Grâce au bouche-à-oreille, de nombreux Mahorais trouvent la clé de la réussite à l’EPIDE de Bourges. Remise à niveau, formation, éducation : l’établissement est un véritable tremplin pour transformer ces jeunes déscolarisés en adultes responsables.
"L’EPIDE est une chance. Ça va nous mener loin". Monsieur Abdallah n’a jamais été aussi sûr de lui. De ses choix. Attablé derrière un ordinateur, au fond d’une salle de classe, ce jeune mahorais de 20 ans veut entrer dans l’armée, "chez les paras (parachutiste, ndlr). Mais les tests sont durs, il faut que je bosse encore", admet M. Abdallah qui ne ménage pas sa peine pour se remettre à niveau.
"Ça me conforte dans mon projet professionnel", explique le jeune homme en uniforme. Polo bleu clair boutonné jusqu’au col, il avoue que la vie à Mayotte lui manque parfois "mais je ne dois pas perdre du temps à y penser, j’ai des objectifs à remplir ici". Après son départ de Pamandzi et trois ans d'errance en métropole, M. Abdallah imagine sa vie "avec (son) boulot et (sa) copine blanche, pourquoi pas à Toulouse".
Écouteurs sur les oreilles, yeux rivés sur l’écran d’ordinateur, son voisin de table esquisse un sourire. Monsieur Dja Dja, lui, veut "rentrer au bled après l’EPIDE". "On me disait que la France était belle, je voulais voir. J’ai vu, mais je ne resterai pas", affirme le jeune Mahorais.
"L’île, les plages, les voulés (fêtes sur la plage) et la famille me manquent. Heureusement, il y a la webcam ! Le gars qui a inventé ça, c’est vraiment le meilleur", salue M. Dja Dja qui appelle sa mère à M’Tsahara, via Skype tous les week-ends. "Ça aide à tenir le coup… Ici, tout est difficile, il faut toujours de l’argent. À la gare de Bourges, tu paies 20 centimes pour aller aux toilettes, et tu paies même pour boire de l’eau ! Au bled, je vais chez la mère d’un pote, elle me file de l’eau et des toilettes".
M. Dja Dja sait pourtant la chance qu’il a d’être à l’EPIDE. "Avant j’étais mal posé. Là, je suis monté dans le bon train et ça roule. Je ne repartirai pas sans rien au bled, c’est une question d’honneur, affirme le jeune homme qui a choisi de faire carrière dans le civil. J’aurais mon permis et une formation pour être conducteur d’engins et revenir plus fort à Mayotte. Inch Allah".
Comme d’autres Mahorais de l’EPIDE, M. Dja Dja affiche une volonté et une détermination sans faille. L’un d’eux vient de décrocher son code de la route. Il profite du cours d’informatique pour regarder les prix des voitures d’occasion sur internet. "D’autres font leur CV. Ici, l’apprentissage est personnalisé, on est là pour les aider pas pour les fliquer", explique le professeur.
Dans la plupart des cas, la vie n’a pas fait de cadeau à ces "Epidiens". Des situations familiales instables, des échecs scolaires, des addictions à l'alcool ou au cannabis, les jeunes arrivent abîmés dans cet ancien orphelinat de la gendarmerie, devenu EPIDE en 2008. Situé en rase campagne dans un écrin de verdure, le domaine de dix-neuf hectares est à une vingtaine de kilomètres de Bourges.
Astreint auparavant à des coupes budgétaires, cet EPIDE (comme les dix-sept autres de France) est désormais en odeur de sainteté. "Depuis les attentats de janvier 2015, il y a une prise en compte de cette jeunesse en errance qui pourrait être tentée par l’extrémisme", remarque Christophe Duchon, directeur de l’EPIDE de Bourges qui hébergera 180 jeunes (soit 60 de plus), d’ici la fin de l’année.
"On leur donne un accompagnement éducatif et citoyen pour améliorer leur comportement. On les amène à retrouver confiance en eux pour qu’ils construisent leur projet professionnel", explique Christophe Duchon qui veut en finir avec l’image militaire. "Ce n’est pas l’armée ! On fait de la remise à niveau et de l’insertion professionnelle. L’objectif est d’en faire des adultes "employables"", explique cet ancien colonel. Des éducateurs aux formateurs, les jeunes sont encadrés 24h/24h et aidés par des travailleurs sociaux, des formateurs et d’anciens militaires.
Ecoutez ci-dessous l'interview de Mr. Duchon, directeur de l'EPIDE de Bourges :
Autre obstacle : le code de la route. " Une rude épreuve, confirme le formateur au permis. En arrivant, des Mahorais me disent : "Mais Monsieur ces panneaux n’existent pas chez nous, il y a qu’un seul feu et il est toujours en panne !" Je me souviens de l’un d’eux qui bossait son code la nuit, à la lampe torche, dans son lit pour y arriver". Les photos de ceux qui réussissent sont ensuite affichées sur les murs de la salle de cours.
