Romancière, nouvelliste et poétesse, la Martiniquaise Suzanne Dracius est une grande figure de la littérature antillaise. Prix de la Société des poètes français pour l’ensemble de son œuvre en 2010, entre autres distinctions, ses livres ont été traduits en plusieurs langues. Rencontre.
Née à Fort-de-France où elle a passé son enfance, Suzanne Dracius a ensuite poursuivi ses études en région parisienne puis à la Sorbonne. Professeur de lettres classiques (français, latin, grec), elle a enseigné dans l’Hexagone ainsi qu’à l’Université des Antilles. Elle a été également invitée comme visiting professor à l’Université de l’Etat de Géorgie ainsi qu’à celle de l’Ohio aux Etats-Unis.
Suzanne Dracius s’est fait connaître en 1989 avec « L’Autre qui danse » (éditions Seghers, réédité en poche aux éditions du Rocher en 2007), un premier roman unanimement salué par la critique. Elle a aussi publié, entre autres, des nouvelles, « De sueur, de sucre et de sang » (Le Serpent à plumes, 1992), un autre roman, « Rue Monte au ciel » (éditions Desnel, 2003), et des recueil de poèmes, dont l’excellent « Exquise déréliction métisse » (Desnel, 2008), qui a obtenu le prix littéraire Fetkann. Son dernier ouvrage, « Déictique féminitude insulaire », est paru aux éditions Idem en 2014. Suzanne Dracius est aujourd’hui retraitée de l’enseignement et continue, bien évidemment, à écrire.
Dotée d’un style vif et alerte, parfois marqué d’un certain classicisme (les études gréco-latines), Suzanne Dracius aborde dans son œuvre une grande diversité de thématiques (sociales, politiques, historiques) et demeure enracinée dans sa culture martiniquaise et créole. Se revendiquant fièrement « kalazaza » (chabine aux cheveux blonds ou roux, en créole), sa poésie et ses romans relèvent aussi de ce qu’elle appelle la « féminitude » et d’un fort engagement humaniste. Interview.
Comment êtes-vous venue à l’écriture ?
Suzanne Dracius : Je suis venue à l’écriture parce que j’aimais lire. Avec l’amour de la lecture est venu l’amour de l’écriture. Quand j’étais enfant je faisais des petits textes que j’écrivais sur des petits bouts de papiers, sur des thèmes variés. Il y avait cette envie d’écrire et de créer des histoires, ça a commencé comme cela. Ma grand-mère a été ma première lectrice. J’aime écrire les histoires qui sont en moi et qui ne m’appartiennent pas, ces histoires que je tisse et que je métisse, car je suis une métisse totale. A l’instar de Damas, j’ai plusieurs fleuves en moi : le sang de l’Africain déporté en esclavage, celui du béké colon français et blanc, celui des Indiens à plumes et sans plumes, et pour pimenter le tout une arrière grand-mère chinoise venue en Martinique à la fin du XIXe siècle.
Quelle est l’influence de votre formation classique sur votre style ?
Je suis une "kalazaza" gréco-latine. Je mets au service de mon écriture mon aspect créole et mon aspect français estampillé par la Sorbonne. Pour écrire comme je le fais il faut se mettre dans une peau de femme, une femme métisse, et une bonne latiniste. Ce n’est pas un hasard si le premier roman psychologique a été écrit par une femme. C’est la sublime « Princesse de Clèves » de madame de La Fayette. Moi aussi je brave les tabous. J’écris sur le corps de la femme, le plaisir féminin, la façon d’être à l’intérieur d’un corps de femme. Avec un côté féministe mais en allant plus loin, jusqu’à la féminitude.
C’est quoi la « féminitude » selon Suzanne Dracius ?
A l’instar de la négritude, la féminitude vous permet de vous sentir bien dans votre peau de femme, comme la négritude permet de se sentir bien dans sa peau de nègre, et non seulement de nègre mais de toutes les catégories humaines discriminées d’une manière ou d’une autre. Mais dans la féminitude, on vit une double peine. C’est quelqu’un qui n’a pas la bonne couleur et qui est aussi une femme. Il y a deux formes de discrimination et cela est encore plus multiple quand on est métissé. C’est ce que j’appelle « l’exquise déréliction métisse ». C’est exquis d’être métissé parce qu’on se sent proche de tous dans une plénitude, on jouit de plusieurs cultures, mais en même temps on peut être rejeté, être considéré comme pas suffisamment noir, ou pas suffisamment blanc.
Je crois savoir que vous n’aimez pas le terme « métropole ». Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ?
La racine grecque de ce mot fait que je le comprends avec beaucoup d’acuité. Il y a « metron » qui veut dire la mesure, le modèle, la référence, et « polis » qui signifie la ville, la cité. Donc cela implique que tout ce qui n’est pas de la métropole doit suivre le modèle et s’assimiler, « similis », c'est-à-dire devenir semblable. Non, il faut respecter les différences, et ce mot « métropole » est méprisant et condescendant. Je n’aime pas appeler la France comme cela. Je l’appelle l’Hexagone, parce que c’est joli. C’est géométrique et représente bien ce qu’elle est, compacte avec tous ces petits angles qui partent d’un côté vers la vieille Europe, et de l’autre, à l’Ouest, vers la Martinique, la Guadeloupe, etc., où nous sommes. Et je suis heureuse de cette diversité.
