Guyane : la tragédie du suicide chez les Amérindiens

Amérindiens de Guyane lors d’une marche commémorant la Journée internationale des peuples autochtones, en août 2013.
En Guyane, le taux de suicide chez les Amérindiens est dix fois plus élevé que dans l’Hexagone. Quelles sont les causes et les conséquences de ces actes ? Eléments de réponse avec Joëlle Tinaut, psychologue, auteur d’un doctorat sur les comportements suicidaires chez les Wayanas. 
En Guyane, la problématique du suicide chez les Amérindiens est une question tragique et récurrente, difficile à appréhender pour les services sociaux et de santé qui semblent démunis et incapables d’enrayer la situation. Selon l’association Ader (Actions pour le développement, l'éducation et la recherche), qui mène des actions de prévention et d’accès aux soins auprès des communautés amérindiennes, « depuis 1999, les comportements suicidaires ont augmenté de façon significative dans les villages amérindiens du Haut Maroni ».
 
Dans un rapport publié en janvier 2015, « Agir ensemble pour vivre mieux sur le Haut Maroni », l’Ader écrit : « Une étude psychosociale, réalisée en 2006 par Cyril Labous, psychologue clinicien et Daniel Tokotoko, jeune Wayana du village d'Elahé, dans cinq villages amérindiens de la rive française du fleuve Maroni relevait que le taux de suicide en milieu amérindien était 10 à 20 fois plus élevé que celui des régions métropolitaines et 11 fois supérieur à celui du littoral guyanais ».

« L’observatoire des comportements suicidaires (suicides et tentatives de suicide) tenu par ADER depuis 2009 montre qu’il y a eu 2 suicides et 8,6 tentatives de suicide pour 1200 habitants par an sur le Haut Maroni entre 2009 et 2013. Selon les chiffres disponibles de 2010 du ministère des Affaires sociales et de la Santé, il y a 16,5 suicides et 338 tentatives de suicides pour 100.000 habitants par an en France. Le taux de suicide dans ces villages est 10 fois supérieur à celui de la France hexagonale », poursuit le rapport.
 

Selon l’association, les comportements suicidaires touchent les moins de 25 ans dans plus de la moitié des cas. Les causes de ces actions sont très diverses, souligne l’Ader, qui relève en arrière-plan la dévalorisation progressive des cultures amérindiennes traditionnelles et l’arrêt de la transmission des savoirs ancestraux. Par ailleurs, les Amérindiens ressentent généralement un sentiment d’exclusion, renforcé par l’isolement géographique.
 
« Le suicide est multifactoriel. On ne peut pas considérer qu’un seul facteur agit sur le comportement suicidaire », explique la psychologue clinicienne guyanaise Joëlle Tinaut, auteur d’une thèse de doctorat en 2013 sur le comportement suicidaire chez les Wayanas (peuple autochtone de la Guyane). « Mais ceux qui influent le plus à mon avis en ce moment, ce sont les facteurs socioéconomiques et politiques, des décisions qui produiraient une forme d’acculturation chez les Amérindiens, et des perturbations dans leur mode de vie par rapport à leurs pratiques, habitudes et leurs coutumes traditionnelles ».

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« Après l’esclavage cette population a subi entre cinq et six changements politiques et économiques importants. Ils sont passés de l’isolation sanitaire à l’isolation sociale et économique. Paradoxalement ils bénéficient des mêmes droits que tous les Français, sauf que l’isolation géographique entraîne une coupure socioéconomique et culturelle. Tout ce désordre entraîne un glissement vers le désordre psychique », précise-t-elle.
 
« Dans ces pertes de repères, la tradition ne constituant plus un élément identitaire, tout ce qui vient de l’extérieur est accepté et consommé parfois sans modération, en particulier chez les jeunes, comme l’alcool et la drogue. Les conflits intergénérationnels sont accrus, puisque les propositions des parents n’ont plus d’ancrage. Il y a donc un problème politique et culturel qui entraîne des formes de désorientation à différents niveaux. Il n’y a plus d’accroches psychique, mentale, sociale et économique chez ces populations. »
 
Sur le terrain, des associations, comme l’Ader, mènent des actions de prévention avec des animateurs, des médiateurs et des psychologues. Elles tentent notamment de repérer et d’orienter les personnes en souffrance et en difficulté, d’être en contact et à l’écoute pour mieux les accompagner. Joëlle Tinaut, quant à elle, recommande de s’inspirer de ce qui se fait au Canada ou en Australie. « Il faut redonner une forme d’autonomie sociale et politique à ces populations, et notamment des droits fonciers. Mais c’est une décision gouvernementale qui pourra rétablir les choses », déclare-t-elle.