Esclavage : François Hollande reconnaît une dette morale mais pas financière

François Hollande, lors de la visite du Mémorial ACTe. 10 mai 2015
François Hollande a abordé frontalement la question de la réparation envers les descendants d'esclaves estimant qu'elle était morale et non financière. C'était dimanche lors de l'inauguration du Mémorial ACTe en Guadeloupe. 
"La seule dette qui doit être réglée, c'est de faire avancer l'humanité. C'est ce que ce Mémorial (ACTe) nous rappelle", a déclaré le président de la République lors de l'inauguration du MACTe,  devant une trentaine de dirigeants africains et caribéens, empruntant à Aimé Césaire la formule sur "la nature irréparable du crime".
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La dette envers Haïti

S'adressant directement à Michel Martelly, président d'Haïti, ancienne colonie qui a payé son indépendance en espèces sonnantes et trébuchantes jusqu'en 1946, François Hollande a surpris l'auditoire avec une formule prêtant à confusion: "Quand je viendrai à Haïti, j'acquitterai à mon tour la dette que nous avons". Son entourage a dû préciser à la presse nationale et internationale, venue en grand nombre de la Caraïbe, qu'il s'agissait uniquement d'une "dette morale" et non pas financière comme certains l'avaient compris. Les réseaux sociaux se sont d'ailleurs enflammés sur ce qui aurait été une annonce fracassante. 

François Hollande sera en Haïti mardi, dernière étape après Cuba lundi, de cette tournée dans la Caraïbe qui avait débuté vendredi par Saint-Barthélémy et Saint Martin, samedi la Martinique et dimanche la Guadeloupe. 
 

Un discours sur le présent et le passé

Tout comme le "MACTe" qui aborde l'esclavage depuis les Amérindiens, en passant par la traite, les abolitions et l'esclavage moderne, François Hollande a balayé dans son discours les racines et prolongements contemporains de ce mal à l'instar des "nouveaux négriers" tels ceux qui oeuvrent en Méditerranée pour faire passer des migrants. Il s'est aussi longuement attardé sur l'histoire souvent occultée des actes de créativité, des révoltes, des rébellions des esclaves qui ont finalement pris "leur part dans leur libération". La construction d'une image positive des esclaves fait partie de l'oeuvre de "réconciliation des mémoires" sur ce sujet encore douloureux dans la Caraïbe.
 

Le poison du racisme

Le Mémorial ACTe a vocation, "en évoquant le passé, de prévenir les fléaux qui menacent" et notamment "le poison du racisme", a insisté le chef de l'Etat.
Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a qualifié ce jour de "moment très important pour le mode entier, un jour de mémoire d'une tragédie comme l'espèce humaine en a rarement connue" qui se "traduit ici de manière intelligente dans une oeuvre".
 

"Prendre un nouveau départ" 

Son homologue du Sénégal a fait part de ses sentiments mêlés de "bonheur, de recueillement et de prise de conscience que ce devoir de mémoire est important mais on ne doit pas être enfermé dans le passé". "Nous devons prendre un nouveau départ. Le Mémorial doit être mis dans une dynamique d'évolution positive vers l'avenir", a dit aussi Macky Sall.
 

167 ans après

Pour l'ancien footballeur Lilian Thuram, présent à la cérémonie, "c'est un jour très fort: 167 ans après l'abolition de l'esclavage il y a enfin un lieu en France
où discuter du discours qu'a produit l'esclavage niant l'humanité de gens en fonction de leur couleur de peau". 

Au milieu de ces voix unanimes, le syndicaliste guadeloupéen Elie Domota, qui a boycotté la cérémonie dimanche, dénote. Il a vivement reproché à Hollande de refuser des réparations et de n'avoir pas amélioré une "situation très grave" sur le plan social, dans un département frappé par un chômage à 25%. 
 

Vers "l'égalité réelle"

François  Hollande a chargé Victorin Lurel, président de la région Guadeloupe, porteur du Mémorial et ancien ministre des Outre-mer, d'une mission parlementaire pour dessiner les contours d'une loi pour une "égalité réelle" entre les outre-mer et l'Hexagone.
Le Crefom se réjouit des annonces de Hollande
Le Conseil représentatif des Français d'outre-mer (Crefom), qui regroupe les associations ultramarines les plus représentatives, s'est félicité dimanche de l'annonce par François Hollande d'une prochaine "loi sur l'égalité réelle" entre l'outre-mer et l'Hexagone. Cette loi, que demandait le Crefom, est "attendue depuis quelque sept décennies", écrit dans un communiqué le président de cette organisation, Patrick Karam.

L'égalité réelle, ajoute-t-il, "visera à réduire l'ensemble des disparités constatées avec l'Hexagone en matière de revenu par habitant, de taux d'emploi et de pauvreté, d'accès au logement, de mise en oeuvre de politiques de santé publique et de mise à niveau des infrastructures dans chaque territoire". "Cette exigence d'égalité réelle, la France la doit à l'outre-mer. C'est aussi son intérêt. Il ne saurait y avoir de territoires durablement délaissés", souligne-t-il.

 "En effet, après l'égalité civique liée à la fin de l'esclavage en 1848, l'égalité politique avec le passage de colonies en départements et collectivités d'outre-mer, l'égalité sociale avec l'alignement des prestations sociales, une dernière avancée reste à conquérir: l'égalité réelle économique", conclut Patrick Karam.