La réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy est actuellement à la Foire de Paris pour promouvoir la sortie de son film « Siméon » en DVD Blue-ray haute définition. Elle a accepté de nous parler de sa riche et longue carrière. Interview exclusive, disponible en audio et en intégralité.
« Le cinéma a été très tôt la passion de ma vie », confie Euzhan Palcy dans l’interview qu’elle nous a accordée lundi matin. La cinéaste martiniquaise était venue passer quelques jours dans l’Hexagone à l’occasion de la Foire de Paris (29 avril – 10 mai) pour présenter la sortie de son film « Siméon » en DVD Blue-ray haute définition (pavillon 3 - C025 "Films d'Euzhan Palcy").
Récipiendaire de multiples prix et connue dans le monde entier, Euzhan Palcy a réalisé, entres autres, des longs métrages à succès comme « Rue Cases-Nègres » (1983), « Une saison blanche et sèche » (1989), « Siméon » (1992), et des documentaires qui feront date tels « Aimé Césaire, une parole pour le XXIème siècle » (1994) et « Parcours de Dissidents » (2005). D’autres films tournés aux Etats-Unis ont eu dans ce pays un retentissement particulièrement important, notamment « Ruby Bridges » (1998) et « The Killing Yard » (2001). Interview.
Vous participez à la Foire de Paris où vous avez un stand pour la première fois. Vous présentez entre autres la sortie de votre film « Siméon » en DVD haute définition. Quel souvenir gardez-vous de ce film ?
Euzhan Palcy : A l’époque ce film était passé complètement inaperçu parce qu’il était sorti entre « Bodyguard » et « Maman j’ai raté l’avion ». Aucun film français n’aurait résisté à cela. Mais aujourd’hui le film revient, c’est un film neuf, nous avons remasterisé et restauré la copie, les couleurs, et nous avons travaillé le son avec toutes les nouvelles technologies. C’est le summum de la qualité au niveau du visuel et du son.
Le mois dernier l’on commémorait en Martinique le centenaire de la naissance de l’écrivain Joseph Zobel. Vous avez réalisé un film inspiré de son roman « La Rue cases nègres ». Vous qui avez bien connu Joseph Zobel, comment était-il ?
C’était un homme très rigoureux, sympathique et accueillant, et assez strict. Il était d’une très grande fidélité au niveau de l’amitié, il avait un grand respect de la parole donnée. Très loin de sa Martinique natale, il ne l’a jamais oubliée, même si il a eu beaucoup de mal à revenir aux Antilles. Il a beaucoup souffert de l’époque coloniale. C’était un bon cuisinier et un expert en art floral japonais ! J’ai réussi à le convaincre de retourner à la Martinique. Les gens avaient faim et soif de sa personne, et puis la Martinique avait beaucoup évolué. Il était très très heureux et a pleuré d’émotion.
Un autre écrivain a aussi beaucoup compté, c’est Aimé Césaire. Qu’est ce qu’il représentait pour vous ?
Aimé Césaire c’était mon père spirituel. C’est quelqu’un qui m’a intellectuellement et philosophiquement beaucoup apporté, qui m’a bâtie, je dirais. Professionnellement, s’il n’y avait pas eu Césaire dans ma vie, je ne serais pas cinéaste aujourd’hui. J’ai découvert son œuvre très tôt, et je ne comprenais pas toujours ce qu’il disait. Mais la force des mots résonnait en moi et il m’a aidée à voir et définir mon devenir. Césaire a suivi toutes mes études à Paris, avec d’autres jeunes. Quand je revenais en vacances aux Antilles, après avoir embrassé mes parents, j’allais voir deux hommes, Aimé Césaire et le docteur Aliker.
Une grande partie de votre carrière s’est déroulée aux Etats-Unis. Que gardez-vous de ce séjour américain ?