Suzanne Dracius s’est fait connaître en 1989 avec « L’Autre qui danse » (éditions Seghers, réédité en poche aux éditions du Rocher en 2007), un premier roman unanimement salué par la critique. Elle a aussi publié, entre autres, des nouvelles, « De sueur, de sucre et de sang » (Le Serpent à plumes, 1992), un autre roman, « Rue Monte au ciel » (éditions Desnel, 2003), et des recueil de poèmes, dont l’excellent « Exquise déréliction métisse » (Desnel, 2008), qui a obtenu le prix littéraire Fetkann. Son dernier ouvrage, « Déictique féminitude insulaire », est paru aux éditions Idem en 2014. Suzanne Dracius est aujourd’hui retraitée de l’enseignement et continue, bien évidemment, à écrire.
Dotée d’un style vif et alerte, parfois marqué d’un certain classicisme (les études gréco-latines), Suzanne Dracius aborde dans son œuvre une grande diversité de thématiques (sociales, politiques, historiques) et demeure enracinée dans sa culture martiniquaise et créole. Se revendiquant fièrement « kalazaza » (chabine aux cheveux blonds ou roux, en créole), sa poésie et ses romans relèvent aussi de ce qu’elle appelle la « féminitude » et d’un fort engagement humaniste. Interview.
Comment êtes-vous venue à l’écriture ?
Suzanne Dracius : Je suis venue à l’écriture parce que j’aimais lire. Avec l’amour de la lecture est venu l’amour de l’écriture. Quand j’étais enfant je faisais des petits textes que j’écrivais sur des petits bouts de papiers, sur des thèmes variés. Il y avait cette envie d’écrire et de créer des histoires, ça a commencé comme cela. Ma grand-mère a été ma première lectrice. J’aime écrire les histoires qui sont en moi et qui ne m’appartiennent pas, ces histoires que je tisse et que je métisse, car je suis une métisse totale. A l’instar de Damas, j’ai plusieurs fleuves en moi : le sang de l’Africain déporté en esclavage, celui du béké colon français et blanc, celui des Indiens à plumes et sans plumes, et pour pimenter le tout une arrière grand-mère chinoise venue en Martinique à la fin du XIXe siècle.
Quelle est l’influence de votre formation classique sur votre style ?
Je suis une "kalazaza" gréco-latine. Je mets au service de mon écriture mon aspect créole et mon aspect français estampillé par la Sorbonne. Pour écrire comme je le fais il faut se mettre dans une peau de femme, une femme métisse, et une bonne latiniste. Ce n’est pas un hasard si le premier roman psychologique a été écrit par une femme. C’est la sublime « Princesse de Clèves » de madame de La Fayette. Moi aussi je brave les tabous. J’écris sur le corps de la femme, le plaisir féminin, la façon d’être à l’intérieur d’un corps de femme. Avec un côté féministe mais en allant plus loin, jusqu’à la féminitude.
ECOUTEZ un extrait de l’interview de Suzanne Dracius
C’est quoi la « féminitude » selon Suzanne Dracius ?
A l’instar de la négritude, la féminitude vous permet de vous sentir bien dans votre peau de femme, comme la négritude permet de se sentir bien dans sa peau de nègre, et non seulement de nègre mais de toutes les catégories humaines discriminées d’une manière ou d’une autre. Mais dans la féminitude, on vit une double peine. C’est quelqu’un qui n’a pas la bonne couleur et qui est aussi une femme. Il y a deux formes de discrimination et cela est encore plus multiple quand on est métissé. C’est ce que j’appelle « l’exquise déréliction métisse ». C’est exquis d’être métissé parce qu’on se sent proche de tous dans une plénitude, on jouit de plusieurs cultures, mais en même temps on peut être rejeté, être considéré comme pas suffisamment noir, ou pas suffisamment blanc.
Je crois savoir que vous n’aimez pas le terme « métropole ». Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ?
La racine grecque de ce mot fait que je le comprends avec beaucoup d’acuité. Il y a « metron » qui veut dire la mesure, le modèle, la référence, et « polis » qui signifie la ville, la cité. Donc cela implique que tout ce qui n’est pas de la métropole doit suivre le modèle et s’assimiler, « similis », c'est-à-dire devenir semblable. Non, il faut respecter les différences, et ce mot « métropole » est méprisant et condescendant. Je n’aime pas appeler la France comme cela. Je l’appelle l’Hexagone, parce que c’est joli. C’est géométrique et représente bien ce qu’elle est, compacte avec tous ces petits angles qui partent d’un côté vers la vieille Europe, et de l’autre, à l’Ouest, vers la Martinique, la Guadeloupe, etc., où nous sommes. Et je suis heureuse de cette diversité.