Ecoutez ci-dessous l'interview croisé de jeunes volontaires :
M. Abdou est né à Mayotte, a grandi à la Réunion et est arrivé en métropole en 2012. Entre problèmes familiaux et échecs scolaires, il avoue que sans l’EPIDE, il aurait pu "tomber bien bas". En un an, le jeune homme a décroché une formation d'agent de sécurité et passera bientôt son permis de conduire. "Ça vaut le coup de s’accrocher", confie M. Abdou qui estime "avoir plus appris ici qu’à l’école".
Des tables de multiplication et des conjugaisons de verbes sont affichées sur les murs de la salle de cours de Carole Bosvin "pour rappeler les fondamentaux". "Levés depuis 6h du matin, certains ont eu des vaccins, d’autres ont donné leur sang. Vous êtes fatigués, on va avancer doucement", prévient la formatrice. Deux heures plus tard, les exercices sont faits. "Pas la peine de les braquer, remarque-t-elle, nous sommes là pour les aider".
À 17h45, les volontaires doivent encore réviser leur code de la route, démarcher des entreprises pour des stages et faire le point, avec leur tuteur sur leur projet professionnel. Après le dîner, des ateliers d’expressions comme la danse et le théâtre sont organisés par les moniteurs de l’EPIDE. L’extinction des feux est prévue à 22h30. Demain, le réveil sonnera à 5h50.
Le pays des Mesdemoiselles - Messieurs
Ce jeudi matin, il assiste à un cours d’informatique à l’Établissement Public d’insertion de la défense de Bourges, où le vouvoiement et les "Mesdemoiselles" - "Messieurs" sont de rigueur pour ces jeunes âgés de 18 à 25 ans. Arrivé il y a sept mois, M. Abdallah fait partie des dix-sept Mahorais de l'EPIDE. Depuis la départementalisation de Mayotte en 2011, ils sont nombreux à atterrir à Bourges sur les conseils d'un frère ou d'un cousin qui a réussi ici. Grâce au bouche-à-oreille, l'établissement du centre de la France est devenu un tremplin pour de jeunes mahorais.Un projet professionnel
Levé à 6 heures du matin, M. Abdallah a enchaîné toilette, petit-déjeuner, revue des chambres et rassemblement au garde-à-vous dans la cour. Il s’est adapté à cette nouvelle vie en autarcie, inspirée du cadre militaire. Chaque vendredi, en rangs dans la cour, les volontaires entonnent la Marseillaise pour la levée du drapeau."Ça me conforte dans mon projet professionnel", explique le jeune homme en uniforme. Polo bleu clair boutonné jusqu’au col, il avoue que la vie à Mayotte lui manque parfois "mais je ne dois pas perdre du temps à y penser, j’ai des objectifs à remplir ici". Après son départ de Pamandzi et trois ans d'errance en métropole, M. Abdallah imagine sa vie "avec (son) boulot et (sa) copine blanche, pourquoi pas à Toulouse".
L’éloignement familial
Écouteurs sur les oreilles, yeux rivés sur l’écran d’ordinateur, son voisin de table esquisse un sourire. Monsieur Dja Dja, lui, veut "rentrer au bled après l’EPIDE". "On me disait que la France était belle, je voulais voir. J’ai vu, mais je ne resterai pas", affirme le jeune Mahorais."L’île, les plages, les voulés (fêtes sur la plage) et la famille me manquent. Heureusement, il y a la webcam ! Le gars qui a inventé ça, c’est vraiment le meilleur", salue M. Dja Dja qui appelle sa mère à M’Tsahara, via Skype tous les week-ends. "Ça aide à tenir le coup… Ici, tout est difficile, il faut toujours de l’argent. À la gare de Bourges, tu paies 20 centimes pour aller aux toilettes, et tu paies même pour boire de l’eau ! Au bled, je vais chez la mère d’un pote, elle me file de l’eau et des toilettes".
La chance de l’Epide
M. Dja Dja sait pourtant la chance qu’il a d’être à l’EPIDE. "Avant j’étais mal posé. Là, je suis monté dans le bon train et ça roule. Je ne repartirai pas sans rien au bled, c’est une question d’honneur, affirme le jeune homme qui a choisi de faire carrière dans le civil. J’aurais mon permis et une formation pour être conducteur d’engins et revenir plus fort à Mayotte. Inch Allah".Comme d’autres Mahorais de l’EPIDE, M. Dja Dja affiche une volonté et une détermination sans faille. L’un d’eux vient de décrocher son code de la route. Il profite du cours d’informatique pour regarder les prix des voitures d’occasion sur internet. "D’autres font leur CV. Ici, l’apprentissage est personnalisé, on est là pour les aider pas pour les fliquer", explique le professeur.