Il n’est pas encore terminé. Je pense que cela a été une excellente chose, car si j’étais resté en France, j’aurais peut-être changé de métier. Je n’aurais jamais pu faire ce que j’ai fait. Il fallait partir. Cela m’a donné la possibilité de travailler avec six studios américains, avec des stars, et d’autres personnes. Cela est important pour notre communauté et les Antilles. Pour la France aussi car lorsque j’ai eu des prix, on récompensait une Française. J’espère que mon expérience américaine aura permis d’ouvrir des portes à d’autres jeunes. J’ai pu le faire, et j’ai prouvé que c’était possible.
Je continue d’ailleurs à travailler avec les studios, mais je refuse beaucoup de choses qu’ils me proposent, car le fait d’être cinéaste pour moi ce n’est pas un vain mot. C’est un engagement, né d’une grande souffrance, d’un combat et d’une grande frustration. D’une grande colère que j’ai voulue créatrice. On n'existe nulle part, et j’ai voulu que ça existe. Cette colère c’était mon fuel, ce qui me permettait d’aller de l’avant et toujours plus haut. Tant que les choses n’iront pas comme il faut, je ne pourrai pas décolérer. Je continuerai à avancer avec ma colère, qui n’est pas une colère de violence, mais une colère qui stimule, qui donne naissance à des choses.
Quels sont vos projets actuellement ?
Quand on est réalisateur on se doit d’avoir plusieurs projets, parce qu’on ne sait jamais lequel va être financé. Je sais que les gens attendent depuis plusieurs années. Mais je veux que les gens qui aiment mes films sachent que justement parce que le cinéma est ma passion je m’interdis de faire des choses faciles, car sinon je ne pourrais pas me regarder en face dans un miroir, ni mes compatriotes ou les gens qui aiment mon travail dans le monde entier.
Mais lorsque je ne peux pas trouver de financements pour faire mes films, parce que les sujets que je propose n’intéressent pas forcément les gens qui ont de l’argent, je n’ai pas besoin de vous faire un schéma, je préfère faire de l’humanitaire et m’occuper des jeunes. Je considère que cela fait aussi partie de mon métier. C’est comme faire un long métrage, car les thèmes traités dans tous mes films sont sans ambiguïté : les enfants, les personnes d’un certain âge, la mémoire, la culture, l’éducation, sont très importants pour moi. Ma vie est bâtie là-dessus. J’y mets le même engagement, le même respect, le même amour, et le même espoir.
Récipiendaire de multiples prix et connue dans le monde entier, Euzhan Palcy a réalisé, entres autres, des longs métrages à succès comme « Rue Cases-Nègres » (1983), « Une saison blanche et sèche » (1989), « Siméon » (1992), et des documentaires qui feront date tels « Aimé Césaire, une parole pour le XXIème siècle » (1994) et « Parcours de Dissidents » (2005). D’autres films tournés aux Etats-Unis ont eu dans ce pays un retentissement particulièrement important, notamment « Ruby Bridges » (1998) et « The Killing Yard » (2001). Interview.
Vous participez à la Foire de Paris où vous avez un stand pour la première fois. Vous présentez entre autres la sortie de votre film « Siméon » en DVD haute définition. Quel souvenir gardez-vous de ce film ?
Euzhan Palcy : A l’époque ce film était passé complètement inaperçu parce qu’il était sorti entre « Bodyguard » et « Maman j’ai raté l’avion ». Aucun film français n’aurait résisté à cela. Mais aujourd’hui le film revient, c’est un film neuf, nous avons remasterisé et restauré la copie, les couleurs, et nous avons travaillé le son avec toutes les nouvelles technologies. C’est le summum de la qualité au niveau du visuel et du son.
Le mois dernier l’on commémorait en Martinique le centenaire de la naissance de l’écrivain Joseph Zobel. Vous avez réalisé un film inspiré de son roman « La Rue cases nègres ». Vous qui avez bien connu Joseph Zobel, comment était-il ?
