Raphaël Confiant : "Les Syriens sont les bienvenus en Martinique !"

L’écrivain martiniquais Raphaël Confiant.
L’écrivain martiniquais Raphaël Confiant, auteur du roman "Rue des Syriens" en 2012, revient sur l’histoire des migrations des Syro-Libanais en Martinique et sur la situation actuelle en Syrie. Interview. 
En avril 2012, Raphaël Confiant publiait « Rue des Syriens » aux éditions Mercure de France. L’auteur y racontait la saga de Wadi, un Syro-Libanais qui arrive à Fort-de-France dans les années vingt pour retrouver son oncle, déjà installé. En Martinique, entre ses tribulations, Wadi découvrira une île riche d’une diversité de peuples venus des quatre coins du monde, fondateurs d’une identité culturelle forte et généreuse. Pour La1ere.fr, le romancier évoque le parcours des Levantins aux Antilles ainsi que le drame des réfugiés syriens. 
 
En 2012 vous publiiez « Rue des Syriens », un roman qui évoque l’arrivée en Martinique de migrants en provenance du Proche-Orient. On les appelait les Syriens mais ils n’étaient pas que Syriens. D’où venaient-ils, et pour quelles raisons ?
Raphaël Confiant :
A la toute fin du XIXe siècle et au tournant du XXe, des dizaines de milliers de Levantins (Syriens, Libanais, Jordaniens et Palestiniens) ont migré aux Amériques et donc aux Antilles, sauf aux Etats-Unis et au Canada. La raison ? L'occupation ottomane, puis après la guerre de 1914-18, l'occupation franco-anglaise. La Martinique et la Guadeloupe ont reçu leur part de ces migrants quasiment sans le sou, qui débarquaient « une main devant-une main derrière » comme on dit en créole, et qui, au début, exercèrent le métier de colporteur. Je me souviens, dans mon enfance, au milieu des années soixante, du siècle dernier, de ces hommes qui poussaient des brouettes dans lesquelles ils transportaient du tissu, des vêtements, des chaussures… qu'ils vendaient à bas prix. Ils baragouinaient le créole et ne parlaient pas du tout le français. Leur langue, un peu gutturale, faisait sourire les Martiniquais, mais sans que cela dénote le moindre mépris.
 
Comment furent-ils accueillis en Martinique à l’époque, et quel a été leur parcours ?
A l'époque, en fait, il y a eu une double migration dans les Amériques : la levantine et l'italienne. Chez nous aussi, on a reçu des Italiens au tournant du XXe siècle et leurs descendants aujourd'hui métissés pour la plupart, sont d'authentiques martiniquais : les Venutolo, De Rogatis, Nabeti, Landa et autres Pozzo di Borgo. Tant les Levantins que les Italiens se sont montrés discrets à leur arrivée, si bien qu'ils n'ont reçu aucun accueil particulier. Il n'y a eu ni mouvement d'hostilité ni réaction d'enthousiasme les concernant. Ils se sont tout simplement intégrés à une société elle-même formée d'immigrants : Européens, Africains (immigrants forcés), Indiens et Chinois (tous deux immigrants semi-forcés). Le parcours des Levantins a été remarquable puisqu'en moins d'une génération, ils sont passés de l'état de colporteurs à celui de propriétaires de magasins et cela dans la plupart des communes de la Martinique. Evidemment, leur fief était Fort-de-France, plus précisément la rue François Arago, que le petit peuple a vite baptisé "Rue des Syriens" d'où le titre de mon roman. Enfant, il m'arrivait de passer des vacances chez ma grand-mère paternelle qui habitait non loin de là et j'ai souvent entendu l'arabe et la musique orientale, notamment Oum Kalsoum dont j'ignorais bien sûr le nom à l'époque.
 

Font-ils partie intégrante de l’identité martiniquaise aujourd’hui ?
Oui puisqu'il y a des hommes politiques martiniquais d'origine syro-libanaise. A partir du moment où l'on franchit l'étape politique, cela signifie que l'on est intégré puisque les gens votent pour vous et ces gens ne sont pas des Syro-Libanais dans leur grande majorité. Je considère pour ma part que les Levantins sont le sixième peuple fondateur du peuple martiniquais, la sixième facette de notre créolité : Caraïbes (ou Kalinagos), Européens, Africains, Indiens, Chinois et Levantins. Mais il est clair que la composante africaine est la plus importante tant démographiquement que culturellement. Tous ces gens ont été broyés par l'histoire, celle de la conquête des Amériques, et aucun n'en est ressorti indemne. D'où l'absurdité à rechercher une souche ou une origine pure. Nous sommes tous des bâtards mais des bâtards qui se sont reconstruits, qui ont construit une nouvelle langue et une nouvelle culture dite "créoles". Rejeter cette créolité revient à ouvrir des brèches dans notre société et à rallumer des guerres intestines. Mais créolité ne signifie pas œcuménisme : les Békés doivent faire leur mea culpa comme l'ont fait les Afrikaners en Afrique du Sud avant toute réconciliation car les blessures de l'esclavage sont encore là.
 
Quel regard portez-vous sur l’exode et la situation des réfugiés fuyant la Syrie ?
Je suis horrifié par ce qui se passe en Syrie et dans le monde arabe en général. Je constate que l'Occident a militairement détruit des régimes laïques, certes autocratiques (Irak, Lybie, Syrie) ou corrompus (Tunisie), favorisant ainsi la montée de l'islamisme radical. On peut dire ce qu'on veut de Saddam Hussein, mais les chrétiens n'étaient pas persécutés sous son règne et son premier ministre, Tarek Aziz, était un chrétien. Bachar El-Assad ne persécute pas non plus les chrétiens qui sont d'ailleurs de fervents supporters de son régime. Je me demande s'il n'y a pas un plan occidental visant à faire imploser le monde arabe pour le transformer en principautés d'opérettes afin de contrôler le pétrole. Ce sont les peuples arabes - et donc le peuple syrien - qui paient cash la facture de ce complot. L'Occident n'a donc que la monnaie de sa pièce avec ces débarquements incessants de migrants sur ses côtes. En tout cas, les migrants syriens sont les bienvenus en Martinique !