Angela Davis, icône de la lutte antiraciste, est l'invitée d'honneur de la ville de Nantes pour la commémoration de l'abolition de l'esclavage. Lundi, elle a rencontré des centaines de lycéens. Au programme : visite des salles dédiées à la traite négrière au musée d'histoire et questions en rafales.
Léia Santacroce•
Difficile de croire qu'elle a 71 ans. Grande, élancée, élégante, Angela Davis en impose. Invitée d'honneur de la ville de Nantes pour la commémoration de l'abolition de l'esclavage (10 mai), cette icône américaine de la cause antiraciste a passé deux heures bien remplies au musée d'histoire de la ville, ce lundi 11 mai, au sein du majestueux Château des Ducs de Bretagne. Deux heures au pas de course pour visiter les salles consacrées à la traite nantaise et rencontrer quelque 300 lycéens. Moyenne d'âge : 16 ans.
Fouet, entraves, pointes anti-émeutes
Souriante, attentive, Angela Davis écoute avec intérêt les explications qui lui sont délivrées. Dans l'ambiance feutrée d'une pièce évoquant l'entrepont d'un navire négrier (où les captifs étaient entassés), elle passe devant un fouet, des entraves, puis s’arrête devant des pointes anti-émeutes, sortes de boules à piques utilisées pour mater les rébellions d'esclaves. "Mais... Mais c’est comme aujourd’hui !", s’exclame-t-elle (en français dans le texte), avant de dégainer son smartphone pour les prendre en photo.
A la fin de la visite, la militante américaine se retrouve perchée sur une estrade, nez-à-nez avec un parterre de lycéens pendus à ses lèvres. A la question : "Pourquoi avoir accepté de venir à Nantes ?", elle répond : "Dans les années 1970, j’ai passé deux ans en prison, soupçonnée de meurtre, kidnapping et conspiration, trois chefs d’accusation passibles de la peine de mort à l’époque (silence dans la salle). Si j’ai été libérée, c’est en partie grâce à une immense mobilisation de citoyens dans le monde, et notamment en France. Je leur en suis très reconnaissante. Alors quand on m’invite dans votre pays, en général, je viens ! Et aujourd'hui, je suis très impressionnée par les efforts du musée de Nantes pour rendre cette histoire de la traite aussi concrète."
"Angela Davis ? Je connaissais son nom grâce à des chansons"
Mouvements d'émancipation ? Dans l'assistance, quinze lycéens guyanais sont bien placés pour le savoir. Tous sont descendants de noirs-marrons : des hommes et des femmes qui se sont affranchis eux-mêmes du joug de leurs maîtres. Ces élèves du lycée Bertène Juminer, à Saint-Laurent du Maroni, ont d'ailleurs offert à Angela Davis une statuette saramaca, peuple descendant d'esclaves fugitifs (voir la photo de Une). Très touchée, elle leur a collé une bise. Chamiel, 18 ans, n’en revient toujours pas . "Elle m'a fait un bisou !", se réjouit-elle après coup, en se frottant les joues.
Mardi 12 mai, Angela Davis a poursuivi son séjour nantais par une visite du Mémorial de l'abolition de l'esclavage en compagnie des jeunes Guyanais du lycée Bertène Juminer. Regardez ci-dessous le reportage d'Angélique Le Bouter et Jean-Pierre Magnaudet pour France Ô/Outre-mer 1ère :
"Pourquoi était-ce si important pour vous de rencontrer la jeunesse française ?" Découvrez ci-dessous la réponse d'AngelaDavis (images France 3 Pays de la Loire) :
Angela Davis contre l'idée de réparations financières
Lors de ses nombreuses prises de parole, Angela Davis s'est prononcée sur l'épineuse question des réparations : "Certains parlent de la nécessité de verser des compensations financières pour "réparer" les méfaits de l'esclavage. Selon moi, des réparations auraient plus d'impact si on les pensait en termes de nouvelles institutions : école gratuite, santé gratuite… Des institutions qui accorderaient plus de place à la justice sociale, sans tenir compte de la race ou de l'origine des individus."