est là que le moustique devient vecteur de la dengue par exemple".
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1 milliard de particules virales
Dans son laboratoire, Anna-Bella Failloux a fait pleins de découvertes. Grâce à ses travaux, aux expériences menés sur les moustiques, on en sait un peu plus sur ces moustiques qui transmettent des maladies. "La femelle moustique peut vivre entre deux et trois mois, précise Anna-Bella Failloux. Elle peut ingurgiter lors d'un repas de sang 1 milliard de particules virales. Sachant qu'elle pique 1 à 2 fois par semaine, on comprend que les épidémies peuvent se répandre très vite."
Réchauffement climatique et maladies tropicales transmises par les moustiques
Aujourd'hui, Anna-Bella Failloux se prépare à partir en Martinique où elle aimerait qu'un réseau de surveillance des moustiques se mette en place. "Ce n'est pas facile de faire travailler ensemble les Antilles avec leurs voisins anglophones". Mais il serait bon d'agir, car avec le réchauffement climatique, il risque d'y avoir probablement plus d'épidémies. "Quand la température est plus élevée et qu'il y a de l'humidité, le temps d'incubation des virus est plus rapide chez le moustique, note Anna Bella Failloux. Par exemple, pour la dengue, le moustique tigre met en moyenne 7 à 10 jours avant de pouvoir transmettre la maladie après son repas de sang, si la température se monte aux environs de 24°. Si le thermomètre affiche 30°, ce délai se réduit à 5 jours". L'étude des moustiques a donc de beaux jours devant elle.