C’était un homme très rigoureux, sympathique et accueillant, et assez strict. Il était d’une très grande fidélité au niveau de l’amitié, il avait un grand respect de la parole donnée. Très loin de sa Martinique natale, il ne l’a jamais oubliée, même si il a eu beaucoup de mal à revenir aux Antilles. Il a beaucoup souffert de l’époque coloniale. C’était un bon cuisinier et un expert en art floral japonais ! J’ai réussi à le convaincre de retourner à la Martinique. Les gens avaient faim et soif de sa personne, et puis la Martinique avait beaucoup évolué. Il était très très heureux et a pleuré d’émotion.
ECOUTEZ l’interview intégrale d’Euzhan Palcy
Un autre écrivain a aussi beaucoup compté, c’est Aimé Césaire. Qu’est ce qu’il représentait pour vous ?
Aimé Césaire c’était mon père spirituel. C’est quelqu’un qui m’a intellectuellement et philosophiquement beaucoup apporté, qui m’a bâtie, je dirais. Professionnellement, s’il n’y avait pas eu Césaire dans ma vie, je ne serais pas cinéaste aujourd’hui. J’ai découvert son œuvre très tôt, et je ne comprenais pas toujours ce qu’il disait. Mais la force des mots résonnait en moi et il m’a aidée à voir et définir mon devenir. Césaire a suivi toutes mes études à Paris, avec d’autres jeunes. Quand je revenais en vacances aux Antilles, après avoir embrassé mes parents, j’allais voir deux hommes, Aimé Césaire et le docteur Aliker.
Une grande partie de votre carrière s’est déroulée aux Etats-Unis. Que gardez-vous de ce séjour américain ?
Il n’est pas encore terminé. Je pense que cela a été une excellente chose, car si j’étais resté en France, j’aurais peut-être changé de métier. Je n’aurais jamais pu faire ce que j’ai fait. Il fallait partir. Cela m’a donné la possibilité de travailler avec six studios américains, avec des stars, et d’autres personnes. Cela est important pour notre communauté et les Antilles. Pour la France aussi car lorsque j’ai eu des prix, on récompensait une Française. J’espère que mon expérience américaine aura permis d’ouvrir des portes à d’autres jeunes. J’ai pu le faire, et j’ai prouvé que c’était possible.
Je continue d’ailleurs à travailler avec les studios, mais je refuse beaucoup de choses qu’ils me proposent, car le fait d’être cinéaste pour moi ce n’est pas un vain mot. C’est un engagement, né d’une grande souffrance, d’un combat et d’une grande frustration. D’une grande colère que j’ai voulue créatrice. On n'existe nulle part, et j’ai voulu que ça existe. Cette colère c’était mon fuel, ce qui me permettait d’aller de l’avant et toujours plus haut. Tant que les choses n’iront pas comme il faut, je ne pourrai pas décolérer. Je continuerai à avancer avec ma colère, qui n’est pas une colère de violence, mais une colère qui stimule, qui donne naissance à des choses.
Quels sont vos projets actuellement ?
Quand on est réalisateur on se doit d’avoir plusieurs projets, parce qu’on ne sait jamais lequel va être financé. Je sais que les gens attendent depuis plusieurs années. Mais je veux que les gens qui aiment mes films sachent que justement parce que le cinéma est ma passion je m’interdis de faire des choses faciles, car sinon je ne pourrais pas me regarder en face dans un miroir, ni mes compatriotes ou les gens qui aiment mon travail dans le monde entier.
Mais lorsque je ne peux pas trouver de financements pour faire mes films, parce que les sujets que je propose n’intéressent pas forcément les gens qui ont de l’argent, je n’ai pas besoin de vous faire un schéma, je préfère faire de l’humanitaire et m’occuper des jeunes. Je considère que cela fait aussi partie de mon métier. C’est comme faire un long métrage, car les thèmes traités dans tous mes films sont sans ambiguïté : les enfants, les personnes d’un certain âge, la mémoire, la culture, l’éducation, sont très importants pour moi. Ma vie est bâtie là-dessus. J’y mets le même engagement, le même respect, le même amour, et le même espoir.