Une insertion citoyenne
Dans la plupart des cas, la vie n’a pas fait de cadeau à ces "Epidiens". Des situations familiales instables, des échecs scolaires, des addictions à l'alcool ou au cannabis, les jeunes arrivent abîmés dans cet ancien orphelinat de la gendarmerie, devenu EPIDE en 2008. Situé en rase campagne dans un écrin de verdure, le domaine de dix-neuf hectares est à une vingtaine de kilomètres de Bourges.Astreint auparavant à des coupes budgétaires, cet EPIDE (comme les dix-sept autres de France) est désormais en odeur de sainteté. "Depuis les attentats de janvier 2015, il y a une prise en compte de cette jeunesse en errance qui pourrait être tentée par l’extrémisme", remarque Christophe Duchon, directeur de l’EPIDE de Bourges qui hébergera 180 jeunes (soit 60 de plus), d’ici la fin de l’année.
"On leur donne un accompagnement éducatif et citoyen pour améliorer leur comportement. On les amène à retrouver confiance en eux pour qu’ils construisent leur projet professionnel", explique Christophe Duchon qui veut en finir avec l’image militaire. "Ce n’est pas l’armée ! On fait de la remise à niveau et de l’insertion professionnelle. L’objectif est d’en faire des adultes "employables"", explique cet ancien colonel. Des éducateurs aux formateurs, les jeunes sont encadrés 24h/24h et aidés par des travailleurs sociaux, des formateurs et d’anciens militaires.
Ecoutez ci-dessous l'interview de Mr. Duchon, directeur de l'EPIDE de Bourges :
Les difficultés du français et du permis
A la sortie du cours d’informatique, les jeunes mahorais échangent dans leur langue maternelle "parce que c’est plus naturel pour nous, " avouent-ils. Dans leurs premiers mois d'apprentissage à l'EPIDE, le Français a été une difficulté supplémentaire pour eux.Autre obstacle : le code de la route. " Une rude épreuve, confirme le formateur au permis. En arrivant, des Mahorais me disent : "Mais Monsieur ces panneaux n’existent pas chez nous, il y a qu’un seul feu et il est toujours en panne !" Je me souviens de l’un d’eux qui bossait son code la nuit, à la lampe torche, dans son lit pour y arriver". Les photos de ceux qui réussissent sont ensuite affichées sur les murs de la salle de cours.
210 euros par mois
Permis de conduire et formations sont financés par l’EPIDE qui apporte bien plus qu’une éducation à ces jeunes. Le rythme est soutenu mais rare sont les Mahorais qui abandonnent. Nourris, logés, blanchis, formés, ils y passent en moyenne sept mois et parviennent dans 60 % des cas à s’insérer dans le monde du travail.
Avec 210 euros mensuels, les jeunes volontaires bénéficient d’un solde pour gagner en autonomie. Ils cumulent aussi 90 euros par mois dont ils bénéficieront à leur sortie. Un pécule qui permettra de financer la caution d’un logement en métropole ou un billet retour pour Mayotte.Ecoutez ci-dessous l'interview croisé de jeunes volontaires :
Du sport pour décompresser
Après l'informatique et la pause déjeuner, les jeunes se défoulent au gymnase de l’EPIDE. Au programme : une partie de foot et un Monsieur Abdou très agité. Ce jeune mahorais ne mesure pas sa force et frappe avec force dans le ballon. Il est rappelé à l’ordre.M. Abdou est né à Mayotte, a grandi à la Réunion et est arrivé en métropole en 2012. Entre problèmes familiaux et échecs scolaires, il avoue que sans l’EPIDE, il aurait pu "tomber bien bas". En un an, le jeune homme a décroché une formation d'agent de sécurité et passera bientôt son permis de conduire. "Ça vaut le coup de s’accrocher", confie M. Abdou qui estime "avoir plus appris ici qu’à l’école".
Des méthodes pédagogiques détournées
Du sport, du français, des maths, durant leur journée, ces volontaires déscolarisés touchent à plusieurs matières. Pas de cours magistraux mais des suivis personnalisés et des méthodes pédagogiques adaptées. Ce jeudi, les Mahorais terminent leur journée par un cours de logique : dominos, jeux de carte et d’expressions orales.Des tables de multiplication et des conjugaisons de verbes sont affichées sur les murs de la salle de cours de Carole Bosvin "pour rappeler les fondamentaux". "Levés depuis 6h du matin, certains ont eu des vaccins, d’autres ont donné leur sang. Vous êtes fatigués, on va avancer doucement", prévient la formatrice. Deux heures plus tard, les exercices sont faits. "Pas la peine de les braquer, remarque-t-elle, nous sommes là pour les aider".
À 17h45, les volontaires doivent encore réviser leur code de la route, démarcher des entreprises pour des stages et faire le point, avec leur tuteur sur leur projet professionnel. Après le dîner, des ateliers d’expressions comme la danse et le théâtre sont organisés par les moniteurs de l’EPIDE. L’extinction des feux est prévue à 22h30. Demain, le réveil sonnera à 5h50.