"L’Art presque perdu de ne rien faire", selon Dany Laferrière

Dany Laferrière
L’écrivain haïtien naturalisé canadien Dany Laferrière publie un nouvel essai, intitulé "L’Art presque perdu de ne rien faire". Un livre de réflexions éclectiques mêlant souvenirs personnels, poésies, et observations critiques sur notre monde tourmenté. 
Elu en décembre 2013 à l’Académie française, le nouveau sociétaire de la vénérable institution a le goût des beaux titres. Après "Journal d’un écrivain en pyjama" (Grasset), édité l’an dernier, voici "L’Art presque perdu de ne rien faire", chez le même éditeur (en librairie à partir du 10 septembre).
 
Dans ce nouvel essai, Dany Laferrière poursuit sa villégiature intellectuelle, qui le mène d’une ville à l’autre (Montréal, Paris, New York, Miami, Petit-Goâve en Haïti…) et sur les traces littéraires d’écrivains qu’il affectionne, comme Jorge Luis Borges, André Breton, Albert Camus, Hemingway, Derek Walcott, Jacques-Stephen Alexis, et bien d’autres.
 

Emerveillement

L’auteur déambule parmi ses souvenirs, d’enfance avec sa grand-mère en Haïti, d’adulte dans ses pérégrinations, ses recherches et ses doutes. Au fil des pages, Laferrière disserte et observe le monde, avec, parfois, une précision d’entomologiste. Il nous parle de la sieste, qu’il affectionne, de la lenteur, de la mort, du temps qui passe, de l’amour et de l’amitié, tout cela avec émerveillement et une curiosité communicative des choses de la vie.
 
Le livre est entrecoupé de beaux poèmes aux titres évocateurs : "L’art de manger une mangue", "l’art du futile", "l’art de mourir", "l’art de danser sa vie", "l’art d’être ivre avec élégance"… Et le tout compose un ouvrage presque indéfinissable, aux croisées de la philosophie, la chronique sociale, la dissertation poétique, et l’autobiographie, pimenté par l’ironie mordante de l’écrivain, à qui les errements de nos sociétés inspirent de cruelles saillies.
 

Extrait

"Je me souviens de cet après-midi sans fin où je me trouvais sur la galerie de la maison de Petit-Goâve avec ma grand-mère. Sans rien à faire depuis trois heures : elle dégustant son café et, moi, observant les fourmis en train de dévorer un papillon mort. Arrive alors une voiture, couverte de poussière, venant de la capitale, qui passe sans même ralentir. J’ai eu le temps de croiser le regard de commisération de la femme assise à l’arrière. Elle semblait se demander quel goût pourrait avoir une vie sans cinéma, ni télévision, ni théâtre, ni danse contemporaine, ni festival de littérature, ni voyage, ni révolution ? Eh bien, il reste la vie nue. Mais à l’époque j’étais si pris par mon enfance que je ne m’étais pas aperçu qu’il me manquait de tels gadgets. Cette femme, dans la voiture poussiéreuse, n’avait pas remarqué qu’il se jouait, sur cette petite galerie, un spectacle pas moins absorbant que celui de la grande ville. J’observais les fourmis tandis que ma grand-mère me regardait. Je me sentais protégé par son doux sourire. La voiture pouvait poursuivre son chemin vers je ne sais quelle destination. Il reste cette scène qui traîne dans ma mémoire encore éblouie : celle d’une grand-mère et de son petit-fils figés dans l’éternel été de l’enfance. Nous ne faisions rien de mal cet après-midi-là."
 

Dany Laferrière, "L’Art presque perdu de ne rien faire" - éditions Grasset - septembre 2014, 426 pages, 20,90 euros.