Alain Foix, écrivain : "Charlie fait partie de moi, fait partie de nous, de manière organique"

L'écrivain Alain Foix, chez lui en région parisienne, en septembre 2012.
L’écrivain d’origine guadeloupéenne Alain Foix a réagi sur les réseaux sociaux à l’attaque terroriste dont a été victime le journal Charlie Hebdo. Nous publions son texte dans son intégralité. 
Ecrivain, philosophe et dramaturge, Alain Foix a été directeur de la Scène nationale de Guadeloupe et directeur du théâtre Le Prisme à Saint-Quentin en Yvelines. Il est actuellement directeur artistique et metteur en scène de la compagnie Quai des Arts (dernière création "Duel d’ombres", en 2014). Alain Foix a également publié des biographies de Martin Luther King (2012) et de Toussaint Louverture (2007), toutes deux aux éditions Gallimard. Voici son texte, écrit suite à l’attaque contre Charlie Hebdo.  
 
"Encore abasourdi par cette terrible nouvelle, je reçois un appel de Jean-Michel Helvig (éditorialiste et ancien codirecteur de Libération). Il est sous le choc et me dit cette phrase poignante : 'c'est toute notre jeunesse qu'ils ont tuée'."
 
"C'est exactement ça, exactement l'expression de cette douleur que je ressens.
Charlie fait partie de moi, fait partie de nous, de manière organique.
Le monde tout à coup a pris un sacré coup de vieux.
Les suspects viennent d'être identifiés. Ils ont respectivement 32, 30 et 18 ans ​
(en réalité 34 et 32 ans, ndlr). Mais ils sont tellement plus vieux que nous, plus vieux que la Révolution française, plus vieux que Voltaire, Rousseau, Diderot, Helvétius ou Kant. Ils sont de l'âge de l'intolérance. Ce soi-disant "droit de l’intolérance" dont Voltaire dit qu’il 'est absurde et barbare : c’est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous sommes exterminés pour des paragraphes.' "

 

Oui, ils tuent notre jeunesse éternelle, celle qui en nous n’accepte pas le monde tel qu’il est, celle qui ne se soumet pas. Ni à un Dieu quelconque, ni à une idéologie quelle qu’elle soit." (Alain Foix)

 








"Oui, ils tuent notre jeunesse éternelle, celle qui en nous n’accepte pas le monde tel qu’il est, celle qui ne se soumet pas. Ni à un Dieu quelconque, ni à une idéologie quelle qu’elle soit. Une jeunesse qui a éternellement dix-sept ans et qui par là ne peut pas, ne veut pas être sérieuse, entendu se prendre au sérieux et qui, tous les jours, veut souffler les non-anniversaires d’un printemps 68, et qui sans cesse passe les murs miroirs érigés dans l’hiver des guerres froides."

"Charlie notre copain d’une enfance qu’on a cru immortelle nous quitte sous les coups d’une mortelle bêtise."
 
"Mais tel Dionysos sous le rire douloureux de Silène, au corps découpé, dépecé et jeté aux quatre vents, il renaît en nous encore plus fort qu’avant en nous insufflant encore ce rire qui doit être inextinguible, ce rire vital dont la nature fut si bien définie par Bergson, qui fustige et châtie, tourne en ridicule l’esprit de sérieux se prenant dans la mécanique des structures rigides du prêt à penser, de la pensée unique ou de tous les intégrismes.
Badinter a bien raison : ceux de Charlie sont nos héros contemporains, morts pour le rire et ce qu’il porte de liberté de penser."
 (Alain Foix)