Des professeurs antillais racontent leurs échanges avec les élèves après les attentats

Dessins réalisés par les élèves de CM1 d'une école de Seine-Saint-Denis après les attentats de Paris.
Comment parler des attentats de la semaine dernière avec les enfants ? Comment trouver les mots justes face à des élèves sous le choc ? Entre questions et émotion, des professeurs antillais racontent les débats dans leur classe, en Ile-de-France, au lendemain de l'attaque contre Charlie Hebdo. 
"En arrivant en classe, au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo, j’ai demandé aux élèves s’ils souhaitaient en parler. Tous m’ont répondu : oui". Tony Mango est professeur de créole. Cet enseignant d'origine guadeloupéenne intervient dans des établissements scolaires parisiens plusieurs fois par semaine. "Tous mes élèves ont condamné les attentats, raconte-t-il. En revanche il y a eu beaucoup de questions, notamment sur l’Islam et la liberté d’expression." 
Des questions et des débats toujours en créole, c’est la règle dans la classe. "Le débat était délicat mais on en a connu d’autres. On parle régulièrement de l’esclavage, mais aussi de cultures, de langues, de diversité, et là aussi ce sont des sujets qui suscitent beaucoup de questions de la part des élèves."
Selon ce professeur de créole, l’important pour les enseignants est d’avoir un discours structuré et cohérent. "Les élèves cherchent à avoir une opinion, affiner un discours qui leur soit propre. C'est à nous, professeurs, de les cadrer. Surtout en ce moment", précise l’enseignant.

Expliquer les mots "terroriste" et "attentat"

D’origine martiniquaise, M. (elle a souhaité l'anonymat) est professeur des écoles en Seine-Saint-Denis. Chaque matin, cette enseignante a face à elle des enfants âgés de 9 à 10 ans. Le lendemain des attentats à Charlie Hebdo, tous sont arrivés en classe le cœur gros et la tête pleine de questions. "Les enfants se demandaient s’il y aurait une minute de silence, témoigne M. Certains parents leur avaient expliqué ce qu’il s’était passé, mais d’autres non. A partir de là, on a en parlé." 
La professeur a entamé la discussion en expliquant des mots de vocabulaire tels que "terrorisme" et "attentat". "Ces mots sont violents pour eux", explique l’enseignante. "On a aussi parlé des métiers de caricaturiste et de journaliste."

"Des questions pertinentes et un recul que les adultes devraient adopter"

Le débat a ensuite donné lieu à une leçon d’éducation civique durant laquelle M. a repris les valeurs de la République. Face à elle, l’émotion est forte. "Une petite fille a pleuré dans la cour de l’école, précise la professeur. J’avais moi-même du mal à me tenir debout devant mes élèves. Malgré ça, les enfants ont eu des questions pertinentes et un recul que beaucoup d’adultes devraient adopter."

Des images qui choquent

Dans cette classe, de nombreux enfants avaient vu les images des attentats diffusées en boucle sur les écrans de télévisions. Une vision d’horreur que déplore la professeur : "Ils ont même vu l'image de ce policier à terre, assassiné dans les rues de Paris. D’autres ont aussi vu les caricatures. Les élèves ne comprenaient pas qu’un dessin puisse tuer."

Les élèves d'une classe de CM1 de Seine Saint-Denis ont réalisé des dessins en hommage aux victimes des attentats.

"Les musulmans sont-ils tous des terroristes ?"

Le thème de la religion n’a en revanche pas été abordé par ces élèves de CM1. "C’est moi qui ai volontairement mis les pieds dans le plat", déclare l'enseignante, qui a dans sa classe des enfants de toutes confessions. J’ai demandé ouvertement aux enfants : les musulmans sont-ils tous des terroristes ? Une petite fille de confession musulmane m’a répondu : oui, mais pas tous. Là, j’avoue que je suis sortie de mon rôle d’enseignante. Je lui ai répondu en tant que mère et citoyenne. Je lui ai expliqué qu’elle n’avait pas le droit de penser et de dire cela."
La professeur explique alors à sa classe que l’Islam est une religion : "Je leur ai dit qu’être terroriste ce n’était pas une religion, c’est simplement une personne qui agit pour faire peur aux autres." Une manière pour l’enseignante de mettre les choses au clair à l’heure où dans la cour d’école les mots "islamique", "islamiste", "musulman" et "terroriste" s’entrechoquent.

Le vivre ensemble

Dans cette école primaire de Seine-Saint-Denis, une charte de la laïcité est affichée dans les classes, les couloirs et les classeurs des élèves. Le projet de l’établissement est le vivre ensemble. "On a pas attendu ces attentats pour mettre en place ce projet. Le vivre ensemble c’est l’éducation civique et c’est le cœur de notre mission pour que tous les élèves puissent vivre et étudier ensemble," conclut l'enseignante.

Aller plus loin : Pour aider les enseignants à débattre avec leurs élèves, le ministère de l’Education a mis en ligne des outils pédagogiques sur la liberté de conscience, d'expression et le rappel des valeurs de la République. 

Ecoutez ci-dessous : L'intégralité de l'interview de M., professeur des écoles en Seine-Saint-Denis.